Pour la première fois, des nanotubes ont été observés dans un organisme vivant(1). Cette découverte, faite par un laboratoire de l’Institut Pasteur, couronne vingt ans de recherche sur ces intrigantes connexions entre cellules.
« J’y crois depuis le début ! » Chiara Zurzolo, responsable de l’unité Trafic membranaire et pathogénèse à l’Institut Pasteur, s’intéresse aux nanotubes depuis vingt ans. La chercheuse, qui a commencé par étudier la médecine pour mieux se consacrer, ensuite, à la biologie cellulaire, est entrée à l’Institut en 2003. Elle vit alors le « début » des nanotubes : à l’époque, une équipe germano-suisse(2) découvre, in vitro, que les cellules peuvent communiquer via de fins canaux, sortes de mini-tunnels allant de l’une à l’autre : les Tunnelling Nanotubes (TNT). Par ce biais, elles se transmettent un grand nombre d’éléments : hormones, enzymes, organites, vésicules…
Cette donnée, complètement nouvelle, suscite alors le scepticisme d’une partie de la communauté scientifique. Pour Chiara Zurzolo, c’est un fascinant champ d’exploration. Elle se met à étudier sans relâche les TNT. Vingt ans plus tard, en 2024, elle et son équipe apportent la preuve de l’existence des nanotubes, in vivo : ils les ont vus, dans un organisme vivant !
Les nanotubes observés in vivo, par fluorescence
L’unité Trafic membranaire et pathogénèse de l’Institut Pasteur, ce sont une quinzaine de jeunes chercheuses et chercheurs du monde entier. Pour ce projet – rechercher les TNT in vivo –, ils ont choisi le poisson zèbre. Son organisme transparent est facile à observer. Et puisqu’ils souhaitent savoir si les TNT sont indispensables au développement de l’animal, ils prennent des cellules d’embryon, et les marquent par fluorescence.
Résultat : parmi les multiples excroissances (protrusions) que présentent ces cellules, la majorité sont des sortes de longues tiges creuses… les nanotubes ! En utilisant l’imagerie de cellule vivante, l’équipe montre également que la mitochondrie (cette « centrale énergétique » de la cellule) peut passer d’une cellule à l’autre via les TNT. Tout ce qui avait été observé in vitro est donc démontré in vivo. « Cela suggère aussi que les TNT participent au bon développement du poisson zèbre », souligne Chiara Zurzolo.
Reste à éclairer la structure et le rôle exacts de ces tunnels
Pour autant, ces nanotunnels ont encore leurs zones d’ombre. Leur structure exacte, par exemple : leur composition précise n’est pas encore connue. Autres enjeux : les mécanismes impliqués dans certaines maladies, et le rôle des TNT. Ces derniers servent en effet au transport de marchandises « utiles » à la bonne marche de l’organisme… mais peuvent aussi faire passer des éléments toxiques.
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De précédents travaux pionniers de l’équipe de Chiara Zurzolo (voir encadré ci-dessous) l’ont montré pour plusieurs protéines pathogènes : prions, amyloïdes ou alpha-synucléines, impliquées dans l’encéphalopathie spongiforme bovine (maladie de Creutzfeldt-Jakob), Parkinson et d’autres pathologies neurodégénératives aussi bien que des virus comme le SARS-CoV-2 (qui infecte le bulbe olfactif, et pourrait se propager de neurones en neurones, provoquant notamment l’anosmie et des symptômes neurologique), ou d’autres molécules impliquées dans le cancer…
Quelques travaux récents sur les nanotubes de l’Institut Pasteur
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Les TNT impliqués dans la diffusion des maladies neurodégénératives et la multiplication des cellules cancéreuses
« Le passage de ces protéines d’une cellule à l’autre, via les TNT, est un mécanisme général pour la diffusion des maladies neurodégénératives dans le cerveau, » affirme Chiara Zurzolo. Les nanotubes auraient également un rôle dans les cancers du cerveau : « en faisant facilement voyager les mitochondries, ils facilitent, voire « boostent » la division des cellules cancéreuses. »
Pour toutes ces raisons, ces connexions cellulaires représentent des cibles thérapeutiques majeures. En ciblant des molécules précises dans leur structure, on pourrait les bloquer ou les détruire afin de freiner ou d’empêcher une maladie. Avant cela, il faudra avoir parfaitement cerné un dernier mécanisme : l’inflammation. Composante importante des maladies, celle-ci semble affecter les TNT. Elle les détournerait pour progresser plus rapidement…
Les nanotubes, une nouvelle conception de l’identité cellulaire
AVANT : Les cellules étaient vues comme des entités individuelles et « fermées ».
Les cellules pouvaient uniquement communiquer entre elles via l’envoi de sécrétions, des enzymes, par exemple. Ci-dessous, dans ce dessin très schématisé, la flèche indique la sécrétion et la transmission de molécules ou vésicules d'une cellule à une autre. La membrane cellulaire (en noir) constitue l'interface entre l’intérieur de la cellule (cytoplasme) et son environnement extérieur.
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APRÈS : Désormais, on sait que les cellules ne sont pas « fermées ».
Outre la transmission d’éléments via la membrane, elles peuvent ouvrir leur contenu à un autre cellule. Grâce à un canal d’échange dédié, le nanotube, elles peuvent communiquer directement entre elles. Bien que ces dernières études démontrent l'existence des TNT dans les organismes vivants, il reste encore à identifier les mécanismes qui régulent leur formation et l'échange des substances transportées, afin de pouvoir les utiliser comme cible thérapeutique. Cette longue histoire de recherche montre comment les efforts investis dans la recherche fondamentale peuvent aboutir à des résultats révolutionnaires, changeant la manière d'aborder la biologie et la physiopathologie des maladies. Ci-dessous, un dessin très simplifié de ces nanotubes - TNT et ce qu'ils transportent d'une cellule à l'autre.
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La révolution microscopique pour voir les nanotubesLes évolutions récentes des technologies de microscopie permettent d’obtenir des images de plus en plus précises, aidant à la visualisation des nanotubes.
À côté de la microscopie, la création d’organoïdes permet de réaliser in vitro des cultures en 3D d’organes. |
- Tunneling nanotubes enable intercellular transfer in zebrafish embryos, Korenkova O, Liu S, et al Developmental Cell, 2025
- Nanotubular highways for intercellular organelle transport. Rustom A, Saffrich R, el al., Science, 2004