Plus d’un siècle après la découverte des neurones par le neuroanatomiste Santiago Ramón y Cajal, les chercheurs ne cessent d’approfondir leurs connaissances sur le cerveau et son développement. Dans un article publié le 5 avril dans Science Advances, une équipe de l’Institut Pasteur et du CNRS, en collaboration avec l’université Harvard, apporte de nouveaux éléments éclairant le mode d’interaction des cellules des couches externes du cerveau après la naissance, au moment de la formation du cervelet, région du cerveau située à l’arrière du crâne. Les chercheurs ont mis en évidence un nouveau mode de connexion des cellules précurseurs des neurones via des tubes nanoscopiques, avant même l’apparition des synapses, zones classiques des connexions entre neurones.
L’équipe de Chiara Zurzolo (unité Trafic membranaire et pathogénèse à l’Institut Pasteur) a identifié en 2009 un nouveau mécanisme de communication directe entre les cellules neuronales en culture via des structures appelées « nanotubes » ou « tunnels nanoscopiques ». Ceux-ci sont impliqués dans la propagation de différentes protéines toxiques qui s’accumulent dans le cerveau lors de maladies neurodégénératives. Les nanotubes représentent donc une cible appropriée pour le traitement de ces maladies, ou des cancers.
Cette nouvelle étude offre une première visualisation des tunnels nanoscopiques qui relient les cellules précurseurs du cerveau lorsqu’elles se transforment en neurones, plus particulièrement dans la région du cervelet – une région impliquée dans le maintien de l’équilibre et de la posture et qui évolue après la naissance. Ces tunnels, bien que de taille similaire, diffèrent les uns des autres par leur forme : certains comportent des ramifications, certains sont enveloppés par les cellules qu’ils relient, et d’autres sont exposés à leur environnement local. Les auteurs suggèrent que ces connexions intercellulaires pourraient permettre l’échange de molécules favorisant la migration physique des cellules pré-neuronales à travers les différentes couches cérébrales, jusqu’à leur destination finale au cours du développement du cerveau.
Curieusement, ces connexions présentent des similitudes anatomiques avec les ponts formés en fin de division cellulaire. « Ces connexions intercellulaires apparaissent lors de la division des cellules, et persistent lors de leur migration. En cela cette étude contribue à clarifier le développement du cerveau. D'autre part, les connexions qui s'établissent après la division cellulaire pourraient permettre un échange direct entre cellules au-delà des connexions synaptiques classiques, ce qui révolutionnerait notre compréhension de la connectivité cérébrale. Nous mettons en évidence qu’il n’existe pas uniquement des synapses permettant aux cellules de communiquer au sein du cerveau, mais également ces nanotubes. », déclare Chiara Zurzolo, principale auteure de l’étude et responsable de l’unité Trafic membranaire et pathogénèse (Institut Pasteur / CNRS).
Visualisation du volume 3D du cervelet de la souris en développement reconstruit à l'aide de la microscopie électronique à balayage à coupes en série. Exemple de cellules granulaires segmentées en 3D représentées en vert et orange, avec les noyaux respectivement en bleu et violet, et les mitochondries en jaune. Une connexion mince reliant les deux cellules peut être vue entre les cellules en cyan, avec des sous-compartiments attachés au tube contenant les mitochondries, représentés en rose. © Diego Cordero / Unité Trafic membranaire et pathogénèse, Institut Pasteur
Pour parvenir à ces résultats, les chercheurs ont étudié la façon dont les régions du cerveau communiquent entre elles, grâce à une méthode de microscopie électronique tridimensionnelle (3D) à partir de cellules de cerveau, issues de modèles murins. Cette technique d’imagerie assure la reconstruction de cartes du réseau neuronal à très haute résolution. Le volume du cervelet 3D modélisé et utilisé pour l’étude contient plus de 2 000 cellules. « Pour véritablement comprendre le comportement des cellules dans un environnement tridimensionnel et cartographier l’emplacement et la répartition de ces tunnels, il faut reconstruire tout un écosystème du cerveau, ce qui nécessite des efforts colossaux et le travail d’une vingtaine de personnes pendant 4 ans », indique Diego Cordero, premier auteur de l’étude.
Face à la multiplicité des cellules du cerveau, les chercheurs ont exploité un outil d’intelligence artificielle pour distinguer automatiquement les couches corticales. De plus, ils ont développé un programme open-source appelé CellWalker afin de caractériser morphologiquement les segments 3D. Le bloc de tissu est ainsi reconstruit à partir d’images de coupes de cerveau. Ce programme, mis à disposition gratuitement, permettra aux chercheurs d’analyser rapidement et facilement les informations anatomiques complexes contenues dans ces types d’images microscopiques.
La prochaine étape sera d’identifier la fonction biologique de ces tunnels cellulaires pour comprendre leur rôle dans le développement du système nerveux central et dans d’autres régions du cerveau, ainsi que leur fonction dans les communications entre cellules du cerveau dans les maladies neurodégénératives et les cancers. Les outils informatiques développés seront mis à la disposition d’autres équipes de recherche dans le monde.
Source
3D reconstruction of the cerebellar germinal layer reveals tunneling connections between developing granule cells, Science Advances, 5 avril 2023
Diégo Cordero Cervantes1,2†, Harshavardhan Khare1†, Alyssa Michelle Wilson3, Nathaly Dongo Mendoza1,4, Orfane Coulon-Mahdi1, Jeff William Lichtman5, Chiara Zurzolo1*
1Membrane Traffic and Pathogenesis, Institut Pasteur, Université Paris Cité, CNRS UMR 3691, F-75015 Paris, France.
2Université Paris-Saclay, 91405 Orsay, France.
3Department of Neurology, Department of Psychiatry, Icahn School of Medicine at Mount Sinai, New York, NY 10029, USA.
4Research Center in Bioengineering, Universidad de Ingeniería y Tecnología-UTEC, Lima 15049, Peru.
5Department of Molecular and Cellular Biology, Center for Brain Science, Harvard University,
Cambridge, MA 02138, USA.
*Corresponding author.
†These authors contributed equally to this work.