Comme les humains, les cellules de notre corps sont capables de communiquer entre elles. Cette communication permet à nos organes d’œuvrer de manière synchrone, nous offrant la possibilité d’accomplir au quotidien une multiplicité de tâches. Pour ce faire, nos cellules utilisent notamment des « tunneling nanotubes », ou TNT. Dans un article publié dans la revue Nature Communications, une équipe de chercheurs de l’Institut Pasteur dirigée par Chiara Zurzolo indique avoir découvert, grâce à des techniques d’imagerie de pointe, que la structure de ces nanotubes remettait en question le concept même de cellule.
Vidéo de l'équipe de Chiara Zurzolo (en anglais), postée sur la chaine Youtube de l'Institut Pasteur.
Les nanotubes TNT sont de minuscules tunnels d’échange – d’ions, de virus, d’organites entiers, etc. – entre au moins deux cellules. Des études antérieures menées par cette même équipe (unité Trafic membranaire et Pathogénèse) à l’Institut Pasteur ont montré que ces TNT jouaient un rôle dans la propagation intercellulaire des protéines amyloïdes pathogènes impliquées dans les maladies d’Alzheimer et de Parkinson. Ces chercheurs ont ainsi été amenés à suggérer que ces nanotubes servaient de principale voie de diffusion des maladies neurodégénératives à l’intérieur du cerveau et représentaient donc une nouvelle cible thérapeutique pour stopper la progression de ces pathologies incurables. Il semble également que les TNT contribuent significativement à la résistance du cancer au traitement. Maîtrisant encore mal les TNT et leurs relations ou différences avec d’autres extensions cellulaires, comme les filopodes, ces scientifiques ont décidé de poursuivre leurs recherches pour approfondir leurs connaissances sur ces infimes connexions tubulaires.
Le dogme de l’unité cellulaire remis en question
Une meilleure compréhension de ces minuscules connexions tubulaires est nécessaire, car les nanotubes TNT peuvent avoir des répercussions colossales sur les maladies et la santé humaine. Mais l’étude de ces structures n’a pas été une mince affaire en raison de leur fragilité et de leur nature transitoire, celles-ci ne survivant pas aux techniques microscopiques classiques. Pour surmonter ces obstacles, les chercheurs ont combiné plusieurs approches de microscopie électronique de pointe et acquis des images de TNT à des températures inférieures au point de congélation.
Cette stratégie d’imagerie leur a permis de décrypter la structure des TNT de manière très détaillée. Ils démontrent ainsi que ce qui avait été précédemment décrit comme des connexions simples se compose en réalité de plusieurs « tunneling nanotubes » individuels (iTNT) plus petits. Leurs images dévoilent également l’existence, entre les iTNT, de fines liaisons susceptibles de renforcer leur stabilité mécanique. L’imagerie time-lapse révèle le transport d’organites par les iTNT, démontrant la fonction de ces derniers. Enfin, les chercheurs ont utilisé un type de microscopie appelé « FIB-SEM » afin d’obtenir des images 3D d’une résolution suffisante pour visualiser clairement l’« ouverture » des nanotubes TNT aux deux extrémités, créant ainsi une continuité entre deux cellules. « Cette découverte remet en question le dogme de l’unité cellulaire en apportant la preuve que les cellules peuvent s’ouvrir à leurs voisines et échanger du matériel sans barrière membranaire », explique Chiara Zurzolo, responsable de l’unité Trafic membranaire et Pathogénèse à l’Institut Pasteur.
Une nouvelle étape dans le décryptage des communications intercellulaires
L’adoption d’un workflow d’imagerie qui surclasse les anciens outils d’étude de l’anatomie des TNT en s’affranchissant de leurs limites a permis aux chercheurs d’offrir la première description structurale des TNT. Surtout, ces scientifiques font la démonstration absolue que ces nanotubes forment de nouveaux organites cellulaires, dotés d’une structure définie bien différente de celle des extensions cellulaires connues. « La description de leur structure permet de décrypter les mécanismes impliqués dans leur formation et améliore notre compréhension de leur fonction dans le transport direct du matériel entre (les cytosols de) deux cellules connectées », ajoute Chiara Zurzolo. Par ailleurs, la stratégie de ces chercheurs, visant à préserver ces structures fragiles, sera utile à l’étude du rôle des TNT dans d’autres conditions physiologiques et pathologiques.
Ce travail ouvre une voie essentielle dans la compréhension des communications intercellulaires via les nanotubes TNT et jette les bases d’investigations sur leurs fonctions physiologiques et leur implication dans la propagation de particules liées à des maladies virales et bactériennes et des protéines mal repliées.
Source
Correlative cryo-electron microscopy reveals the structure of TNTs in neuronal cells, Nature Communications, 21 Janvier 2019
Anna Sartori-Rupp*1, Diégo Cordero Cervantes*2, Anna Pepe*2, Karine Gousset2,3, Elise Delage2, Simon Corroyer-Dulmont1, Christine Schmitt1, Jacomina Krijnse-Locker1 & Chiara Zurzolo2
1 Unit of Technology and Service Ultra-structural Bio-Imaging, Institut Pasteur
2 Membrane Traffic and Pathogenesis Unit, Institut Pasteur
3 Current address; California State University, College of Science and Math, Department of Biology
* Ces auteurs ont contribué équitablement au travail.
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies de la connectivité cérébrale et maladies neurodégénératives du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.