L’étude des variations épigénétiques est très importante pour comprendre comment l’environnement influe sur la santé humaine. Des chercheurs de l’Institut Pasteur, du CNRS, de l’Institut Karolinska (Suède) et de l’Université de Colombie Britannique (Canada) nous éclairent sur les facteurs impactant cette variabilité. Ils ont en particulier étudié les effets épigénétiques de l’âge et ceux d’une infection commune par un virus (cytomégalovirus). Cette étude a été menée sur une cohorte de près de 1000 patients en bonne santé.
L’épigénétique étudie les mécanismes moléculaires qui modifient l’expression des gènes sans changer la séquence d’ADN. L’étude des variations épigénétiques est donc très importante en santé humaine. En épigénétique, on étudie notamment les mécanismes de la méthylation de l’ADN et ses conséquences. La méthylation consiste en l’ajout de groupements chimiques « méthyles » sur la molécule d’ADN (voir encadré « épigénome » plus bas). C’est une modification réversible, qui peut changer considérablement l’activité d’un gène. L’ensemble des méthylations au sein d’un même génome est nommé « méthylome ».
La méthylation de l’ADN est très étudiée pour son rôle dans la différenciation cellulaire. Il s’agit aussi d’un potentiel révélateur de certaines maladies comme le cancer. « Si les effets du vieillissement et du tabagisme sur le méthylome humain sont aujourd’hui bien connus, les effets épigénétiques de nombreux autres facteurs, en particulier liés à l’immunité, restent à déterminer », souligne Lluis Quintana-Murci, responsable de l’unité Génétique évolutive humaine à l’Institut Pasteur (Paris) et professeur au Collège de France.
Premières études sur les variations du système immunitaire
Le projet Milieu Intérieur lancé en 2012 (lire le communiqué « Les bases biologiques d’une « bonne santé ») suit une cohorte de près de 1000 personnes en bonne santé âgées de 20 à 69 ans, afin de comprendre les caractéristiques d’un système immunitaire au fonctionnement normal. Elle est coordonnée par le laboratoire d’excellence Milieu Intérieur, à l’Institut Pasteur, dirigé par Lluis Quintana-Murci et Darragh Duffy (responsable de l’unité Immunologie translationnelle).
Grâce à cette cohorte, ce laboratoire d’excellence a déjà décrit la variation à grande échelle du système immunitaire dans la population française. Notre âge, notre sexe, notre passé infectieux, notre patrimoine génétique, peuvent influencer notre système immunitaire et nous rendre plus ou moins susceptibles aux maladies.
Deux études, publiées en décembre 2017 et février 2018, ont en particulier confirmé que :
- une grande partie des variations du système immunitaire entre les individus, est notamment due à des différences d’âge ;
- l’infection par le cytomégalovirus, qui concerne 35% de la population, a également un impact majeur sur la composition sanguine.
Lire Les facteurs qui affectent le plus notre système immunitaire
Il restait à déterminer si les effets du vieillissement ou de l’infection par cytomégalovirus sur le système immunitaire se répercutent ou non sur le méthylome. C’est l’objet de l’étude publiée en octobre 2022 par des chercheurs de l’Institut Pasteur, du CNRS, de l’Institut Karolinska (Suède) et de l’Université de Colombie Britannique (Canada).
Les effets de l’âge sur le méthylome ont été surestimés
En 2022, toujours dans le cadre du projet Milieu Intérieur, les chercheurs ont mesuré les effets de 140 variables liées au mode de vie et à l’immunité, sur le méthylome de personnes en bonne santé.
Ils montrent que les effets de l’âge sur le méthylome ont été surestimés. « On pensait que le vieillissement modifie directement le méthylome de toutes les cellules de l’organisme, à la manière d’une horloge épigénétique. Désormais, on sait que l’âge modifie surtout la composition cellulaire du sang, ce qui entraine en retour la modification du méthylome », souligne Etienne Patin, chercheur CNRS, et co-auteur de cette nouvelle étude. De plus, on observe que les différences épigénétiques entre individus augmentent avec l’âge, ce qui suggère que le système qui maintient les niveaux de méthylation de l’ADN devient moins fiable au cours du vieillissement.
L’infection à cytomégalovirus affecte le méthylome humain
Comme indiqué plus haut, on sait aussi que l’infection par le cytomégalovirus a un impact sur la composition sanguine, ce qui pourrait expliquer que certaines personnes infectées par ce virus peuvent être plus susceptibles aux infections.
Dans l’étude publiée en 2022, les analyses ont été poursuivies sur cette infection très commune et asymptomatique. Le cytomégalovirus est un virus de la famille des virus herpès, qui peut rester à l’état latent dans l’organisme. Les personnes qui développent des symptômes sont essentiellement des personnes immunodéprimées, c’est-à-dire dont les défenses immunitaires sont affaiblies.
Les nouvelles analyses révèlent que l’infection par le cytomégalovirus modifie les niveaux de méthylation du génome des personnes infectées. En effet, le virus utilise une protéine régulatrice de l’ADN humain (BRD4) pour désactiver ses propres gènes et échapper aux défenses immunitaires. Ceci entraîne un changement de la méthylation de l’ADN de la personne infectée.
La variabilité épigénétique est plus contrôlée par la génétique que par l’environnement
Un dernier enseignement a pu être tiré suite à une analyse plus large des différents facteurs affectant le méthylome. Cette analyse suggère que la génétique elle-même contrôlerait une grande part de la variation épigénétique. « L’influence de la génétique serait même plus forte que celle de l’environnement, ce qui va à l’encontre des hypothèses actuelles impliquant des effets environnementaux forts sur l’épigénome humain », résume Lluis Quintana-Murci (voir « épigénome » ci-dessous).
En savoir plus sur l'épigénome L’épigénome recouvre toutes les modifications de l’ADN qui modulent l’activité des gènes, sans en changer la séquence. La méthylation de l’ADN est une de ces modifications : un groupe méthyle est une molécule fixée sur la séquence d’un gène. Quand un gène possède beaucoup de groupes méthyles, il sera alors peu exprimé, et inversement. Sans aucun changement de la séquence génétique, la méthylation peut changer considérablement l’activité du gène. Ces changements épigénétiques se font de manière beaucoup plus rapide et plus flexible que les mutations génétiques. |
Source :
The immune factors driving DNA methylation variation in human blood, Nature Communications, October 6, 2022
Jacob Bergstedt1,2,3,*, Sadoune Ait Kaci Azzou1, Kristin Tsuo1, Anthony Jaquaniello1, Alejandra Urrutia4, Maxime Rotival1, David T. S. Lin5, Julia L. MacIsaac5, Michael S. Kobor5, Matthew L. Albert4, Darragh Duffy6, Etienne Patin1,#,*, Lluís Quintana-Murci1,7,#,*, Milieu Intérieur Consortium
1Institut Pasteur, Université de Paris, CNRS UMR2000, Human Evolutionary Genetics Unit, Paris, France
2Institute of Environmental Medicine, Karolinska Institutet, Stockholm, Sweden
3Department of Medical Epidemiology and Biostatistics, Karolinska Institutet, Stockholm, Sweden
4HI-Bio, South San Francisco, CA, USA
5Edwin S.H. Leong Healthy Aging Program, Centre for Molecular Medicine and Therapeutics, Department of Medical Genetics, University of British Columbia, Vancouver, Canada
6Institut Pasteur, Université de Paris, Translational Immunology Unit, Institut Pasteur, Paris, France
7Chair of Human Genomics and Evolution, Collège de France, Paris, France
#These authors contributed equally
*Correspondence: jacob.bergstedt@ki.se (J.B.), epatin@pasteur.fr (E.P.), quintana@pasteur.fr (L.Q.-M.)