Une publication internationale menée par un chercheur de l’Institut Pasteur dresse la chronologie la plus complète des adaptations génétiques de la population latino-américaine, avant et après l’arrivée des Européens.
De nouvelles analyses génétiques ont mis en lumière comment les populations autochtones ont évolué avant l’arrivée des Européens, et comment leur patrimoine génétique s’est modifié au cours des derniers siècles. Grâce à une nouvelle technique identifiant les signatures génétiques propres aux autochtones américains, une équipe de recherche internationale a mis en évidence des adaptations génétiques dans des gènes de l’immunité qui ont eu lieu suite au contact entre Américains et Européens. Ces derniers ont en effet apporté avec eux de nombreuses maladies infectieuses auxquelles les autochtones n’étaient pas adaptés, comme la variole ou la rougeole.
Ces nouvelles données, publiées dans la revue Molecular Biology and Evolution, révèlent également les variants d’un gène associé à la prééclampsie, une hypertension artérielle survenant au cours de la grossesse. Ces mutations auraient pu aider les peuples des Andes à éviter des complications au cours de la grossesse, qui ont plus tendance à se manifester à de hautes altitudes.
Une étude inédite du patrimoine génétique issu des premiers Américains
À l'aide d'un nouveau modèle statistique, les auteurs de l’étude ont scanné les génomes de 4000 volontaires de la cohorte du consortium CANDELA, recrutés au Brésil, en Colombie, au Chili, au Mexique et au Pérou. Ils ont ainsi pu détecter les signaux d’anciennes adaptations, se focalisant particulièrement sur les sujets ayant une plus grande ascendance autochtone. Jusque-là, les populations autochtones étaient largement sous-représentées dans les études génomiques. Cette technique permet de se passer d’ADN ancien, difficile à obtenir. Les chercheurs ont ainsi pu déterminer si des adaptations se sont produites uniquement chez les premiers américains ou dans la population mixte, après le contact avec les Européens, il y a environ 500 ans. Ils ont de cette manière évalué la pression que les maladies européennes ont exercé sur les populations américaines.
Des travaux antérieurs ayant porté sur les gènes HLA, sur le chromosome 6, impliqués dans la réponse immunitaire, ont montré que les Latino-Américains ont une ascendance africaine élevée dans cette région. Les populations africaines déplacées lors de la traite atlantique semblent avoir apporté des variants bénéfiques pour faire face aux maladies émergentes dans le pool génétique latino-américain. Les nouveaux résultats de cette étude vont dans le sens de cette hypothèse.
La sélection naturelle des gènes de l’immunité
Les chercheurs ont également identifié une ascendance européenne importante sur le gène CD101, qui joue un rôle important dans la régulation de l'inflammation. Les variants africains et européens de ce gène ont donc aidé les populations américaines à s’adapter aux pathogènes infectieux de l’Ancien Monde.
Le premier auteur de l’étude, Javier Mendoza-Revilla, de l’unité Génétique évolutive humaine de l’Institut Pasteur, également affilié à l’université Peruana Cayetano Heredia (Pérou) et ayant commencé ses travaux à l’University College de Londres (Royaume-Uni), souligne que « ces résultats sont extrêmement intéressants, car des études antérieures ont montré que la réponse inflammatoire varie d’une population humaine à l’autre. Cela met en évidence le compromis évolutif entre une forte réponse inflammatoire pour combattre les pathogènes et l’évitement des conséquences d’une inflammation aiguë ou chronique. » Les maladies apportées par les Européens auraient donc eu un impact important sur le système immunitaire des Latino-Américains d’aujourd’hui. « Cela pourrait avoir des conséquences, par exemple, sur le risque de développer des maladies auto-immunes. »
L’étude relève également pour la première fois des signes de sélection, avant le contact avec les Européens, sur deux autres gènes impliqués dans la réponse immunitaire, CD300LF et MIF. Ces gènes sont notamment impliqués dans la réponse immunitaire des macrophages, une des voies de l’inflammation. Ils pourraient avoir évolué de manière coordonnée afin de faire face aux nouveaux pathogènes que les premiers habitants du continent américain auraient rencontrés lors de leur arrivée sur ce territoire.
Des adaptations pour diminuer les risques de complications de grossesses
Vivre à une haute altitude, en raison du manque d’oxygène, peut avoir un impact sur la santé et des conséquences sur les grossesses. En effet, l’altitude est un facteur de risque d’une hypertension artérielle durant la grossesse, appelée aussi prééclampsie. Malgré ce danger, certaines populations, comme celles des Andes, vivent en altitude depuis des milliers d'années.
Le signal de sélection évolutive le plus fort détecté dans l'étude a été identifié chez les Péruviens ayant des ancêtres autochtones américains. L’étude montre en effet que les variants du gène STOX1, associé à la prééclampsie chez les femmes d'ascendance européenne, le sont aussi dans les populations andines, mais se retrouvent avec une fréquence bien plus faible. Au fil de l’histoire évolutive des Latino-Américains, les complications de grossesse induites par ce gène auraient donc peu à peu provoqué une diminution de sa fréquence dans la population. Désormais, les chercheurs souhaitent continuer à étudier cette histoire évolutive, pour comprendre comment les pressions de sélection impactent encore la santé actuelle de ces populations.
Source :
Disentangling Signatures of Selection Before and After European Colonization in Latin Americans, Molecular Biology and Evolution, 19 avril 2022
Javier Mendoza-Revilla1,2,3, J. Camilo Chacón-Duque4,5, Macarena Fuentes-Guajardo6, Louise Ormond1, Ke Wang7, Malena Hurtado3, Valeria Villegas3, Vanessa Granja3, Victor Acuña-Alonzo8, Claudia Jaramillo9, William Arias9, Rodrigo Barquera Lozano7,8, Jorge Gómez-Valdés8, Hugo Villamil-Ramírez10,11, Caio C. Silva de Cerqueira12, Keyla M. Badillo Rivera13, Maria A. Nieves-Colón14, Christopher R. Gignoux15, Genevieve L. Wojcik16, Andrés Moreno-Estrada17, Tábita Hunemeier12, Virginia Ramallo12,18, Lavinia Schuler-Faccini12, Rolando Gonzalez-José18, Maria-Cátira Bortolini12, Samuel Canizales-Quinteros10,11, Carla Gallo3, Giovanni Poletti3, Gabriel Bedoya9, Francisco Rothhammer19, David Balding1,20, Matteo Fumagalli21, Kaustubh Adhikari22, Andrés Ruiz-Linares1,23,24, Garrett Hellenthal1
1 - Department of Genetics, Evolution and Environment, and UCL Genetics Institute, University College London, London,
United Kingdom
2 - Human Evolutionary Genetics Unit, Institut Pasteur, UMR2000, CNRS, Paris, France
3 - Laboratorios de Investigación y Desarrollo, Facultad de Ciencias y Filosofía, Universidad Peruana Cayetano Heredia, Lima, Perú
4 - AQ2 Centre for Palaeogenetics, Stockholm, Sweden
5 - Department of Archaeology and Classical Studies, Stockholm University, Stockholm, Sweden
6 - Departamento de Tecnología Médica, Facultad de Ciencias de la Salud, Universidad de Tarapacá, Arica, Chile
7 - Department of Archaeogenetics, Max Planck Institute for the Science of Human History, Jena, Germany
8 - National Institute of Anthropology and History, Mexico City, Mexico
9 - GENMOL (Genética Molecular), Universidad de Antioquia, Medellín, Colombia
10 - Unidad de Genómica de Poblaciones Aplicada a la Salud, Facultad de Química, UNAM-Instituto Nacional de Medicina
Genómica, Mexico City, Mexico
11 - Universidad Nacional Autónoma de México e Instituto Nacional de Medicina Genómica, Mexico City, Mexico
12 - Departamento de Genética, Universidade Federal do Rio Grande do Sul, Porto Alegre, Brazil
13 - Department of Genetics, Stanford School of Medicine, Stanford, CA, USA
14 - Department of Anthropology, University of Minnesota Twin Cities, Minneapolis, MN, USA
15 - University of Colorado Anschutz Medical Campus, Aurora, CO, USA
16 - Bloomberg School of Public Health, John Hopkins University, Baltimore, MD, USA
17 - Laboratorio Nacional de Genómica para la Biodiversidad (UGA-LANGEBIO), CINVESTAV, Irapuato, Guanajuato, Mexico
18 - Instituto Patagónico de Ciencias Sociales y Humanas-Centro Nacional Patagónico, CONICET, Puerto Madryn, Argentina
19 - Instituto de Alta Investigación, Universidad de Tarapacá, Arica, Chile
20 - Schools of BioSciences and Mathematics & Statistics, University of Melbourne, Melbourne, Australia
21 - School of Biological and Behavioural Sciences, Queen Mary University of London, London, United Kingdom
22 - School of Mathematics and Statistics, Faculty of Science, Technology, Engineering and Mathematics, The Open University,
Milton Keynes, United Kingdom
23 - Ministry of Education Key Laboratory of Contemporary Anthropology and Collaborative Innovation Center of Genetics and
Development, Fudan University, Shanghai, China
24 - Aix-Marseille Université, CNRS, EFS, ADES, Marseille, France