Ebola, peste, choléra, Sras… Pathogènes émergents, menace imprévisible
100 ans après la pandémie de grippe la plus meurtrière de l'histoire de l'humanité - la grippe espagnole de 1918 - les maladies infectieuses émergentes et réémergentes continuent de représenter une menace pour la santé publique dans le monde entier. Alors que s’est tenue les 21-22 juin une conférence internationale Emerging Infections and Pandemic Risk, à l’Institut Pasteur, une épidémie d’Ebola s’achève en République démocratique du Congo. L’institut vient d’y envoyer une jeune chercheuse, afin de comprendre l’épidémie et participer à la lutte contre les prochaines qui pourraient survenir.
Un peu d’histoire pour commencer. Au 14e siècle, la peste noire remonte des rives de la méditerranée aux pays scandinaves. On estime que la maladie a tué entre 30 et 50 % de la population européenne en cinq ans (1347-1352) faisant environ vingt-cinq millions de victimes. L’Europe mettra deux siècles pour se repeupler et revenir au niveau démographique qui précédait l’arrivée de la peste noire. Cette maladie est due à un bacille (découvert par Alexandre Yersin) transmise par des puces, qui se fixent sur des rats et qui, en infectant les hommes, créent des bubons (sorte d’abcès) qui entrainent une septicémie, avec un risque de mortalité. Cet épisode de la peste noire est longtemps resté un exemple historique. Pourtant, en août 2017, il s’en est fallu de peu pour l’histoire ne se répète.
De la peste moyenâgeuse au risque contemporain
Alors que Madagascar est régulièrement exposé à des cas sporadiques de peste, un patient qui était atteint d’une forme pulmonaire, très contagieuse (simplement par la toux), a pris un taxi dans les hauts plateaux de Madagascar en direction de la capitale ! En arrivant à Antananarive, il a eu 31 contacts avec des personnes dans ce taxi, 10 ont été infectées, 4 sont décédées. C’était le début d’une épidémie de peste pulmonaire dans la capitale, et plus généralement sur l’île. « Nous étions très inquiets, en tant qu’épidémiologistes, explique le Pr Arnaud Fontanet, responsable de l’unité d’Épidémiologie des maladies émergentes à l’Institut Pasteur. On s’est en effet trouvé devant une épidémie qui touchait une capitale de 2 millions d’habitants, d’un pays dont on sait que le système de santé est fragile, avec une maladie transmissible de personne à personne. Avec neuf personnes de l’Institut Pasteur à Paris, nous sommes partis épauler nos collègues de l’Institut Pasteur de Madagascar. » Ils ont participé à la réponse de santé publique (lire le dossier Mobilisés contre la peste à Madagascar), avec le ministère de la santé malgache et l’Organisation mondiale de la santé, et l’épidémie était maitrisée au bout d’un mois.
Mobilisation contre Ebola en République démocratique du Congo
Au printemps 2018, c’est une épidémie de la fièvre hémorragique Ebola qui frappe la République démocratique du Congo (RDC). L’épidémie actuelle s’est déclarée dans une province au Nord-Ouest du pays, la province d’Equateur, zone frontière avec la République du Congo (Brazzaville). Si les premiers cas datent vraisemblablement d’avril 2018, l’épidémie d’Ebola a été confirmée dès début mai. « Ebola est connu en RDC et les symptômes ont tout de suite été évocateurs, explique le Pr Arnaud Fontanet. Le diagnostic a pu être établi dans un laboratoire de Kinshasa. À partir de l’officialisation des résultats, la réponse des autorités nationales a été forte. L’organisation mondiale de la Santé s’est également rapidement engagée. » (lire article Le point sur Ebola en République démocratique du Congo).
[vidéo] Quelles sont les caractéristiques de l’épidémie du virus Ebola qui sévit en République démocratique du Congo ? (source : Cnam)
De nombreux chercheurs se sont portés volontaires auprès de l’Organisation mondiale de la Santé, qui se situait le risque de propagation du virus à très élevé au niveau de la RDC. Les membres de l’Institut Pasteur et du réseau international ont ainsi répondu avec la Pasteur Outbreak Investigation Task Force (OITF) à l’appel du GOARN, le réseau mondial d'alerte et d'action en cas d'épidémie de l’OMS, lancé le 17 mai dernier. Après une riposte intensive de l’OMS face à l’épidémie, l’attention a aujourd’hui quitté les zones urbaines pour se porter sur des endroits plus isolés. Une scientifique de l’Institut Pasteur, Amber Kunkel (de l’OITF dans le Center for Global Health, dirigée par Arnaud Fontanet), est arrivée sur le terrain afin d’apporter son expertise épidémiologique pour lutter contre cette épidémie. Elle est arrivée vendredi le 6 juillet et s’est rendue à Mbandaka. Elle va travailler avec la base de données des cas répertoriés, assistera la surveillance des cas d’alertes et établira des rapports épidémiologiques. Sa mission durera, pour l’instant, 4 semaines. L’OITF a aussi organisé des points réguliers avec tous les Pasteuriens qui s’occupent de l’épidémie et, avec la Direction internationale, les membres de l’OITF ont assurés le lien avec les partenaires et le Réseau international des instituts Pasteur (RIIP) pour soutenir à distance la réponse de santé publique.
Arnaud Fontanet explique : « Cette épidémie vient de connaître un tournant avec l’identification d’un cas aux abords de Mbandaka, une agglomération de 1,2 million d’habitants. Le risque de propagation en milieu urbain fait revivre les craintes de l’épidémie de 2014 qui avait touché trois capitales d’Afrique de l’ouest. Il faut donc impérativement stopper la propagation du virus avant qu’il ne s’installe en ville. » Selon l’OMS, l’épidémie est apparemment désormais contrôlée. Une fois la fin de l’épidémie déclarée, l’OITF, le Centre de recherche translationnelle (CRT), la Direction internationale (DI) et le RIIP vont travailler sur l’anticipation des prochaines épidémies d’Ebola et soutenir la République démocratique du Congo dans leur futur plan de recherche contre Ebola (plan déjà discuté à l’OMS). L’Institut Pasteur à Paris et 5 autres membres du réseau international en Afrique subsaharienne font partie du réseau ALERRT (African coaLition for Epidemic Research, Response and Training). Le réseau ALERRT, fondé par le partenariat Europe-Pays en développement pour les essais cliniques (ou European & Developing Countries Clinical Trials Partnership - EDCTP), promeut la recherche clinique sur les épidémies et l’Institut Pasteur va travailler avec lui pour planifier le futur.
Virus Ebola (famille des Filoviridae). Virus filamenteux (le plus long que l'on connaisse), responsable de fortes fièvres et d'hémorragies internes souvent mortelles pour l'homme et le singe. Le réservoir du virus serait la chauve-souris. Image colorisée. © Institut Pasteur/Pierre Gounon
L’Institut Pasteur a proposé son aide
Au-delà de l’unité Épidémiologie des maladies émergentes et le Center for Global Health dirigé par Arnaud Fontanet, d’autres laboratoires pasteuriens à l’Institut Pasteur (Paris) et le RIIP ont répondu avec l’OITF à l’appel du GOARN (réseau mondial d’alerte et d’action en cas d’épidémie de l’Organisation mondiale de la santé) et se tiennent prêtes en cas de nouvelle sollicitation de l’OMS.
- L’unité de Biologie des infections virales émergentes (UBIVE) dirigée Sylvain Baize. Cette équipe bénéficie d’une expertise importante sur les fièvres hémorragiques. Elle a accès au laboratoire P4 INSERM-Jean Mérieux, qui permet la manipulation de ce virus hautement pathogène. Le Centre national de référence des Fièvres hémorragiques virales de l’Institut Pasteur est aussi dirigé par Sylvain Baize. Il est hébergé au sein de l’UBIVE. Le chercheur explique : « Les personnes missionnées sur le terrain sont des experts dans leur domaine pour permettre une grande réactivité. Il ne faut pas oublier qu’une mission implique des semaines passées sur le terrain dans des conditions difficiles et impose une rigueur de chaque instant pour procéder au traitement des échantillons et à l’analyse des données. »
- La CIBU (Cellule d’Intervention Biologique d’Urgence) dirigée par Jean-Claude Manuguerra. Cette équipe pourrait envoyer plusieurs collaborateurs pour aider à enrayer cette épidémie. Le rôle de la CIBU est de répondre à tout instant aux urgences biologiques par la détection et l’identification d’un large spectre de pathogènes, en France et à l’International. Comme le souligne Jean-Claude Manuguerra, qui avait déjà participé aux missions précédentes : « Nous avons répondu immédiatement à l’appel de l’OMS car le temps joue toujours en faveur d’une épidémie. Il faut donc essayer de la contenir le plus rapidement possible. Le virus Ebola est un virus particulièrement dangereux et contagieux car il se transmet de personne à personne. Il faut donc diagnostiquer les cas de manière efficace et rapide. »
- Dans le RIIP, le laboratoire mobile de l’Institut Pasteur de Dakar est allé sur le terrain à Bikoro, et le Pr Gary Kobinger de l’université de Laval a été convié à aider l’Institut National de Recherche Biomédicale (en RDC), sur les questions de diagnostic sur le terrain.
Par le passé, des membres de l’Institut Pasteur ont déjà participé à des missions de terrain, dont celles organisées lors de l’épidémie de 2013-2016, la plus grande épidémie mondiale d’Ebola (lire dossier Ebola 2013-2016, ou comment faire face aux nouvelles épidémies…).
Les animaux, réservoirs de virus
Mais d’où viennent ces virus émergents ? Tout d’abord, ce terme regroupe plusieurs cas de figure :
- un virus « nouveau », jusqu’alors inconnu, qui se répand dans la population humaine. Ce fut le cas du coronavirus du Sras, et également celui du virus du sida, redoutable virus émergent du 20e siècle.
- un virus nouvellement identifié responsable d’une maladie connue. C’est l’exemple du virus de l’hépatite C, découvert en 1989. Cette hépatite était auparavant nommée « non-A non-B ». Aujourd’hui, les agents responsables de nombreuses maladies restent inconnus.
- un virus connu mais qui gagne de nouvelles zones géographiques : ce fut le cas du virus Ebola L’épidémie d’Ebola, qui a frappé l’Afrique de l’Ouest en 2013-2016, alors que le virus n’avait sévi jusque-là qu’en Afrique centrale. L’apparition dans de nouvelles zones géographiques est aussi le cas des virus West Nile, de la dengue et du Chikungunya.
Les « nouveaux » virus ne viennent pas de nulle part : comme on l’a vu dans le cas du Sras, ils franchissent la « barrière d’espèce », passant de l’animal à l’homme. Le sida, maladie découverte en 1981 aux États-Unis, existait déjà depuis plusieurs décennies en Afrique, où le principal virus en cause, le VIH-1, serait passé du singe à l’homme dans les années 30. Le virus Ebola, responsable d’une fièvre hémorragique mortelle dans 50 à 90 % des cas, et dont le premier cas répertorié date de 1976 au Soudan, peut être transmis à l’homme par des grands singes, mais ses animaux « réservoirs » sont des chauves-souris.
D’autres conditions devront être réunies pour que de « nouveaux » virus passent d’une zone géographique limitée à une diffusion planétaire (voir entretien ci-dessous).
endif; ?>L’humanité doit faire face tous les cinq ans à une crise majeure due à l’émergence d’un virus.
Peut-on prédire l’apparition de virus émergents ?
Face aux cancers, aux maladies cardiovasculaires ou neurodégénératives, on peut prédire le nombre de cas dans les décennies à venir et s’organiser en fonction. Avec les maladies infectieuses, il est impossible d’anticiper : tout peut basculer en un week-end, comme en avril 2009, quand le monde entier s’est tourné vers le Mexique où sévissait un nouveau virus grippal. L’impact d’une épidémie est considérable sur l’organisation sociale, l’économie, et bien sûr la mortalité et la morbidité. Or l’humanité doit faire face tous les cinq ans en moyenne à une crise majeure due à l’émergence d’un virus. Et ce phénomène ne va pas s’arrêter : la population mondiale est de plus en plus dense et de plus en plus mobile !
Toutes les conditions sont réunies pour qu’un virus animal émergeant dans un groupe humain ait l’opportunité de s’adapter à l’homme et de provoquer une épidémie.
Justement, comment un virus apparu chez un petit nombre de personnes peut-il devenir pandémique ?
Tout se joue dès les premiers cas humains. Dans la majorité des cas, un virus ayant réussi à passer de l’animal à l’homme ne s’adapte pas à son nouvel hôte, et le phénomène s’éteint de lui-même. Mais, par le jeu des mutations aléatoires, de nouveaux variants peuvent apparaître, mieux adaptés à l’homme et capables de se transmettre d’un individu à l’autre.
L’exemple type de cette menace est le virus de la grippe aviaire, H5N1 : il a réussi à infecter environ 600 personnes dans le monde, contaminées directement par des volailles. Bien heureusement, H5N1, mortel dans 50 % des cas, ne se transmet pas d’homme à homme. Si cette transmission interhumaine devenait un jour possible – même au détriment de la virulence du H5N1 –, on pourrait craindre une épidémie majeure.
Comment peut-on se préparer à de tels risques ?
En cas d’épidémie, le temps compte : plus il y a de personnes infectées, plus l’épidémie devient difficile à contenir et mieux le virus s’adapte à l’homme et risque de devenir plus contagieux. La surveillance se développe à l’échelon planétaire pour pouvoir détecter rapidement des cas groupés de malades ayant des symptômes anormaux, afin d’agir immédiatement, sur place, en prenant des mesures – isolement, quarantaine – pour limiter la diffusion. Puis, à partir des premiers échantillons, il s’agit d’identifier au plus vite le virus en cause, pour avoir un test de diagnostic. C’est primordial pour la gestion de l’épidémie : il est essentiel de savoir qui est réellement infecté et qui ne l’est pas, pour pouvoir prendre en charge les malades et aussi leurs contacts. Sans une action rapide, on perd vite le contrôle.
Se préparer aux épidémies émergentes n'a jamais été aussi impératif
Parmi les illustrations récentes figurent donc les épidémies de Sras, de grippe H1N1, de MERS-CoV, d’Ebola et de Zika, toutes associées à la santé et aux conséquences économiques plus larges et à l’instabilité sociale.
L’urbanisation rapide, la mobilité accrue et l’interdépendance économique mondiale exacerbent cette menace et ajoutent au défi de l'endiguement. De plus, 75% des maladies infectieuses émergentes qui ont affecté les humains au cours des trois dernières décennies sont connues pour être d’origine zoonotique. La santé humaine est maintenant non seulement affectée par un monde de plus en plus interconnecté, mais la santé humaine, la santé animale et la santé de l'écosystème environnant sont inextricablement liées. Être adéquatement préparé à détecter, gérer et répondre aux épidémies émergentes de maladies infectieuses n'a jamais été aussi impératif.
Les 100 ans de la pandémie de grippe “espagnole”
« Dans les derniers jours de novembre 1918, Edmond Rostand quitta sa propriété de Cambo et se rendit à Paris pour participer à l’allégresse générale de l’armistice. Un soir il alla au théâtre Sarah Bernhardt assister à une répétition de l’Aiglon avec la grande actrice. Il prit froid dans les coulisses et rentra chez lui frissonnant et souffrant de douleurs thoraciques. Le lendemain, 30 novembre, la fièvre atteignait 41 °C. Deux jours plus tard il était mort. »*
La fin foudroyante de l’auteur de Cyrano de Bergerac illustre bien la violence de la grippe “espagnole”, qui emporta aussi le poète français Guillaume Apollinaire ou le peintre autrichien Egon Schiele, et 40 millions d’autres personnes dans le monde (plus de 400 000 morts en France).
Cette grippe plus meurtrière que la Première Guerre mondiale se répandit en quelques mois sur la planète, touchant plus du tiers de la population mondiale entre 1918 et 1919. Elle fut baptisée “grippe espagnole” car l’Espagne, neutre en ces temps de guerre donc non concernée par le secret militaire, fut le premier pays à mentionner publiquement l’épidémie.
Mais cette pandémie, la plus meurtrière de l’Histoire dans un laps de temps aussi court, prit probablement sa source en Chine avant de passer aux États-Unis, par le biais d’un bataillon américain revenant de la région de Canton vers une base de Boston. C’est dans des camps militaires américains que les premiers morts furent recensés dès février 1918. Le virus aurait muté aux Etats-Unis pour devenir plus virulent et plus mortel, puis aurait été introduit au printemps en Europe lors du débarquement des troupes américaines. Il diffusa ensuite dans le reste du monde au gré des échanges entre les métropoles européennes et leurs colonies.
Le virus A(H1N1) de 1918 (un lointain ancêtre de celui de la pandémie 2009) a pu être caractérisé dans les années 1990 par l’équipe de Jeffery Taubenberger grâce à l’analyse de tissus fixés dans la paraffine, issus des collections du service de santé de l’armée américaine, provenant de 2 soldats décédés en 1918. Puis la même équipe révéla la séquence génomique complète du virus en 2005, grâce à l’ARN viral isolé des poumons d’une femme inuit, autre victime de 1918, exhumée en Alaska du permafrost (partie profonde du sol gelée toute l’année) par le pathologiste suédois Johan Hultin. Certains éléments sont désormais mieux compris, mais on ne sait toujours pas pourquoi le virus de 1918 fut si virulent (ce qui aiderait à évaluer les risques liés à n’importe quelle souche de grippe). L’enquête scientifique n’est pas close…
« - Quel goût étrange a votre gâteau !
- Une fève à l’antipyrine, à cause de l’Influenza ! »
L’épidémie de Sras, la première pandémie du 21e siècle
Hôtel Métropole, Hong Kong, 9e étage, chambre 911 : le Docteur F. arrive de Chine continentale. Il ne se sent pas bien. Il a des symptômes analogues à ceux de patients qu’il a soignés récemment dans la province de Guangdong. Il tousse, a beaucoup de mal à respirer, souffre de maux de tête, se sent fiévreux… Il est hospitalisé le lendemain, après avoir croisé de nombreuses personnes dans le hall, les ascenseurs et les couloirs de l’hôtel Métropole. Madame L., une touriste canadienne de 78 ans, y séjourne au même moment. À son retour au Canada quelques jours plus tard, elle se réunit en famille, sans imaginer que ces petites retrouvailles auront de fâcheuses conséquences.
Dans le même temps, un homme d’affaires sino-américain est admis à l’hôpital français de Hanoï au Vietnam pour une « pneumopathie atypique ». Puis, c’est une jeune femme de 26 ans qui arrive dans le même hôpital avec les mêmes symptômes. Quoi de commun entre ces deux patients ? Ils ont tous deux séjourné… au 9e étage de l’hôtel Métropole. Très rapidement, le Dr F. meurt à Hong Kong. Cinq membres de la famille de Madame L. tombent malades à Toronto et déclenchent un début d’épidémie au Canada. À l’hôpital français de Hanoï, 22 membres du personnel sont atteints d’une « pneumopathie atypique ». À Singapour, une flambée épidémique de la mystérieuse maladie a elle aussi pour origine des clients de l’hôtel Métropole. Tous ces événements se sont déroulés en 15 jours à peine.
Science-fiction ?
Non, réalité historique. Ces faits ont bien eu lieu, entre le 21 février et le 10 mars 2003, peu avant que l’Organisation mondiale de la santé lance une alerte mondiale destinée à contenir ce qui fut la première épidémie du XXIe siècle due à une maladie émergente : celle du Sras, pour « syndrome respiratoire aigu sévère ». L’OMS savait qu’une curieuse maladie contagieuse sévissait depuis plusieurs semaines dans la province chinoise de Guangdong. Avec les contaminations survenues à l’hôtel Métropole, elle sortait des frontières de la Chine. La cause du Sras fut découverte en quelques semaines : un « coronavirus » jusqu’ici inconnu. Les civettes palmistes masquées de l’Himalaya, animaux dont la dégustation était à la mode dans certaines provinces chinoises, furent suspectées d’avoir transmis ce virus à l’homme : leur commerce fut interdit et les élevages abattus. A coup
de restrictions des vols internationaux vers les zones touchées, d’isolement des personnes contaminées et de mise en quarantaine de leurs contacts, de collaborations entre des laboratoires du monde entier, l’épidémie, qui toucha tout de même 8 000 personnes et fit près de 800 morts dans 27 pays, put être endiguée en quelques mois. Ses dégâts ne se chiffrent pas qu’en pertes humaines : le coût global du Sras a été estimé à 25 milliards d’euros...
L’épisode de l’hôtel international de Hong Kong – d’où le coronavirus diffusa vers plusieurs pays à partir d’un « contaminateur » unique – montre bien à quel point un nouveau virus peut se répandre très rapidement sur la planète. Tout virus émergeant à un coin du globe n’est, somme toute, qu’à un vol d’avion de nous.
La santé globale et le Réseau international des instituts Pasteur
Tous les départs de volontaires sont coordonnés, à l’Institut Pasteur, par la force d’intervention d’urgence sur les épidémies, aussi appelée Outbreak Investigation Taskforce (OITF).
L’OITF a été créée en 2014, lors de la première grande épidémie d’Ebola. En 2015, plus de 50 chercheurs issus de 10 instituts du Réseau international des instituts Pasteur (RIIP) ont rejoint cette force ; maintenant l’OITF est ouvert pour tous les scientifiques du RIIP.
De nombreuses disciplines sont représentées dans la Task Force, dont l’épidémiologie, la microbiologie, l’entomologie, les sciences sociales et la médecine vétérinaire. Tous les ans, les membres de l’OITF, notamment des Pasteuriens, sont déployés sur plusieurs foyers épidémiques dans le monde, en lien avec l’OMS et en soutien des instituts du RIIP.
Avec l'OITF, les chercheurs de l’Institut Pasteur et du RIIP sont éligibles de se déployer avec l’OMS afin de s’impliquer, lors de crises sanitaires, dans les réponses multilatérales (coordonnées par l'OMS) ou bilatérales (pour soutenir d'autres instituts au RIIP), ou bien directement suite à l’invitation du gouvernement d'un pays.
Eileen Farnon, coordinatrice de l’OITF, précise ainsi : « Mon rôle, en tant que coordinatrice de la Task Force, est de travailler en direct avec l’OMS et les autres partenaires afin de répondre le plus rapidement et le plus efficacement possible aux besoins médicaux des populations lors de la survenue d’une nouvelle épidémie. Je distribue les appels d’assistance du GOARN à tous les membres de l’Institut Pasteur à Paris, et dans le Réseau international. Nous avons un réseau très fort et notre responsabilité est de sélectionner les meilleurs experts pour faire face à des crises sanitaires de grande ampleur et soutenir les ministères de la Santé dans leurs réponses aux épidémies. Pour suivre cette nouvelle épidémie d’Ebola, qui touche actuellement la RDC, l’OITF a sélectionné des spécialistes de l’Institut Pasteur à Paris, à Lyon et d’autres instituts dans le RIIP (Algérie et Shanghaï). Les réponses efficaces aux épidémies, d’envergure mondiale, nécessitent souvent l’aide des institutions internationales pour être contrôlée et en apprendre davantage sur la maladie afin de mieux la prévenir, la détecter et contrôler les futures épidémies à venir. » L’Institut Pasteur a des scientifiques dévoués qui peuvent soutenir les pays sur ces domaines multidisciplinaires, soit en partenariat avec des organisations comme GOARN, ALERRT ou d’autres, soit directement. « L'OITF sert à faciliter ce soutien de l’Institut Pasteur, à Paris, et du Réseau international des instituts Pasteur. Il facilite aussi la communication au sein du réseau pour aider les pays avec une réponse forte et coordonnée aux épidémies. »
Au sein du Réseau international des instituts Pasteur (RIIP), différents membres ont manifesté leur capacité d’intervention auprès des autorités sanitaires nationales et internationales particulièrement dans l’accès au diagnostic. Marc Jouan, directeur du RIIP, souligne : « Les instituts Pasteur en Afrique ont montré lors de la précédente épidémie leur capacité de se mobiliser dans la durée pour faire face à ce type de crise sanitaire et de coopérer avec les pays voisins. »