Les bactéries du genre Yersinia sont très nombreuses et diffèrent notamment par leur capacité à provoquer une maladie (leur pouvoir pathogène) ou pas. Yersinia pestis est ainsi responsable de la peste, tandis que Yersinia enterocolitica et Yersinia pseudotuberculosis sont des bactéries responsables d’affections intestinales. Des chercheurs de l’Institut Pasteur ont développé une nouvelle méthode d’analyse génomique pour classer et identifier toutes les souches de Yersinia et estimer leur pouvoir pathogène.
Le genre Yersinia, qui appartient à la famille des entérobactéries, est actuellement composé de 19 espèces et comprend trois agents pathogènes qui touchent l’Homme :
- l’agent de la peste Yersinia pestis ;
- et les pathogènes alimentaires Yersinia enterocolitica et Yersinia pseudotuberculosis, qui sont responsables de yersiniose entérique, une maladie pouvant être transmise par les aliments.
Yersinia enterocolitica représente la troisième cause de diarrhée d’origine bactérienne dans les pays tempérés et froids, après Salmonella et Campylobacter. En France, les infections se manifestent le plus souvent sous forme de cas sporadiques ou de cas groupés en faible nombre.
« Jusqu’à présent, l’identification des souches était réalisée grâce à des méthodes biochimiques qui peuvent manquer de résolution. Elles reposent en effet sur des réactions métaboliques qui, en cas de réaction atypique, aboutiront à une mauvaise identification» déclare Cyril Savin, responsable-adjoint du Centre national de référence (CNR) de la peste et autres yersinioses, hébergé à l’Institut Pasteur.
Une identification plus précise nécessaire
Dans ce contexte, une stratégie d’identification applicable à toutes les espèces de Yersinia, y compris celles non encore décrites, s’avère utile. Les chercheurs de l’unité Biodiversité et épidémiologie des bactéries pathogènes de l’Institut Pasteur, en collaboration avec le CNR et le Hub de bioinformatique-biostatistique du département de Biologie computationnelle, ont donc cherché à développer une méthode d’identification des souches du genre Yersinia basée sur le génome (ensemble des gènes contenus dans l’ADN).
« Nous avons mis au point une méthode d’analyse de la séquence du génome qui permet d’en faire une traduction rapide et compréhensible », explique Sylvain Brisse, responsable de l’unité Biodiversité et Epidémiologie des Bactéries Pathogènes. « En scannant pour chaque souche la séquence de nombreux gènes du génome de Yersinia, on se rend compte que chaque bactérie possède un profil génétique unique. La méthode consiste à transformer ce profil génétique en une sorte de ‘code-barre’ standardisé. »
En utilisant cette méthode sur le genre Yersinia, plus de 3000 code-barre ont été recensés, dont certains mettant au jour de nouvelles espèces. « Nous avons abouti à un langage standardisé pour que chaque laboratoire puisse maintenant reconnaître ces codes », poursuit Sylvain Brisse. Pour diffuser la méthode, une base de données de « code-barres » (profils génomiques) et l’identification correspondante a été rendue accessible publiquement, permettant aux laboratoires du monde entier d’identifier les souches de Yersinia à l’aide de leurs propres séquences génomiques.
Grâce à un algorithme de classification automatisé, chaque profil génomique est associé à son espèce et à sa lignée génétique. « La comparaison des profils génétiques des souches de Yersinia a révélé une biodiversité inattendue, révélant plusieurs espèces nouvelles et inconnues jusqu’alors. Grâce au profil génomique des souches, leur identification est désormais extrêmement fiable », souligne Alexis Criscuolo, bioinformaticien au département de Biologie computationnelle. « Cette méthode nous permet également de mieux définir le pouvoir pathogène des souches que nous recevons au CNR. Environ 33% d’entre elles ne sont pas pathogènes ! », souligne Cyril Savin. Le pouvoir pathogène étant différent d’une souche de Yersinia à une autre, l’identification précise des souches est en effet essentielle : « Elle permet à la fois un meilleur suivi des patients et oriente le déploiement de mesures de santé publique », explique Javier Pizarro-Cerdá, responsable de l’unité de recherche Yersinia à l’Institut Pasteur.
La taxonomie des souches, un enjeu de taille dans les infections bactériennes
Lorsqu’il s’agit des maladies infectieuses, l’analyse de la diversité des souches microbiennes est essentielle. Dans le cadre de son Plan Stratégique 2019-2023, l’Institut Pasteur cherche à renforcer son expertise dans la taxonomie des souches microbiennes (branche de la biologie qui a pour objet de regrouper les organismes vivants en entités appelées taxons afin de les identifier). Ce projet de taxonomie génomique s’inscrit dans un programme plus large. Afin d’accroître l’impact de la recherche sur la santé, l’Institut Pasteur développe en effet un projet qui vise à organiser, mieux caractériser et valoriser les collections biologiques de l’Institut Pasteur, en lien avec les Centres nationaux de références (CNR) et les instituts membres du Réseau International des Instituts Pasteur. Une vision qui s’inscrit dans le concept de santé mondiale (Global Health) s’appuyant sur l’idée que la santé doit être considérée à l’échelle internationale, et aussi considérer ensemble les santés humaine, animale et environnementale qui dépendent les unes des autres et forment un tout (concept One Health ) Dans ce cadre, d’autres projets de taxonomie génomique ont déjà abouti pour surveiller, classer et déchiffrer les souches d’autres bactéries étudiées à l’Institut Pasteur comme Listeria, Leptospira, Klebsiella et la plus rare Elizabethkingia.
Le partage libre des profils génomiques de référence et leurs code-barres associés facilitera les études de parenté génétique entre souches, ce qui permettra de détecter des épidémies et de mieux comprendre par quelles voies les souches se transmettent à l’échelle internationale et entre l’environnement, l’animal, les aliments et l’homme.
Source
Genus-wide Yersinia core-genome multilocus sequence typing for species identification and strain characterization, Microbial Genomics, 3 octobre 2019
Cyril Savin1,2,3, Alexis Criscuolo4, Julien Guglielmini4, Anne-Sophie Le Guern1,2,3, Elisabeth Carniel1,2,3, Javier Pizarro-Cerdá1,2,3, Sylvain Brisse5
1 Yersinia Research Unit, Institut Pasteur, Paris, France
2 National Reference Laboratory for Plague and Other Yersinioses, Institut Pasteur, Paris, France
3 WHO Collaborating Centre for Yersinia, Institut Pasteur, Paris, France
4 Hub de Bioinformatique et Biostatistique – Département Biologie Computationnelle, Institut Pasteur, USR 3756 CNRS, Paris, France
5 Biodiversity and Epidemiology of Bacterial Pathogens, Institut Pasteur, Paris, France