Les virus à ARN, comme celui de la grippe, s’adaptent très facilement du fait de leur grande variabilité génétique. Pour les combattre, des chercheurs de l’Institut Pasteur – des virologistes spécialisés dans l’évolution des virus – ont eu l’idée d’altérer leur devenir. Avec des collègues de l’Inserm, de l’université Paris-Diderot et de l’université de Lund (Suède), ils ont réussi à modifier les génomes d’un entérovirus puis d’un virus de la grippe, diminuant leur capacité à se répliquer et à devenir virulents. Cette méthode de conception de vaccins est innovante, dirigée et précise.
« Les virus à ARN évoluent et s’adaptent facilement du fait de leur grande variabilité génétique. » C’est la base du travail réalisé par l’unité Populations virales et pathogénèse, dirigée par Marco Vignuzzi. « C’est pourquoi les virus à ARN représentent une menace sérieuse pour la santé humaine », explique Gonzalo Moratorio post-doctorant dans l’équipe et premier auteur de l’article paru dans la revue Nature Microbiology, qui s’apprête à retourner en Uruguay où il occupera un poste de professeur assistant à la faculté des sciences.
Et si ce potentiel d’adaptation devenait leur talon d’achille ? « Nous sommes des virologistes spécialisés dans l’évolution des virus et, à ce titre, nous avons cherché un moyen de donner un futur misérable à ces virus, à les atténuer, en modifiant génétiquement leur devenir. »
La population de virus est liée à la pathogenèse
On sait déjà que les virus à ARN sont « des quasi-espèces qui vivent et circulent comme une population de divers variants génétiquement liés », selon un article de Marco Vignuzzi paru en 2006 dans Nature, démontrant le lien entre les populations de virus et la pathogenèse. « De génération en génération, les virus mutent. Et ils mutent beaucoup. C’est d’ailleurs là que réside leur grande capacité d’adaptation. Les virus à ARN sont même connus pour être les organismes qui évoluent le plus vite sur Terre. » En plus d’un taux de mutation élevé, ils sont incapables de corriger les erreurs dans le matériel génétique. « C’est le prix à payer de leur adaptabilité. La plupart de leurs mutations est délétère ! D’autres mutations les rendent particulièrement virulents », ajoute Gonzalo Moratorio.
Des génomes viraux, issus du génie génétique, pour orienter les mutations
L’idée des chercheurs a donc été d’augmenter la part de mutations délétères. En modifiant la qualité de réplication des virus, ils diminuent la capacité des virus à donner une progéniture viable dans l’environnement et, in fine, stoppent la propagation virale.
« Nous avons modifié les génomes du virus Coxsackie B3 [entérovirus] et de celui de la grippe A, pour orienter leur évolution vers des mutations délétères. Et ça fonctionne ! Nous avons changé, dans les génomes viraux, des codons synonymes désignant les acides aminés sérine et leucine. Ces changements ont amené les virus à générer plus de mutations dites "stop", à la fois in vitro et in vivo. Les mutations "stop" inhibent le cycle de vie des virus. Même si tous les virus n’ont pas généré la mutation "stop", ils étaient suffisamment nombreux à le faire pour que, au global, la population virale s’est effondrée. » Les chercheurs n’ont donc rien eu à faire que d’observer la multiplication des virus qui progressivement diminuait, s’accompagnant bien sûr de pertes importantes dans la virulence (l’effet escompté).
Un vaccin candidat efficace
Cette technique de biologie moléculaire utilise des concepts d’évolution pour modifier génétiquement les virus afin de les atténuer, tout en protégeant les souris vaccinées. C’est une méthode vaccinale innovante qui a fait l’objet d’un dépôt de brevet à l’Institut Pasteur. In vivo, les chercheurs ont prouvé que des souris, ainsi immunisées avec ces vaccins candidats, étaient protégées contre une infection létale. « Nous avons démontré que cette stratégie peut être mis en œuvre dans le cadre d’une vaccination à large spectre contre les virus à ARN ». Les vaccins restent en effet le moyen le plus efficace de lutter contre la mortalité causée par les virus à ARN, mais aujourd’hui les vaccins viraux sont rares.
Cette étude, soutenue par un Grand programme fédérateur en vaccinologie de l’Institut Pasteur, une bourse Pasteur-Roux-Cantarini et une bourse ERC, est le fruit du travail conjoint de mathématiciens et de biologistes au sein de l’unité, dans un domaine nommé par l'équipe « virologie informatique et mathématique » (computational and mathematical virology).
Bien qu’encore à l’état expérimental, ces résultats représentent un immense espoir dans la vaccination contre les virus à ARN. Au cours des dernières années, plusieurs épidémies sévères de maladies provoquées par des virus à ARN se sont produites : les virus Chikungunya et Zika dans les Amériques, les coronavirus au Moyen-Orient et le virus Ebola (dossier à lire dans Le Journal de la Recherche) en Afrique de l’Ouest.
Source
Attenuation of RNA viruses by redirecting their evolution in sequence space, Nature Microbiology, 5 juin 2017.
Gonzalo Moratorio1, Rasmus Henningsson1,2,3*, Cyril Barbezange1*, Lucia Carrau1,4, Antonio V. Bordería1,2, Hervé Blanc1, Stéphanie Beaucourt1, EnzoZ.Poirier1,4, Thomas Vallet1, Jeremy Boussier2,5,6, BryanC.Mounce1, Magnus Fontes2,3 and Marco Vignuzzi1
1. Viral Populations and Pathogenesis Unit, Institut Pasteur, CNRS UMR 3569, 28 rue du Dr. Roux, 75724 Paris cedex 15, France.
2. International Group for Data Analysis, Institut Pasteur, C3BI, USR 3756 IP CNRS, 28 rue du Dr. Roux, 75724 Paris cedex 15, France.
3. Centre for Mathematical Sciences, Lund University, 22100 Lund, Sweden.
4. Sorbonne Paris Cité, Université Paris Diderot, Cellule Pasteur, 75013 Paris, France.
5. Unité d’Immunobiologie des Cellules Dendritiques, Institut Pasteur, Inserm 1223, 25 rue du Dr. Roux, 75724 Paris cedex 15, Paris, France.
6. Ecole doctorale Frontières du vivant, Université Paris Diderot, 75013 Paris, France.
*These authors contributed equally to this work.