Certaines bactéries pathogènes, dites AIEC, se lient à la muqueuse intestinale et on les retrouve fréquemment chez les patients atteints de la maladie de Crohn. Des chercheurs de l’Institut Pasteur, en collaboration avec des chercheurs de l’Université Clermont Auvergne et de la faculté des sciences pharmaceutiques et biologiques de Lille, ont administré un cocktail de bactériophages, par voie buccale, à des souris modèles pour la maladie. La concentration de bactéries AEIC a baissé et des symptômes ont disparu. Un espoir de futur traitement pour les patients qui souffrent de la maladie de Crohn.
La maladie de Crohn est une inflammation chronique du tube digestif qui toucherait environ une personne sur mille, en France. On ne sait pas soigner cette maladie, et il est parfois difficile d’en contrôler les douleurs abdominales ou autres symptômes plus invalidants encore. Il faut dire que les causes de cette maladie restent mal connues. On sait toutefois qu’il existe des lésions au niveau du tube digestif, dans la partie finale de l’intestin grêle, l’iléon, située juste avant le côlon. Et, dans ces lésions iléales, chez environ 30% des patients on retrouve des bactéries pathogènes : des Escherichia coli dites adhérent-invasives (AIEC, pour Adherent Invasive Escherichia coli, en anglais). Ces bactéries se lient à un récepteur (CEACAM6) à la surface des cellules épithéliales. « Nous savons depuis longtemps que partout où il y a des bactéries, il y a des bactériophages, y compris dans notre intestin, et la plupart de ces bactériophages ont pour fonction d’infecter et de tuer les bactéries, explique Laurent Debarbieux, chef du groupe Interactions bactériophages / bactéries chez l’animal à l’Institut Pasteur. Dans la maladie de Crohn, la composition du microbiote (l’ensemble des bactéries) intestinal est déséquilibrée. Nous cherchons donc à rétablir cet équilibre en administrant des bactériophages qui vont cibler spécifiquement les AIEC sans toucher le reste du microbiote, contrairement aux antibiotiques. »
Rappelons que cette équipe de l’Institut Pasteur étudie les bactériophages et leur application thérapeutique. Fort de cette expertise, ils ont cherché à réduire les concentrations de bactéries AIEC liées à la muqueuse intestinale de souris. En travaillant avec des confrères de l’Université Clermont Auvergne et de la faculté des sciences pharmaceutiques et biologiques de Lille, « nous avons constaté que trois bactériophages étaient capables de se répliquer dans l'iléon, poursuit Laurent Debarbieux. Et, un seul jour de traitement avec ce cocktail de trois bactériophages, administré par voie buccale, a suffi pour observer une diminution significative du nombre de AIEC dans les matières fécales et au sein même de l’intestin. » Les chercheurs ont aussi constaté que, chez les souris, une seule administration permettait d’obtenir une diminution qui persistait durant deux semaines et qui s’accompagnait d’une réduction des symptômes de colite.
Ces résultats, confirmés par des analyses sur des échantillons intestinaux humains, démontrent que les bactériophages représentent une nouvelle option de traitement pour cibler les AIEC chez les patients qui souffrent de la maladie de Crohn. C’est également une base solide pour passer désormais à un essai clinique.
Ces résultats ont été obtenus avec le soutien la fondation DigestScience et de Ferring International Center SA.
Source
Bacteriophages targeting adherent invasive Escherichia coli strains as a promising new treatment for Crohn’s disease, J Crohns Colitis, 12 janvier 2017
Matthieu Galtier,1,2* Luisa De Sordi,1* Adeline Sivignon,3 Amélie de Vallée,3 Damien Maura,1,2,4 Christel Neut,5,6 Oumaira Rahmouni,5,6 Kristin Wannerberger, 7 Arlette Darfeuille-Michaud,3 Pierre Desreumaux, 6,8 Nicolas Barnich,3 Laurent Debarbieux1
1: Institut Pasteur, Biologie Moléculaire du Gène chez les Extrêmophiles, Département de Microbiologie, F-75015 Paris, France
2: Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, Cellule Pasteur, rue du Docteur Roux, F-75015 Paris, France
3: Université Clermont Auvergne, UMR 1071 Inserm/Université d'Auvergne, INRA, Unité Sous Contrat 2018, Clermont-Ferrand, France
4: Present address: Department of Surgery, Harvard Medical School and Massachusetts General Hospital, Boston, 02114, Massachusetts, United States of America.
5: Division de Bacteriologie, Faculté des Sciences Pharmaceutiques et Biologiques, Communauté d’Universités et d’Etablissements Lille Nord de France, F-59006 Lille Cedex, France.
6: Inserm U995 - LIRIC - Lille Inflammation Research International Center, F-59000 Lille, France
7 : Ferring International Center SA, Ch. de la Vergognausaz 50, 1162 St-Prex, Suisse
8 : CHU Lille, Service des Maladies de l’Appareil Digestif et de la Nutrition, Hôpital Claude Huriez, F-59037 Lille, France
*: these authors contributed equally to this work
Mis à jour le 30/01/2017