Un ensemble d’études pangénomiques humaines ont mis en évidence une forte association entre un locus chromosomique et le risque de développer une dépendance au tabac. Une mutation a en particulier été identifiée (rs16969968, dite SNPα5). Des études ont recherché si cette mutation est également associée à l’alcoolisme, en raison de la forte comorbidité connue entre tabagisme et alcoolisme. Une équipe de l’Institut Pasteur et du CNRS vient enfin d’observer que les rats porteurs de la mutation SNPα5 présentent une appétence accrue pour l’alcool. Explications.
« La nicotine, principale responsable des propriétés addictives du tabac, modifie le fonctionnement du cerveau en se fixant sur les récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine », rappelle Morgane Besson, chercheuse au sein du laboratoire Neurobiologie intégrative des systèmes cholinergiques à l’Institut Pasteur, dirigé par Uwe Maskos. Ces récepteurs sont des protéines-canaux transmembranaires constitués de cinq sous-unités dites α et β, qui peuvent s’assembler entre elles selon diverses combinaisons. Un ensemble d’études pangénomiques humaines ont mis en évidence une forte association entre un locus du chromosome 15 (15q25), contenant les gènes des sous-unités nicotiniques α5, α3 et β4, et le risque de développer une dépendance au tabac. Une mutation a en particulier été identifiée au sein du gène de la sous-unité nicotinique α5 (SNPα5), entrainant une modification de la séquence protéique et associée à un risque doublé de tabagisme chez les porteurs homozygotes.
Un lien supposé entre dépendance au tabac et à l’alcool
Dans la mesure où tabagisme et alcoolisme présentent une très forte comorbidité et représentent les deux causes principales de mort prématurée, des études ont ensuite recherché si cette mutation est également associée à l’alcoolisme. « Certaines données obtenues ont suggéré que cela était en effet le cas, mais il est difficile de conclure sur ces études humaines en raison de résultats discordants », explique Morgane Besson. « Nous avons alors tenté de mieux caractériser le lien entre cette mutation et la dépendance à l’alcool en soumettant des rats porteurs de cette mutation - générés au sein du laboratoire - à une procédure dite d’auto-administration d’éthanol. » Au cours de cette procédure, les animaux sont libres de consommer volontairement ou non une solution d’éthanol, en appuyant sur un levier pour en obtenir une goutte.
Une appétence accrue pour l’alcool observée
« Nous avons observé que les rats porteurs de la mutation présentent une appétence pour l’alcool plus marquée que les rats "contrôles", ainsi qu’une intensité accrue de rechute à sa consommation après abstinence, en association avec une hyperactivation du cortex insulaire, une région cruciale pour l’intéroception. » Le terme intéroception désigne la capacité d’un individu à évaluer de manière exacte les signaux provenant de son propre corps, c’est-à-dire sa propre activité physiologique comme le rythme cardiaque, la faim ou la douleur, déterminant un état d’aise ou de malaise influençant les émotions et les comportements.
La mutation SNPα5 a en outre été associée avec un index de masse corporelle plus élevé chez les non-fumeurs, mais, au contraire, moindre chez les fumeurs. « Nous avons montré que les rats porteurs de cette mutation présentent également une appétence plus marquée pour la nourriture, et une intensité de rechute accrue à la consommation d’une nourriture particulièrement attractive, similairement à leur comportement vis-à-vis de la nicotine et de l’alcool », reprend Morgane Besson. Les chercheurs ont enfin observé qu’un traitement à la nicotine diminue leur propension à reconsommer cette nourriture. Leurs données suggèrent qu’au-delà d’un impact direct sur les effets de la nicotine sur le cerveau, cette mutation influence le risque de dépendance à plusieurs drogues et possiblement de troubles alimentaires, ce qui reste à être évalué chez l’Homme.
Des molécules ciblant spécifiquement l’activité des récepteurs nicotiniques contenant la sous-unité α5 pourraient représenter une nouvelle cible thérapeutique d’intérêt chez les sujets porteurs de cette mutation.
Source
Profound alteration in reward processing due to a human polymorphism in CHRNA5: a role in alcohol dependence and feeding behavior, Neuropsychopharmacology, 9 juillet 2019
Morgane Besson1, Benoît Forget1,2, Caroline Correia1,3, Rodolphe Blanco1 and Uwe Maskos1
1. Départment of Neuroscience, unité de Neurobiologie Intégrative des Systèmes Cholinergiques, CNRS UMR 3571, Institut Pasteur, 25 rue du Dr Roux, 75015 Paris, France
2. Present address: Sorbonne Universités, UPMC Université Paris 06, INSERM, CNRS, Neuroscience Paris Seine - Institut de Biologie Paris Seine (NPS - IBPS), 75005 Paris, France
3. Present address: Laboratoire de Neurosciences Cognitives et Adaptatives, CNRS UMR 7364, Université de Strasbourg, 67000 Strasbourg, France
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies de la connectivité cérébrale et maladies neurodégénératives du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.