L’unité d’épidémiologie moléculaire du paludisme à l’Institut Pasteur du Cambodge s’intéresse à la résistance de l’agent du paludisme aux médicaments en usage notamment aux marqueurs moléculaires permettant de tracer cette résistance. Les chercheurs de cette unité ont notamment contribué à l’identification chez le parasite d’un marqueur associé à la résistance à l’artémisinine en 2014 et d’un autre associé à la résistance à la pipéraquine en 2016.
Benoit Witkowski, chercheur dans cette unité, revient sur les enjeux de la résistance aux antipaludiques.
A la fin des années 60, les résistances à la première génération de médicaments contre le paludisme ont émergé en Asie du Sud-Est. Est-ce qu’aujourd’hui, le danger vient toujours de cette région du monde?
Les premiers parasites résistants aux antipaludiques de première intention, tel que la chloroquine (Nivaquine), sont apparus à la frontière entre le Cambodge et la Thaïlande. Ensuite, ces parasites ont migré vers l’Afrique subsaharienne contribuant à la forte mortalité du paludisme en Afrique dans les années 80-90. On ne veut pas que l’histoire se répète ! De nouveaux médicaments ont été mis en place, les ACT (Artemisinin-based combination therapy), qui sont une combinaison de médicaments entre un principe actif qui s’appelle l’artémisinine et des antipaludiques plus anciens. C’est le traitement de base du paludisme à l’heure actuelle. Le problème, c’est qu’au Cambodge, on a vu chez les parasites le développement de résistances à la fois à l’artémisinine mais, plus inquiétant, aux composés partenaires également. Ce sont maintenant des parasites multi-résistants.
Face à ces parasites multirésistants, les médicaments ne sont plus ou pas assez efficaces?
Le dernier utilisé, la dihydroartémisinine-pipéraquine, a montré des taux d’échec de traitement d’environ 60%, c’est à dire que 60% des patients traités n’étaient pas guéris du paludisme. Pour l’instant, c’est une résistance qui donne des échecs thérapeutiques tardifs, les symptômes réapparaissent un mois après le traitement. Il y a un effet sur le parasite mais ça ne suffit pas à l’éliminer, ce qui veut dire que ces médicaments sur lesquels on comptait pour limiter la prévalence du paludisme ne seront plus suffisamment efficaces. Donc l’enjeu est double: trouver des solutions thérapeutiques pour lutter contre ces parasites et surveiller la potentielle migration de ces parasites résistants vers l’Afrique, qui serait catastrophique sur le plan sanitaire car la transmission y est beaucoup plus élevée.
Comment peut-on suivre l’apparition de ces résistances?
La mise en évidence des résistances est avant tout clinique, c'est-à-dire que la première étape est d’identifier si un traitement ne marche plus de façon optimale. Une fois cette problématique déterminée, il est important de se doter d’outils permettant de rapidement définir la proportion de parasites résistants dans une zone donnée. Ainsi, une de nos activités est de mettre en place les outils de surveillance moléculaire, c’est à dire qu’on va déterminer par analyse de l’ADN du parasite quelles modifications génétiques engendrent la résistance, cela peut être une mutation dans un gène ou bien un gène qui se duplique dans le génome. Ceci permet d’obtenir ce qu’on appelle un marqueur moléculaire de résistance et une fois cet outil obtenu, on est capable de suivre sur des milliers d’échantillons la présence ou non de parasites résistants.
Que faire quand on repère des résistances?
Il reste possible de ‘’jongler’’ avec les différents ACT: par exemple au Cambodge la DHA-pipéraquine a été remplacée par une association d’artésunate et de méfloquine qui semble être pour l’instant très active. Mais cela risque de ne pas durer. Cette solution reste une solution d’urgence et la base pharmacologique commune des ACT va nous obliger à nous tourner vers de nouveaux composés. C’est là aussi une de nos activités pour laquelle nous évaluons in vitro de nouveaux antipaludiques capables d’agir contre les parasites multirésistants du Cambodge.
Ces nouvelles molécules sont-elles nombreuses, sachant que le paludisme n’est pas une priorité des laboratoires pharmaceutiques?
Il y en a beaucoup mais le développement d’un nouveau médicament prend beaucoup de temps. Difficile de savoir combien aboutiront dans les années à venir. Néanmoins plusieurs industriels s’y investissent actuellement et des essais cliniques de nouveaux médicaments seront conduits prochainement en Asie.