Des chercheurs de l'Institut Pasteur associés au CNRS, en collaboration avec des chercheurs du Karolinska Institute (Stockholm) et de l'université de Bordeaux 1, viennent d'analyser le subtil équilibre entre différents types de récepteurs nicotiniques dans le cerveau lors de l'exposition chronique à la nicotine. Leurs travaux, publiés dans les PNAS, pourraient permettre d'orienter la mise au point de molécules thérapeutiques plus spécifiques, tant pour le sevrage tabagique que pour certaines pathologies neurologiques, comme la maladie d'Alzheimer et l'autisme, ou psychiatriques, comme la schizophrénie.
Communiqué de presse
Paris, le 3 mai 2007
La nicotine est la principale substance du tabac impliquée dans la dépendance, notamment par l’altération qu’elle provoque du système de récompense, qui gère naturellement nos désirs, nos plaisirs et nos émotions. Elle agit en se fixant aux récepteurs nicotiniques de l’acétylcholine. Ces récepteurs résultent de l’assemblage de cinq sous-unités, et il existe une dizaine de sous-unités avec comme conséquence une très grande diversité de leurs propriétés pharmacologiques. Mais toutes sont activées par le neurotransmetteur endogène, l’acétylcholine, ainsi que par la nicotine. Ces différents types de récepteurs pourraient donc avoir des fonctions physiologiques distinctes, et constituer des cibles pharmacologiques spécifiques. D’où l’intérêt d’étudier leurs rôles respectifs.
C’est ce qui vient d’être réalisé dans une étude menée par Philippe Faure et Sylvie Granon, dans l’unité "Neurobiologie intégrative des systèmes cholinergiques" de l’Institut Pasteur associée au CNRS. Ces chercheurs avaient décrypté l’an dernier les bases moléculaires de l’activation de notre système de récompense lors d’une injection aiguë de nicotine (1). Ils avaient montré le rôle majeur d’une sous-unité du récepteur nicotinique, nommée ß2, dans cette activation, et suggéré l’intervention d’un deuxième type de sous-unité : alpha 7.
Dans la présente étude, les chercheurs ont analysé le rôle de ces récepteurs lors d’une exposition chronique à la nicotine. Ils ont administré à des souris, pendant plusieurs semaines, des doses de nicotine permettant d’obtenir des concentrations de nicotine dans le plasma analogues à celles qu’on trouve chez un fumeur, et suffisantes pour déclencher un syndrome de sevrage.
En comparant des souris "contrôles" et des souris génétiquement dépourvues du récepteur ß2, ils ont pu démontrer que l’exposition chronique à la nicotine modifiait l’équilibre entre deux processus opposés, orchestrés par les récepteurs ß2 et alpha 7. Les récepteurs ß2, après un temps d’exposition suffisamment long, subissent une inactivation de longue durée, une désensibilisation. Cet effet est contrebalancé par une adaptation des circuits neuronaux qui dépend d’ alpha 7. Ceci est particulièrement évident chez les souris déficientes en sous-unités ß2, pour lesquelles des déficits comportementaux liés au système de récompense se trouvent compensés par l’exposition chronique à la nicotine. Cette compensation n’apparaît pas si les récepteurs alpha 7 sont bloqués.
Il semble donc, au vu de cette étude, qu’il faille prendre en compte ces deux types de récepteurs pour mettre au point des molécules qui aideraient au sevrage tabagique.
Par ailleurs, les auteurs soulignent qu’il existe des pathologies qui engagent, parmi d’autres altérations biochimiques, les récepteurs nicotiniques. "C’est le cas de la schizophrénie notamment, explique Philippe Faure. Les personnes traitées pour cette maladie fument significativement plus que la population standard et certains auteurs pensent que ce serait une forme d’automédication. Ce phénomène pourrait être dû à l’action d’un mécanisme de compensation lié aux récepteurs alpha 7". D’autres pathologies neurologiques, comme la maladie d’Alzheimer, le syndrome d’hyperactivité ADHD (Attention Deficit Hyperactivity Disorder) ou l’autisme, paraissent aussi affecter divers types de récepteurs nicotiniques.
"Ces résultats offrent des nouvelles pistes pour la mise au point et le développement d’agents "nicotine-like" pour le traitement de certaines maladies neurologiques et psychiatriques", concluent les auteurs.
Source
"Long-term effects of chronic nicotine exposure on brain nicotinic receptors" : Proceedings of the Natural Academy of Sciences, mai 2007.
Morgane Bresson (1), Sylvie Granon (1), Monica Mameli-Engvall (2), Isabelle Cloëz-Tayarani (1), Nicolas Maubourguet (1), Anne Cormier (1), Pierre Cazala (3), Vincent David (3), Jean-Pierre Changeux (1) et Philippe Faure (1)
1. Unité Récepteurs et Cognitions, CNRS URA 2182, Unité de Neurobiologie Intégrative des Systèmes Cholinergiques, Institut Pasteur, Paris
2. Département de Physiologie et Pharmacologie, Karolinska Institute, Stockholm, Suède
3. CNRS, Unité Mixte de Recherche 5106, Neurosciences Cognitives, Université Bordeaux 1, Talence
Contact presse
Service de presse du CNRS : Priscilla Dacher - tél : 01 44 96 46 06 - courriel : priscilla.dacher@cnrs-dir.fr