Parmi les bactéries Listeria responsables de la listériose, certaines sont particulièrement virulentes. La raison ? Elles secrètent une toxine qui altère le microbiote intestinal, l’empêche de jouer son rôle de barrière et favorise ainsi l’infection. Les résultats de cette étude, menée par l’équipe de Javier Pizarro-Cerdà dans l’unité de Pascale Cossart (Institut Pasteur, Inserm, INRA), ont été publiés dans la revue PNAS (2 mai 2016).
Les bactéries pathogènes qui s’introduisent dans notre système digestif, via de la nourriture contaminée par exemple, sont confrontés aux différentes défenses de notre corps, dont les bactéries de notre microbiote intestinal [ensemble des microorganismes qui se trouvent dans l’intestin]. Certains microbes cependant arrivent à passer à travers cette barrière de protection et à infecter notre organisme. C’est le cas de Listeria, et notamment des souches les plus virulentes de cette bactérie à l’origine des épidémies de listériose. « On suspecte depuis de nombreuses années que ces souches épidémiques de Listeria possèdent dans leur génome des îlots de pathogénicité, des groupes de gènes qui leur fournissent tous les outils nécessaires pour déclencher une maladie, explique Javier Pizarro-Cerdà de l’unité des Interactions bactéries-cellules (Institut Pasteur, INSERM U604, INRA USC2020). L’un de ces îlots permet notamment aux souches de Listeria les plus dangereuses de produire une toxine spécifique : la listériolysine S ».
Cette toxine a été identifiée en 2008 mais son mode d’action et son rôle dans l’infection reste mal connu. A quoi peut bien servir la listériolysine S ? Pour élucider la question, l’équipe de Javier Pizarro-Cerdà décide de poursuivre les investigations et d’administrer, par voie orale, des bactéries productrices de la toxine à des souris. « La production de la toxine était associée à l’apparition de bioluminescence, ce qui nous a permis de suivre, in vivo, à quel moment et dans quel tissu la listériolysine S était active, explique-t-il. Nous avons alors vu très clairement, six heures seulement après avoir donné des Listeria aux souris, une bioluminescence au niveau du ventre. » En affinant la localisation, les chercheurs découvrent que la toxine est produite au niveau de l’intestin, et nul par ailleurs dans l’organisme. Ils en concluent qu’elle doit y jouer un rôle important, sans doute un rôle bactéricide.
Pour en avoir le cœur net, les chercheurs exposent in vitro des bactéries à la toxine et constatent que des bactéries proches de Listeria, susceptibles d’utiliser les mêmes types de ressources qu’elles, sont tuées. Ils comparent ensuite, grâce à la métagénomique [science qui étudie simultanément les génomes de toutes les populations d'un milieu donné, les populations bactériennes de l’intestin par exemple], le contenu du microbiote intestinal de souris qui ont ingéré des Listeria sécrétant la listériolysine S à celui de souris qui ont ingéré des bactéries ne sécrétant pas la toxine. Et là aussi, même constat : certaines bactéries du microbiote disparaissent en présence de la toxine. « Ce qui est intéressant, c’est que les bactéries qui disparaissent sont des espèces qui pourraient potentiellement nous protéger contre la listériose, souligne Javier Pizarro-Cerdà. Notre hypothèse est donc que cette toxine permet à la souche épidémique de Listeria de détruire les bactéries potentiellement dangereuses pour elle, de s’installer au niveau de l’intestin puis d’infecter les autres tissus. »
Source
Bacteriocin from epidemic Listeria strains alters the host intestinal microbiota to favor infection, PNAS, 2 mai 2016.
Juan J. Queredaa,b,c, Olivier Dussurgeta,b,c,d, Marie-Anne Nahoria,b,c, Amine Ghozlanee, Stevenn Volante, Marie-Agnès Dilliese, Béatrice Regnaultf, Sean Kennedyf, Stanislas Mondotg,h, Barbara Villoinga,b,c, Pascale Cossarta,b,c, and Javier Pizarro-Cerdaa,b,c
aUnité des Interactions Bactéries-Cellules, Institut Pasteur, Paris F-75015, France;
bInstitut National de la Santé et de la Recherche Médicale, U604, Paris F-75015, France;
cInstitut National de la Recherche Agronomique, Unite Sous Contrat 2020, Paris F-75015, France;
dCellule Pasteur, Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, Paris F-75015, France;
eBioinformatics and Biostatistics Hub – Centre de Bioinformatique, Biostatistique et Biologie Intégrative, Unité mixte de Service et Recherche 3756 Institut Pasteur- Centre National de la Recherche Scientifique, Paris F-75015, France;
fBiomics Pole, Centre d'Innovation et Recherche Technologique, Institut Pasteur, Paris F-75015, France;
gInstitut National de la Recherche Agronomique, Unité Mixte de Recherché 1319 Micalis, Jouy-en-Josas F-78350, France;
hAgroParisTech, Unité Mixte de Recherché 1319 Micalis, Jouy-en-Josas F-78350, France
Mis à jour le 23/05/2016