L’Institutional Review Board (IRB) de l’Institut Pasteur protège les droits et la sécurité des participants à des recherches que l’Institut mène à l’étranger. Depuis sa création en 2009, il a assuré le suivi d’une cinquantaine de projets de recherche internationaux impliquant la personne humaine. Ce comité est aujourd’hui présidé par le Dr Gilles Raguin, médecin infectiologue. Rencontre.
Plus de 90 000 personnes, à ce jour, sont incluses dans des recherches que l’Institut Pasteur mène à l’étranger. C’est auprès de ses « participants », que les équipes de l’Institut collectent les données et les échantillons biologiques qui permettent de faire avancer la recherche médicale, en complément des recherches pasteuriennes menées en France. La protection des droits et de la sécurité de ces participants est au cœur des missions de l’Institutional Review Board (IRB) de l’Institut Pasteur, un comité d’éthique de la recherche accrédité auprès du ministère américain de la Santé et qui, depuis sa création en 2009, a déjà assuré le suivi d’une cinquantaine de projets de recherche internationaux impliquant la personne humaine. Ce comité est aujourd’hui présidé par le Dr Gilles Raguin, médecin infectiologue, ayant assuré au cours de sa carrière un large panel de fonction, tant en recherche fondamentale, clinique qu’opérationnelle (dans des organisations humanitaires, ou chez Expertise France, l’agence publique de la coopération technique internationale française…). Il nous présente l’IRB : quelles sont les missions de l’IRB ? Qui sont ses membres ? Comment agit-il ?
Dans le cas de l’Institut Pasteur, l’IRB peut examiner toute recherche promue par l’Institut, qui sera conduite à l’étranger, dès lors qu’elle implique la personne humaine et qu’elle n’est pas examinée par un Comité de protection des personnes (CPP).
Gilles Raguin Président de l’Institutional Review Board (IRB) de l’Institut Pasteur
Photo : © Expertise France / Cecilia Nilsdotter.
Vous avez été élu récemment à la tête de l’Institutional Review Board (IRB). Pouvez-vous nous expliquer le rôle de cette instance à l’Institut Pasteur ?
L’IRB est un comité d’éthique institutionnel, disposant d’un fondement juridique commun à tous les IRB de par le monde, ce qui lui confère une légitimité particulière et l’oblige dans son fonctionnement à se conformer à des règles strictes et reconnues. Sa mission principale est de s’occupe de la protection des personnes participant à des recherches scientifiques. Dans le cas de l’Institut Pasteur, l’IRB peut examiner toute recherche promue par l’Institut, qui sera conduite à l’étranger, dès lors qu’elle implique la personne humaine et qu’elle n’est pas examinée par un Comité de protection des personnes (CPP). Sa mission ne s’applique pas aux projets de recherche impliquant la personne humaine menés en France car ceux-ci relèvent prioritairement des CPP, institués par une loi française de 2004. L’IRB comme les CPP peuvent refuser d’approuver, c’est-à-dire d’autoriser, les protocoles de recherches qui présenteraient des lacunes dans la protection des droits et de la sécurité des participants humains à la recherche. Lors de nos sessions mensuelles, nous examinons toute type de recherche correspondant aux critères que je viens de citer. Il peut s’agir de projets impliquant l’utilisation d’échantillons biologiques humains, d’informations personnelles de santé mais aussi des études anthropologiques ou des essais cliniques1.
1. Les recherches au cours desquelles les personnes vont subir une intervention spécifique ou se voir proposer un médicament expérimental.
L’IRB est donc une garantie essentielle pour protéger les participants aux recherches ?
En effet, l’IRB a pour mission de protéger les personnes impliquées dans des recherches mais aussi l’Institut Pasteur lui-même, en faisant en sorte que les standards éthiques internationaux soient respectés dans les projets qui lui sont soumis. L’annonce, fin 2018, par un chercheur chinois de la naissance de bébés au génome modifié a suscité un tollé international, à juste titre. Cette histoire, dont le retentissement médiatique a été majeur, nous montre à quel point un encadrement éthique robuste est nécessaire pour protéger les citoyens de comportements parfois « follement téméraires » comme le disait Charles Nicolle, disciple de Louis Pasteur.
Vous citez Charles Nicolle, célèbre pasteurien et prix Nobel de médecine en 1928. La question de l’encadrement des recherches a-t-elle été une question fréquente dans l’histoire des sciences ?
Peut-être pas fréquente, mais plutôt récente. Pour Charles Nicolle, le savant peut être animé d’une « témérité folle » et cette témérité peut l’emporter sur la conscience de l’homme. En disant cela2, il réagissait à des expérimentations faites au 19e siècle. Louis Pasteur avait imaginé expérimenter des candidats vaccins contre la rage sur des condamnés à mort au Brésil, et Edward Jenner, avant lui, avait reporté son virus de la vaccine des bovidés à l’homme. Charles Nicolle ne les juge pas mais il demande aux expérimentateurs de se comporter humainement car il voit dans ces comportements un manquement aux règles éthiques. Sa vision est à la fois juste et clairvoyante. Clairvoyante car, depuis Nuremberg, la déclaration d’Helsinki et les grands débats éthiques des années 70, avec le développement de la démocratie sanitaire, les citoyens considèrent qu’ils doivent être parties prenantes et en mesure de prendre part de façon « éclairée » aux décisions qui peuvent mettre en jeu leur vie, leur corps, et- plus largement- leurs droits. C’est la mission des IRB de s’assurer que les projets de recherche qui leur sont soumis présentent les garanties éthiques nécessaires.
2. L’expérimentation en médecine, leçon de Charles Nicolle (1934) au Collège de France.
Comment les IRB exercent-ils leur mission ?
De plusieurs façons. D’abord, l’IRB évalue des protocoles de recherche avant leur mise en œuvre. Il peut les approuver, en refuser le démarrage et/ou en demander la modification. Ses avis sont rendus de manière autonome et indépendante. Hormis quelques cas spécifiques liés aux lois qui s’appliquent, les projets approuvés sont revus annuellement jusqu’à leur conclusion. Au final, ceci conduit l’IRB à accompagner les projets de recherche tout au long de leur cycle de vie, et à en vérifier « l’équilibre éthique » (la sécurité et le bien-être des participants à ces recherches) de façon régulière.
Je tiens à dire que c’est la richesse des expertises et la collégialité de l’IRB qui nous permet d’émettre des avis pertinents, en recherchant toujours le consensus. Nous ne recourons au vote que lorsque le consensus n’est pas atteignable. L’IRB comprend en effet différents profils et sensibilités : des médecins, des experts en sciences sociales, des juristes, des éthiciens, des scientifiques, des philosophes, des anthropologues et des représentants d’associations de patients… En outre, même si l’IRB est un comité institutionnel, il compte des membres extérieurs (5 membres sur 13), ce qui enrichit l’expertise et renforce l’indépendance !
Vous parlez d’encadrement éthique dans d’autres institutions à travers le monde. Les IRB existent-ils ailleurs ?
Oui, ils existent (dans le format harmonisé que l’on connaît aujourd’hui) depuis le début des années 1980, aux Etats-Unis. Ce pays a été précurseur en la matière. Les IRB constituent une sorte de modèle de comité d’éthique de la recherche, issu d’un travail amorcé outre-Atlantique dans les suites du rapport Belmont (voir encadré). L’Institut Pasteur s’est doté d’un IRB en 2009, pour encadrer les projets de recherche internationaux. C’est une instance indépendante et ses avis contraignants, c’est-à-dire qu’ils doivent être obligatoirement suivis. Ainsi, depuis sa création par l’Institut Pasteur, l’IRB a contribué à protéger la sécurité et les droits de 90 000 personnes dont la moitié sont des personnes vulnérables (femmes enceintes, enfants). Il a suivi ou suit encore 47 projets de recherche.
Que représente pour vous la présidence de l’IRB de l’Institut Pasteur ?
C’est un honneur de se voir donner une responsabilité qui vise à la protection des personnes et au bon fonctionnement de la recherche. Par ailleurs, dans une époque de fake news, où beaucoup de gens doutent de la science, il est nécessaire de rétablir le lien de confiance entre les scientifiques et la société civile, les comités d’éthique contribuent - par leur action - à crédibiliser et renforcer auprès du public l’engagement des chercheurs en faveur de la santé humaine, de la bonne information des citoyens et du respect de leur droits. Et c’est une réalité, la communauté scientifique est résolument engagée dans les questions éthiques, sources de débats scientifiques et citoyens de plus en plus intenses en cette ère de grands progrès technologiques et scientifiques.
Plus anecdotiquement, je suis touché par la confiance qui m’est faite car le grand-père de ma grand-mère paternelle était Joseph Bertrand, secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, et président du comité de l’Institut Pasteur lors de sa création. Il fut le premier orateur à prendre la parole lors de l’inauguration de l’Institut Pasteur, le 14 novembre 1888. Par ailleurs, j’ai été élève du cours Pasteur, dans les années 80, puis stagiaire de recherche dans l’unité des virus lents. Je connais donc « bien » l’Institut Pasteur, son sérieux, son intérêt pour la santé humaine et sa passion pour la transmission des connaissances. Autant de compétences et de centres d’intérêt utiles pour parler de transparence et d’éthique.
Du rapport Belmont aux Institutional Review Board (IRB)
En 1979, le rapport Belmont (en anglais Belmont Report) est publié par le Département de la Santé, de l’éducation et des services sociaux des États-Unis (United States Department of Health, Education, and Welfare, devenu depuis l’United States Department of Health and Human Services). Ce rapport est intitulé Ethical Principles and Guidelines for the Protection of Human Subjects of Research (« Principes éthiques et lignes de conduite pour la protection des sujets humains de la recherche »). Il ne s’agit pas du premier document important en relation avec l’éthique de la recherche (il y avait eu le Code de Nuremberg en 1947, puis la Déclaration d’Helsinki en 1964) mais il a marqué durablement le monde anglosaxon.
Le rapport Belmont fait suite au National Research Act (1974), qui est lui-même une réponse au choc éprouvé par les citoyens américains lors de la découverte de l’étude de Tuskegee. Cette étude qui portait sur la syphilis et avait duré plus de 40 ans (1932–1972), était menée en Alabama par des médecins américains sur des populations pauvres et de couleur.
Débutée avant la découverte des antibiotiques contre la syphilis, l’étude de Tuskegee fut poursuivie sans modification alors même que les médicaments pour soigner cette maladie étaient devenus accessibles. Les participants à cette étude furent tenus volontairement dans l’ignorance des possibilités thérapeutiques pour les besoins de l’étude et beaucoup moururent et/ ou contaminèrent leur entourage.
Suite au scandale (révélé par la presse), une commission spécifique fut mise sur pied pour identifier les principes éthiques à respecter vis-à-vis des participants humains. Le rapport Belmont pose notamment trois principes éthiques de base.
- Le respect de l’autonomie des personnes dont découle la nécessité d’obtenir un consentement libre et éclairé pour participer à une recherche.
- La « bénéficience » qui implique que les risques d’une recherche ne peuvent outrepasser ses bénéfices.
- Et la justice, qui implique – notamment- une sélection équitable et non discriminatoire des sujets de recherche.
Dans les années qui ont suivi le rapport Belmont, les comités IRB se sont vus reconnaître un fondement légal (et n’ont plus uniquement relevé de choix institutionnels) et se sont généralisés non seulement aux Etats-Unis mais, aussi, dans le monde.