Des chercheurs de l'Institut Pasteur ont pu retracer l'origine et l'évolution du virus Chikungunya dans l'Océan Indien grâce au séquençage total du génome de six souches virales isolées chez des malades de La Réunion et des Seychelles, ainsi qu'au séquençage partiel de la protéine E1 du virus chez 127 patients de La Réunion et des îles voisines (Madagascar, Seychelles, île Maurice, Mayotte). Leur étude, publiée dans PLoS Medicine, ouvre des pistes de recherche pour expliquer l'ampleur de l'épidémie ainsi que la survenue de formes graves de la maladie.
Communiqué de presse
Paris, le 23 mai 2006
Pour la première fois, des séquences génomiques complètes du virus Chikungunya ont pu être caractérisées à partir d’isolats viraux obtenus après un faible nombre de passages en culture cellulaire et donc très proches des virus cliniques, alors que les génomes complets caractérisés jusqu’alors concernaient des souches de laboratoire. Cette étude initiée au Centre National de Référence des Arbovirus a pu être poursuivie à grande échelle grâce à la plate-forme de Génotypage des Pathogènes et Santé Publique de l’Institut Pasteur. Ce travail a été engagé pour mieux comprendre l’origine et l’évolution des virus responsables de l’épidémie majeure qui sévit dans l’Océan indien depuis début 2005, et qui a causé depuis mars 2005 environ 255 000 cas sur l’île de La Réunion, et depuis janvier 2006, plus de 6 000 cas à Mayotte, près de 9 000 cas aux Seychelles, 6 000 cas à l’île Maurice, 8 cas aux Comores et deux cas à Madagascar (bilan de l’Institut de veille sanitaire, début mai 2006).
L’étude a été coordonnée par Sylvain Brisse, responsable de la Plate-forme Génotypage des Pathogènes et Santé Publique de Pasteur Genopole Ile-de-France et par Isabelle Schuffenecker, du Centre National de Référence des Arbovirus de l’Institut Pasteur localisé à Lyon, en collaboration avec plusieurs équipes de l’Institut Pasteur à Paris, et avec des cliniciens et des virologistes de l’île de La Réunion, de Madagascar (Institut Pasteur), de Mayotte et des Seychelles.
Elle démontre d’abord que les souches virales de l’Océan Indien sont proches entre elles et apparentées aux souches d’Afrique de l’Est, Centrale et du Sud isolées entre 1952 et 2000 : les virus ayant émergé dans les îles de l’Océan Indien ont donc vraisemblablement été importés depuis le continent africain. Ce scénario est compatible avec les échanges de populations entre l’Afrique de l’Est et les Comores, où l’épidémie a commencé début 2005. D’autre part, des modifications dans les génomes viraux au fil de l’épidémie, et notamment l’émergence et la prédominance d’un génotype particulier à partir de septembre 2005, suggèrent une évolution adaptative des souches virales.
Le séquençage du génome complet d’une souche virale isolée du liquide céphalo-rachidien (LCR) d’un patient réunionnais atteint de méningo-encéphalite a mis en évidence plusieurs mutations, causant des substitutions d’acides aminés, qui sont propres à cet isolat clinique. Des études sont en cours pour déterminer si ces substitutions sont associées d’une part à la neurovirulence du virus Chikungunya et d’autre part à une plus grande efficacité de la multiplication virale.
Des "signatures moléculaires" des virus, véritables empreintes génétiques, au niveau de la protéine d’enveloppe E1 du virus ont également été trouvées. En effet, la structure tridimensionnelle de E1 d’un alphavirus très proche, le virus de la Forêt de Semliki, avait été réalisée auparavant par l’équipe de Félix Rey et ceci a permis de modéliser la protéine E1 du virus Chikungunya, afin de localiser les mutations. Une de ces signatures, qu’on ne trouvait pas au début de l’épidémie, est devenue prédominante à partir de septembre 2005 dans les souches réunionnaises, précédant donc de peu l’explosion épidémique. Les auteurs suggèrent qu’elle serait à l’origine d’une adaptation au moustique Aedes albopictus, qui n’était pas connu jusque là pour être un vecteur du virus Chikungunya : la protéine E1 est en effet impliquée dans l’attachement du virus aux membranes cellulaires du moustique. La position de cette signature moléculaire sur la protéine E1 (" E1 226 " : voir figure ci-dessous), est en effet connue pour influencer la multiplication du virus chez le moustique vecteur.
Ce travail ouvre la voie à des études fonctionnelles qui permettront d’avancer dans la connaissance du virus Chikungunya. Comme le soulignent les auteurs "l’ampleur de l’épidémie dans l’Océan Indien et le fait qu’elle ait touché un pays très médicalisé a conduit à la description de nouvelles formes cliniques de la maladie et mis en évidence le manque critique de connaissances sur la physiopathologie de la maladie et la biologie du virus".
Une douzaine d’équipes à l’Institut Pasteur travaillent depuis plusieurs semaines à dévoiler les mystères du virus Chikungunya. La présente étude vient enrichir les pistes de recherche dont disposent les scientifiques et aidera à moyen terme à développer des outils pour combattre cette maladie négligée.
Ce travail a reçu le soutien du Réseau National des Génopoles et de l’Institut de Veille Sanitaire.
Sources
"Genome microevolution of Chikungunya viruses causing the Indian Ocean outbreak" : PloS Medicine, 23 mai 2006.
Isabelle Schuffenecker (1), Isabelle Iteman (2), Alain Michault (3), Séverine Murri (1), Lionel Frangeul (4), Marie-Christine Vaney (5,9), Rachel Lavenir (2), Nathalie Pardigon (6), Jean-Marc Reynes (7), François Pettineli (12), Leon Biscornet (13), Laure Diancourt (2), Stéphanie Michel (1), Stéphane Duquerroy (5,9,10), Ghislaine Guigon (2), Marie-Pascale Frenkiel (6), Anne-Claire Bréhin (6), Nadège Cubito (1), Philippe Desprès (6), Frank Kunst (8), Félix A. Rey (5,11), Hervé Zeller (1) et Sylvain Brisse (2)
1 Centre National de Référence des Arbovirus, Institut Pasteur, Lyon;
2 Plate-forme Génotypage des Pathogènes et Santé Publique, Institut Pasteur, Paris ;
3 Laboratoire de Microbiologie, Hôpital St Pierre, Ile de La Réunion ;
4 Plate-forme Intégration et Analyse Génomique, Institut Pasteur, Paris ;
5 Unité de Virologie Structurale, Institut Pasteur, Paris ;
6 Unité des Interactions Flavivirus-Hôtes, Institut Pasteur, Paris ;
7 Unité de Virologie, Institut Pasteur, Madagascar ;
8 Unité de Génomique des Microorganismes Pathogènes, Institut Pasteur, Paris ;
9 CNRS/INRA UMR 2472/1157 ;
10 Université Paris XI-Orsay ;
11 CNRS URA 1930 ;
12 Laboratoire de Biologie Médicale, Centre Hospitalier de Mayotte, France ;
13 Disease Surveillance and Sexually Transmitted Infections Units, Seychelles Public Health Laboratory, Ministry of Health and Social Services, Victoria, Mahe, Seychelles.
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