Le nombre de cas de dengue importés en Ile-de-France a fortement augmenté en ce début d’année 2024. A l’approche des Jeux Olympiques, où de nombreux visiteurs internationaux sont attendus, notamment provenant de pays endémiques de la dengue, la vigilance est nécessaire. Des chercheurs de l’Institut Pasteur, en collaboration avec l’Agence régionale de démoustication et le Centre national de référence des Arbovirus (Inserm-Irba), ont démontré que le moustique tigre, implanté en Ile-de-France, est capable de transmettre 5 virus (West Nile, chikungunya, Usutu, Zika et dengue) dans des délais différents, allant de 3 à 21 jours, à une température externe de 28°C. Ces résultats soulignent l’importance de la surveillance renforcée des cas importés d’arboviroses cet été. Cette étude a été publiée le 16 mai, dans Eurosurveillance.
Entre le 1er janvier et le 19 avril 2024, 1679 cas importés de dengue ont été recensés en France hexagonale, soit 13 fois plus que l’année dernière sur la même période (source SPF). Il est envisagé que ce nombre augmente lors des Jeux Olympiques, synonymes de flux supplémentaires de personnes provenant de pays endémiques pour d’autres arbovirus. Le vecteur de la transmission de cette maladie est Aedes albopictus, plus communément connu sous le nom de moustique tigre. La transmission des arbovirus s’effectue quand la femelle pique un individu porteur du virus et ingère des particules virales. Les arbovirus ont la particularité de résister à la digestion du moustique (ce qui n’est pas le cas des autres virus comme celui de la grippe, qui sont détruits lors de leur ingestion par le moustique). Puis, ils se multiplient dans tout l’organisme du moustique, y compris dans les glandes salivaires en plusieurs jours. Lorsque la femelle moustique ira ensuite piquer un autre humain, elle injectera du virus en même temps qu’elle aspirera sa dose de sang.
L’implantation du moustique tigre dans 78 départements en France hexagonale et le réchauffement climatique favorisent la transmission vectorielle. C’est pourquoi des chercheurs de l’équipe Arbovirus et insectes vecteurs de l’Institut Pasteur, en collaboration avec l’Agence régionale de démoustication, le Centre national de référence des arbovirus (Inserm-Irba), ont analysé les capacités d’Aedes albopictus présent en Ile-de-France à transmettre 5 arbovirus à une température de 28°C, probable dans cette région à cette période, et ont compté le nombre de jours entre la première infection et la possibilité que du virus soit transmis lors d’une nouvelle piqûre. Aux côtés des virus de la dengue, du chikungunya, et du Zika, dont on sait déjà qu’ils peuvent être transmis par le moustique tigre, les chercheurs ont étudié le virus Usutu et le virus West Nile, qui sont naturellement transmis par une autre espèce de moustique, le moustique Culex pipiens (ou encore appelé « moustique commun ») qui pique des oiseaux, réservoirs du virus, et peuvent retransmettre à l’espèce humaine.
Compatibilité du moustique tigre avec les 5 arbovirus
Les chercheurs, en laboratoire de niveau de sécurité 3, ont étudié la compétence des moustiques tigres à transmettre ces 5 virus, et déterminé le temps d’incubation nécessaire pour que les virus se retrouvent dans les glandes salivaires du moustique en quantité suffisante pour infecter un humain. A 28°C, le virus du West Nile a besoin de 3 jours avant d’être retransmis par le moustique ; ce délai est entre 3 et 7 jours pour le virus du chikungunya et Usutu ; et il est entre 14 et 21 jours pour la dengue et Zika.(1)
Ces informations sont essentielles pour prendre la mesure du risque supplémentaire avec l’organisation à Paris des Jeux Olympiques, alliant un brassage important de populations à une période de retours de vacanciers de zones endémiques et une période propice au développement des moustiques. Ces informations permettent également de développer des stratégies de lutte adaptées.
« Si un cas de dengue est détecté en Ile-de-France, nous savons désormais qu’une désinsectisation doit avoir lieu dans les 21 jours. Ces résultats permettent d’ajuster la fenêtre de tir pour que l’approche soit optimale », souligne Anna-Bella Failloux, responsable de l’unité Arbovirus et insectes vecteurs de l’Institut Pasteur, qui a dirigé cette étude. « Selon les températures qui toucheront la région francilienne cet été, ces informations seront essentielles pour adapter les mesures d’endiguement. »
Quelles précautions prendre à l’approche des Jeux Olympiques ?
Les professionnels de santé sont formés pour détecter les symptômes de ces arboviroses si les personnes signalent venir d’un pays endémique. La difficulté de la surveillance réside dans le fait que, notamment pour la dengue – maladie à déclaration obligatoire –, 80% des cas présentent peu ou pas de sympômes. En cas de diagnostic posé pour l’une de ces maladies, une enquête est menée par les Agences régionales de santé afin de déterminer les lieux où ces personnes habitent ou sont passées les jours précédents et définir ainsi les zones à désinsectiser. Il est donc recommandé à toute personne revenant de voyage et présentant des symptômes de fièvre ou courbature de consulter leur généraliste sans délai, et de préciser leur zone de provenance.
« Le système d’alerte en France est performant, les process à suivre et les actions à enclencher sont déjà opérationnels grâce aux territoires ultramarins situés dans des zones endémiques qui ont permis d’acquérir une expertise sur ces maladies et leur suivi épidémiologique. Il existe notamment le réseau Arbo-France, auquel mon équipe est affiliée, et nous sommes contactés dès qu’un arbovirus est détecté », indique Anna-Bella Failloux.
Depuis 2006, dans le cadre de la lutte antivectorielle, le moustique tigre fait l’objet d’une surveillance renforcée entre le 1er mai et le 30 novembre. Cette surveillance repose sur le contrôle des populations de moustiques dans les zones propices à l’implantation de ces insectes ; la surveillance des malades coordonnée par Santé publique France et basée sur les signalements par les professionnels de santé des infections des virus tels que la dengue, le chikungunya ou le Zika ; et la sensibilisation du public habitant dans des zones où le moustique a été signalé. La gestion des signalements, la surveillance de la présence des moustiques et l’intervention rapide autour des cas humains de maladies (lutte antivectorielle) relèvent des Agences régionales de santé (ARS), en lien avec leurs opérateurs.
Ces travaux centrés sur les moustiques d’Ile-de-France pour cette première étude vont être prochainement étendus sur l’ensemble de l’Hexagone. Les durées d’incubation extrinsèque varient selon les populations de moustiques tigres qui ne sont pas tout à fait les mêmes génétiquement et les températures locales qui sont différentes.
Pour en savoir plus :
Vidéo : "Il va falloir apprendre à vivre avec le moustique tigre" - Anna-Bella Failloux
- A noter que pour Usutu et West Nile, la capacité du moustique tigre à transmettre ces virus à l’humain en conditions réelles, hors du milieu expérimental, reste à démontrer, puisque naturellement ils sont transmis par une autre espèce de moustique : Culex pipiens.
Source :
Aedes albopictus is a competent vector of five arboviruses affecting human health, greater Paris, France, 2023, Eurosurveillance, 16 mai 2024
Chloé Bohers(1), Marie Vazeille(1), Lydia Bernaoui(1), Luidji Pascalin(2), Kevin Meignan(2), Laurence Mousson(1), Georges Jakerian(2), Anaïs Karch(2), Xavier de Lamballerie (3,4), Anna-Bella Failloux(1)
(1) Institut Pasteur, Université Paris Cité, Arboviruses and Insect Vectors, Paris, France
(2) Agence Régionale de Démoustication, Rosny-sous-Bois, France
(3) National Reference Center for Arboviruses, Inserm-IRBA, Marseille, France
(4) Unité des Virus Émergents (UVE: Aix-Marseille Univ, Università di Corsica, IRD 190, Inserm 1207, IRBA), Marseille, France