Ces toutes dernières années, les avancées de la recherche sur les mécanismes de l’audition et les facteurs responsables des troubles auditifs laissent espérer un développement futur de thérapies préventives et curatives des atteintes auditives, alors que seules des prothèses (aides auditives externes et implants cochléaires) existent aujourd’hui. L’enjeu est considérable au vu du nombre de personnes touchées par la surdité, qui constitue aujourd’hui la plus fréquente des atteintes sensorielles chez l’homme. L’ouverture de l’Institut de l’Audition, un centre de l’Institut Pasteur inauguré il y a un an, porte l’ambition de comprendre la perception auditive et constitue un formidable espoir pour les malentendants.
En France, 65% des personnes touchées après 65 ans
Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), 5 % de la population mondiale est concernée. Les chiffres sont vertigineux : 466 millions de personnes dans le monde ont une atteinte auditive handicapante dont 34 millions d’enfants, et d’ici 2050, plus de 900 millions de personnes seront touchées – soit un individu sur 10 ! En France, 6 millions de personnes
souffrent d’atteinte auditive : un millier de nouveau-nés naissent sourds chaque année, et le pourcentage de malentendants dans la population ne cesse de progresser avec l’âge : 6 % entre 15 et 24 ans, 9 % entre 25 et 34 ans, 18 % entre 35 et 44 ans et plus de 65 % après 65 ans (1 personne sur 3 entre 65 et 75 ans ; 1 sur 2 après 80 ans).
Une souffrance psychologique considérable
La surdité peut donc survenir à tous les âges de la vie et revêtir tous les degrés de sévérité, de la simple gêne aux obstacles majeurs de la communication. Dans la période néonatale, elle est particulièrement problématique car l’audition est indispensable à l’acquisition de la parole, outil majeur de communication : l’afflux d’informations auditives vers les aires cérébrales de traitement du langage est capital au cours des 6 premières années de vie, surtout entre 0 et 3 ans. Une surdité profonde non corrigée par un appareillage auditif empêchera l’acquisition spontanée du langage oral. En cas de surdité moyenne, le langage peut être acquis mais l’atteinte auditive de l’enfant aura un impact sur l’apprentissage scolaire, le développement cognitif et l’adaptation sociale. Car quel que soit l’âge auquel elle survient, la surdité altère considérablement les interactions sociales : mal entendre ou ne plus entendre autrui conduit à l’isolement social, à l’origine d’une souffrance psychologique qui plonge certains malentendants dans un état dépressif. La surdité est souvent associée à un déclin cognitif, surtout chez les personnes âgées (altération de la mémoire, des capacités d’attention...). On sait depuis peu qu’elle est le principal facteur de risque, modifiable, de survenue des maladies neurodégénératives (voir encadré ci-dessous).
L’équipe Cognition et communication auditive de Luc Arnal et Diane Lazard à l’Institut de l’Audition cherche à comprendre comment le cerveau traite les signaux complexes –verbaux, non verbaux ou musicaux – de la communication sonore et déclenche des réponses comportementales adaptées. Une adaptation parfois délétère comme l’explique Diane Lazard, qui a identifié des facteurs pouvant expliquer l’échec des implants (dans 5 à 10% descas) chez les adultes devenus sourds profonds* : « Inconsciemment, les patients compensent leur déficience auditive soit en lisant sur les lèvres, soit en devenant des “super-lecteurs” capables de manier les mots écrits mieux que les normo-entendants : chez eux, les implants donnent de mauvais résultats. Car la lecture labiale préserve une organisation centrale phonologique proche de celle des entendants (faisant appel au cerveau gauche), tandis que le remplacement de l’oralité par les échanges écrits chez les « super-lecteurs » passe par des circuits différents, dans le “cerveau droit” : ils développent des capacités visuelles supranaturelles mais perdent des facultés de communication auditive, ce qui devient un handicap après l’implantation ». D’autres études étonnantes visent à comprendre comment certains sons sont perçus comme désagréables, particulièrement par les personnes anxieuses. « Nous avons montré que l’écoute des « sons rugueux », caractérisés par certaines fréquences peu utilisées usuellement sauf en cas de danger, cible non seulement le cortex auditif mais aussi des réseaux archaïques du cerveau liés aux réactions réflexes, qui impactent l’état de stress et d’éveil de l’auditeur » explique Luc Arnal. Ces réseaux semblent affectés chez les malades d’Alzheimer. Ainsi, dans des modèles murins (souris) soumis une heure par jour à ces sons rugueux, les protéines marqueurs de la maladie diminuent. Ces sons pourraient-ils soigner ou servir au diagnostic ? « Nous lançons une étude sur des patients d’environ 60 ans ayant des premiers signes d’Alzheimer (présymptomatiques), pour rechercher d’éventuelles perturbations à l’écoute de ces sons », précise le chercheur, qui s’intéresse aussi à la musique : « elle stimule des mécanismes prédictifs dans le traitement du son ; la répétition d’un rythme par exemple va générer une attente du cerveau qui se synchronise sur ce rythme. Les hallucinations des schizophrènes pourraient être dues à un excès de prédictions du cerveau ». Ces recherches utilisant des méthodes de psychoacoustique, de neuro-imagerie et de modélisation neuro-computationnelle, sont menées sur des personnes volontaires, en collaboration avec le CERIAH notamment.
Les trois-quarts des surdités de l’enfant d’origine génétique
Comment survient la surdité ? Les causes sont nombreuses : à la naissance (surdité « congénitale »), elle est due dans les trois-quarts des cas à des facteurs génétiques, le quart restant étant souvent lié à une infection de la mère, comme celle à cytomégalovirus, ou à la prise de médicaments « ototoxiques » pendant la grossesse. Pendant l’enfance, elle peut être la conséquence d’otites ou de la rougeole, puis les facteurs majeurs altérant l’audition au cours de la vie sont l’exposition à un bruit excessif et le vieillissement (voir encadré bruit ci-dessous). Là encore, des facteurs génétiques interviennent, rendant certains individus plus sensibles que d’autres aux dégradations. C’est justement dans le domaine de la génétique que les progrès de la recherche ont été les plus impressionnants ces dernières années, ce qui a permis des avancées majeures dans la compréhension du fonctionnement de l’oreille et, sur le plan médical, à une meilleure prise en charge des enfants sourds ou malentendants.
Selon l’OMS, plus d’un milliard de jeunes (de 12 à 35 ans) sont aujourd’hui exposés à un risque de pertes auditives due à l’exposition au bruit dans le cadre des loisirs : concerts, événements sportifs… et surtout écoute musicale prolongée à forte intensité, via les casques et baladeurs audionumériques. De plus, le bruit ne cesse de croître dans les zones urbaines où se concentre aujourd’hui 56% de la population mondiale (68% en 2050). « La surexposition sonore est l’agresseur principal du système auditif, à tout âge et à l’échelle planétaire. » souligne Aziz El-Amraoui, responsable du laboratoire Déficits sensoriels progressifs, pathophysiologie et thérapie à l’Institut de l’Audition. « Nous défrichons actuellement les mécanismes impliqués dans l’apparition de la perte auditive, sa progression ou sa gravité, et en particulier l’impact de l’exposition au bruit ». L’espoir est aujourd’hui « de mettre à jour des pistes thérapeutiques pour prévenir, ralentir, stopper ou corriger la détérioration auditive. » explique Aziz El-Amraoui.
Depuis 2015, le laboratoire de Christine Petit a développé la recherche de facteurs génétiques qui, chez l’homme, conduisent à une prédisposition aux atteintes auditives déclenchées par la surexposition au bruit. Dans une première étude*, elle a mis en évidence avec ses collègues une atteinte génétique responsable d’une surdité précoce chez l’homme et montré que ce défaut génétique provoquait des pertes de l’audition déclenchées même par des sons mêmes faibles, équivalant à une minute en discothèque : ces sons étaient suffisants pour altérer les cellules sensorielles auditives et leurs neurones, qui finissaient par mourir en cas d’exposition prolongée ou répétée. Aujourd’hui, avec ses collègues dans son laboratoire « mécanismes fondamentaux de l’audition et médecine de précision » et avec Paul Avan, elle développe une vaste étude menée conjointement avec l’IRBA, qui doit non seulement conduire à la découverte des gènes de vulnérabilité au bruit, mais aussi à celle de biomarqueurs identifiant les atteintes sous-jacentes qui seront utilisés pour le développement de thérapies et pour optimiser les chances de succès des essais thérapeutiques.
* En collaboration avec le laboratoire de Biophysique de l’université d’Auvergne dirigée par le Pr Paul Avan.
Détecter le plus tôt possible les surdités néonatales
Dans les années 90, on ne connaissait pas les causes des déficits auditifs des enfants nés sourds. Une équipe de chercheurs à l’Institut Pasteur (voir Entretien ci-dessous) localisait alors les premiers gènes associés à des surdités. Grâce à l’étude de nombreux individus de familles particulièrement touchées, une vingtaine de gènes ont été identifiés, dont celui de la connexine 26 dès 1997, à lui seul responsable de la moitié des surdités héréditaires. Quelque 130 gènes de surdités congénitales « monogéniques » (dues au défaut d’un gène unique) sont aujourd’hui connus. Ces avancées ont permis le diagnostic génétique des surdités héréditaires, aujourd’hui effectué en routine dans de nombreux pays. Un dépistage précoce est capital : plus tôt est corrigée la déficience auditive de l’enfant, grâce à la pose d’un implant cochléaire par exemple, moins importants seront les répercussions sur ses capacités linguistiques et d’apprentissage. La connaissance du gène en cause permet par ailleurs de décider du bénéfice potentiel d’un appareillage de l’enfant atteint, la pose d’un implant s’avérant malheureusement inutile devant certaines atteintes génétiques.
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Vous dirigez l’Institut de l’Audition, centre de recherche de l’Institut Pasteur inauguré le 28 février dernier. Quelle est son ambition ?
L’Institut de l’Audition répond à la nécessité de faire progresser la compréhension de la perception auditive et à la volonté de faire évoluer ce domaine de la médecine, deux objectifs regroupés dans une dynamique de recherche qui fera une large place au développement de leurs interfaces. Leur fécondité attendue dépend de l’enracinement de l’un et l’autre domaine dans une expertise et une recherche de très haut niveau. Il s’agit donc de développer une approche intégrative du système auditif pour comprendre comment s’élabore la perception auditive, quelle est la nature des signaux acoustiques sur laquelle elle se fonde, quels sont les modes d’extraction de leur information, comment la perception est sculptée par nos expériences antérieures et nos émotions, comment elle contribue à une perception multimodale unitaire, comment les sons de parole et de musique déclenchent des réponses adaptées, quels sont les réseaux neuronaux impliqués dans la représentation des sons, comment est contrôlée leur plasticité… Il s’agit donc aussi de développer une recherche translationnelle qui se saisisse des avancées scientifiques obtenues pour l’essentiel chez l’animal et les personnes normoentendantes (pour les aspects cognitifs) pour les traduire en avancées diagnostiques et thérapeutiques : élaborer de nouveaux outils d’exploration de l’audition et des méthodes diagnostiques innovantes des atteintes auditives qui permettront d’améliorer les indications et le réglage des audioprothèses, développer d’authentiques thérapies de la cochlée et de ses neurones dans un premier temps thérapie génique et pharmacologique, améliorer les techniques chirurgicales de délivrance des agents thérapeutiques par la robotisation, dépasser l’empirisme de la réhabilitation auditive nécessaire après restauration en la fondant sur des connaissances scientifiques et préparer les développements thérapeutiques à long terme dont l’ambition est de transmettre directement aux populations neuronales cérébrales ciblées, les informations sensorielles. L’institut de l’audition est associé à l’Inserm et intègre aussi des scientifiques du CNRS ; il comprend une dizaine d’équipes de recherche et un Centre de Recherche et d’Innovation en Audiologie Humaine (CERIAH), pierre angulaire des avancées médicales visées. Une de ses originalités est sa forte interdisciplinarité : il regroupe des chercheurs de différentes disciplines scientifiques (biophysique, audiologie, neurophysiologie, neuroscience computationnelle, génétique et génomique, biologie cellulaire…) et médicales (ORL, audioprothésistes…). Il a aussi pour mission de transférer les connaissances et de répondre aux besoins d’information des malentendants.
Dans quel contexte cet institut est-il accueilli ?
L’ouverture d’un institut dédié à l’audition représente un événement majeur, accueilli avec un véritable enthousiasme par la communauté scientifique internationale ! Elle survient dans une période de forte prise de conscience à l’échelle planétaire de l’enjeu de santé publique que constituent les atteintes de l’audition, et de la menace que fait peser sur elle, la pollution sonore. Nous sommes aussi à un moment marqué par un fort engagement dans la recherche de thérapies innovantes soutenue par le développement d’un nouveau secteur industriel.
Pouvez-vous résumer l’état de ces recherches, vous qui dirigez une équipe pionnière dans la recherche des gènes de surdités et l’étude du système auditif ?
Nous avons ouvert la voie à l’approche génétique de l’audition par l’identification d’un grand nombre de gènes responsables de surdité chez l’homme qui a permis d’entrer dans une compréhension du développement et du fonctionnement du système auditif, à l’échelle moléculaire. C’est de la convergence des avancées de la biophysique, la physiologie et la génétique, approches scientifiques représentées à l’Institut de l’Audition et de l’intégration de leurs résultats qu’est venu ce tournant majeur dans la connaissance du système auditif. Des complexes moléculaires clés pour le traitement des sons ont ainsi été dévoilés et leurs propriétés élucidées. Corollaire de cette approche, les mécanismes défectueux dans chaque forme de surdité précoce ont eux aussi été décryptés. Dès l’identification des premiers gènes de surdité, le diagnostic moléculaire des surdités précoces s’est développé.
L’Institut Pasteur a beaucoup œuvré en ce sens, en particulier dans les pays en voie de développement. Ces connaissances bien sûr à compléter, démontrent le réalisme de la recherche d’authentiques thérapies des atteintes auditives. Le développement de la thérapie génétique pour traiter des atteintes géniques, est tout naturellement la première piste explorée mais l’approche pharmacologique se développe aussi ; la régénération des cellules cochléaires est particulièrement attractive. L’ambition est aujourd’hui de comprendre les mécanismes de la presbyacousie pour la traiter. D’où les efforts de recherche dans lesquels s’inscrivent plusieurs équipes et bien sûr le CERIAH. Pour impulser un changement majeur et pérenne dans notre domaine, nous sommes convaincus qu’il doit s’appuyer sur un enseignement lui aussi innovant. Nous y sommes particulièrement attachés et travaillons à la mise sur pied d’un enseignement pratique et théorique en direction des scientifiques, médecins, ingénieurs, audioprothésistes et orthophonistes.
Les «molécules de l’audition»
L’étude des protéines codées par les gènes des surdités a aussi permis de comprendre le fonctionnement à l’échelle moléculaire de notre appareil auditif, et particulièrement celui de l’organe sensoriel de l’audition – la cochlée – logé dans l’oreille interne (lire "L’audition, comment ça marche ?"). Un organe difficile à étudier car enchâssé dans l’os temporal et comprenant à peine 15 000 cellules sensorielles auditives (à titre de comparaison, l’organe sensoriel de la vision, la rétine, directement observable, abrite plus de 100 millions de photorécepteurs). Des recherches en cours visent à créer des « mini-cochlées » au laboratoire, apportant l’espoir de nouvelles découvertes, et de pouvoir cribler des candidats-médicaments (voir encadré "Des organoïdes de cochlée pour cribler des médicaments ?" plus bas). Car la connaissance croissante des molécules impliquées dans les mécanismes de l’audition laisse entrevoir la possibilité de disposer à l’avenir de traitements pharmacologiques pour réparer certains déficits auditifs, inimaginables il y a quelques années.
Nous étudions les mécanismes cellulaires et moléculaires en jeu dans le développement embryonnaire de la cochlée, ce qui nous donne des pistes pour produire nos organoïdes
Raphaël EtournayResponsable du groupe Développement cochléaire et perspectives thérapeutiques à l’Institut de l’Audition
« Nous savons aujourd’hui produire, à partir de cellules souches, des mini-organes de 1 à 2 millimètres de diamètre (organoïdes constitués de cellules sensorielles de l’organe de l’équilibre, qui fait partie de l’oreille interne. Nous travaillons désormais au développement d’organoïdes composés de cellules sensorielles auditives » explique Raphaël Etournay, responsable du groupe Développement cochléaire et perspectives thérapeutiques à l’Institut de l’Audition. La cochlée, organe sensoriel auditif, enroulé en colimaçon, est tapissé de cellules sensorielles auditives qu’on peut imaginer comme un clavier de piano : chaque région traite une fréquence spécifique ; les sons aigus sont captés à la base de la spirale et les sons graves à l’autre extrémité. « Sans nécessairement reproduire une spirale, nous espérons obtenir cette structure en clavier de piano. Nous étudions les mécanismes cellulaires et moléculaires en jeu dans le développement embryonnaire de la cochlée, ce qui nous donne des pistes pour produire nos organoïdes ». Une fois obtenus, ces mini-organes seront très utiles pour tester de nouvelles thérapies des surdités. « Nous pourrions cribler des vecteurs viraux pour la thérapie génique ou des molécules capables de déclencher une régénération des cellules auditives ». Ils pourraient de plus être créés à partir de cellules de patients – des cellules reprogrammées à l’état de cellules souches (iPS) –, pour une médecine personnalisée. Un atout non négligeable, vu la variété des déficiences auditives…
Chaque région de la cochlée traite une fréquence spécifique ; les sons aigus sont captés à la base de la spirale et les sons graves à l’autre extrémité. Crédit : AdobeStock
Un espoir majeur : la thérapie par les gènes
Beaucoup d’espoirs sont aussi fondés sur la thérapie génique, avec déjà un essai clinique envisagé chez l’enfant pour une surdité congénitale, et des pistes pour corriger à l’avenir des surdités chez l’adulte (voir encadré thérapie génique ci-dessous).
Des voies thérapeutiques nouvelles sont donc explorées. Si les surdités précoces ont été les premières bénéficiaires des avancées de la recherche, elle se focalise aujourd’hui sur les surdités progressives, en particulier les surdités tardives, les presbyacousies, qui avec le vieillissement de la population, constituent un problème de santé publique croissant. Traumatismes sonores (l’ennemi numéro 1 de l’audition, c’est l’excès de bruit !), maladies (20 % des surdités sont dus à des otites chroniques), accidents (plongée) ou encore toxicité médicamenteuse : tous ces facteurs contribuent à la destruction des cellules ciliées de l’oreille interne, qui ne se renouvellent pas chez les mammifères dont nous sommes… Autrefois jugée irréversible, la presbyacousie pourrait bénéficier à l’avenir de traitements préventifs et curatifs - génétiques, cellulaires ou médicamenteux.
Les recherches s’orientent aussi sur le cerveau « auditif », encore peu exploré. Si la majorité des surdités est d’origine périphérique, certaines résulteraient d’un défaut de la perception sonore au niveau cérébral. Et de nombreuses questions restent en attente.
Comment certains sons sont-ils perçus comme agréables ou non ? Comment certaines pathologies (autisme, Alzheimer...) altèrent-elles la perception auditive et les comportements face à la communication sonore ? Comment le cerveau compense-t-il la déficience auditive ? La récente ouverture du premier centre de recherche consacré à l’audition en France – l’Institut de l’Audition, centre de l’Institut Pasteur – devrait donner un coup d’accélérateur à ces recherches et à la création de nouvelles solutions diagnostiques et thérapeutiques de la surdité, 7e cause d’invalidité au quotidien d’ici 2030 d’après l’OMS.
Lire l'article Presbyacousie : des mutations génétiques ultra-rares sont à l’origine d’un quart des cas d’atteintes survenant autour de 50 ans.
Si l’efficacité de cette thérapie est confirmée, elle pourrait être proposée chez le nouveau-né vers 3 à 5 mois, dès le diagnostic génétique établi.
Saaïd SafieddineCo-responsable du groupe Technologies innovantes et thérapies de la surdité à l’Institut de l’Audition
En 2019, l’équipe de Saaïd Safieddine dans l’unité de Christine Petit à l’Institut Pasteur (voir l'Entretien), publiait les résultats d’une thérapie génique ayant permis d’inverser durablement une surdité congénitale dans des modèles expérimentaux. Elle consistait à injecter dans la cochlée de souris sourdes adultes le gène OTOF (découvert par l’équipe pasteurienne en 1999) dont elles étaient dépourvues. Chez l’homme, un défaut de ce gène provoque une surdité profonde due à l’absence de l’otoferline, protéine essentielle à la transmission de l’information sonore entre les cellules sensorielles auditives et le cerveau. En restaurant la production de la protéine intacte, la thérapie génique a permis de rétablir les seuils auditifs à un niveau quasinormal chez l’animal. « Nous préparons actuellement un essai clinique avec l’hôpital Necker-Enfants malades à Paris » explique Saaïd Safieddine, aujourd’hui co-responsable* du groupe Technologies innovantes et thérapies de la surdité à l’Institut de l’Audition. « Si l’efficacité de cette thérapie est confirmée, elle pourrait être proposée chez le nouveau-né vers 3 à 5 mois, dès le diagnostic génétique établi » précise le chercheur. Il existe en effet dans la cochlée deux types de cellules sensorielles auditives (les cellules ciliées internes et externes) entourées de plusieurs types de cellules de supports, autant de cibles selon le gène impliqué. Espoir de traitement pour les enfants naissant avec un gène altéré, la thérapie génique est aussi envisagée pour corriger des surdités tardives. Le laboratoire de Christine Petit engagé avec Paul Avan dans la recherche des gènes et des facteurs génétiques de la presbyacousie chez l’homme, surdité neurosensorielle tardive, depuis une dizaine d’années, vient de montrer que certaines formes de presbyacousie pourraient bénéficier de la thérapie génique d’où le développement de ces approches au sein de son laboratoire et leur convergence avec celles développées par Saaïd Safieddine.
« Parmi les gènes que nous étudions, certains sont aussi responsables de presbyacousies, en accélérant le vieillissement de l’oreille interne » précise Saaid, qui collabore aussi avec l’équipe d’Aziz El-Amraoui.
*Avec le Docteur Yann Nguyen, ORL à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière à Paris.
Un centre high-tech pour explorer l'audition
Le Centre de Recherche et d’Innovation en Audiologie Humaine (CERIAH) de l’Institut de l’Audition ouvrira dans quelques mois sur le campus de l’Institut Pasteur à Paris, avec notamment un espace d’accueil des volontaires*, 5 cabines audiométriques, un auditorium de 40 m2 pour tester l’audition dans des ambiances sonores variées – doté d’une parfaite isolation phonique et installé au sous-sol pour éviter tout bruit parasite –, ou encore une salle de réalité virtuelle ou augmentée pour simuler des situations faisant aussi intervenir l’équilibre, par exemple. « Cette plateforme vise à élaborer et à valider de nouveaux protocoles d’exploration de l’audition » explique son directeur, le Pr Paul Avan, biophysicien et médecin, expert en audiologie. « Par des tests perceptifs psychoacoustiques et des mesures électrophysiologiques, notre but est d’évaluer l’audition d’un sujet normoentendant ou malentendant, appareillé ou non, dans des situations représentatives de la “vraie vie”. Aujourd’hui, on peut avoir un audiogramme normal et pourtant mal entendre dans certains environnements sonores. Il faut donc pouvoir affiner l’évaluation des capacités auditives. Nos protocoles seront utiles au diagnostic, au contrôle des thérapies, à la mesure des nuisances sonores et à une meilleure compréhension de la perception et de la cognition auditives. » Les recherches seront menées avec d’autres équipes de l’Institut de l’Audition mais aussi avec l’IRCAM (Institut de recherche et coordination acoustique/musique) ou encore l’IRBA (Institut de Recherche biomédicale des Armées), avec un projet sur les lésions auditives provoquées par les armes à feu et le bruit continu.
* Les volontaires seront recrutés parmi les étudiants d’universités et via les professionnels de l’audition (ORL, audioprothésistes…)
Paul Avan
Nos protocoles seront utiles au diagnostic, au contrôle des thérapies, à la mesure des nuisances sonores et à une meilleure compréhension de la perception et de la cognition auditives
L’audition, comment ça marche ?