La presbyacousie ou perte auditive liée à l’âge, implique des facteurs génétiques et environnementaux. Une analyse génomique peut repérer des variants dans des gènes dont la pathogénicité doit ensuite être démontrée. En règle générale, les variants fréquents ont des effets faibles voire très faibles et c’est leurs effets cumulés dans plusieurs gènes qui rend compte de l’atteinte ; à l'inverse les variants ultra-rares ont des effets forts et sont à l’origine des formes monogéniques : elles sont causées par une ou des mutation(s) présente(s) dans un seul gène. Des chercheurs se sont penchés sur les cas de presbyacousie de survenue autour de 50 ans, certaines familiales, à la recherche de variants ultra-rares. Un quart des cas présentaient des mutations ultra-rares dans des gènes responsables de surdité chez l’enfant. Leur pathogénicité a été établie, en se fondant sur des analyses complémentaires et notamment en introduisant la même mutation chez la souris. Ces formes de presbyacousies monogéniques devraient se prêter à la thérapie génique, en développement jusqu’ici pour les formes de surdités précoces.
La presbyacousie est la perte auditive liée à l’âge. « Elle affecte plus d’un tiers de la population âgée de plus de 65 ans, et c’est une source majeure de handicap », rappelle Christine Petit, professeur à l’Institut Pasteur et professeur au Collège de France, et directrice de l'Institut de l’Audition, ouvert début 2020, centre de l’Institut Pasteur dédié aux recherches en neurosciences de l’audition. Elle poursuit : « La presbyacousie constitue notamment le principal facteur de risque modifiable de la démence. La variabilité de son expression est attribuée à l’implication de nombreux facteurs de causalité, génétiques et environnementaux, contribuant environ dans les mêmes proportions à l’atteinte auditive. »
La génétique des presbyacousies de sévérité moyenne
Des études dites « d’associations pangénomiques » (en anglais genome-wide association study, ou GWAS) permettent d’analyser de nombreuses variations génétiques chez de nombreux individus, afin d’étudier leurs corrélations avec des traits phénotypiques, comme par exemple la perte auditive liée à l’âge. Ce type d’études suggère l’existence de presbyacousies multigéniques (plusieurs gènes impliqués), associées à des variants nombreux présents dans de nombreux gènes. La fréquence de ces variants va de pair avec un impact de chaque variant qui est faible. Pour ce type de presbyacousies, la thérapie génique est aujourd’hui impuissante car la correction de multiples gènes dans une cellule n’est pas maîtrisée. D’autres thérapies, par exemple pharmacologiques, pourraient être développés si les diverses atteintes géniques s’avéraient contribuer à la faillite d’une même fonction.
Découverte de variants ultra-rares dans 35 gènes déjà impliqués dans les surdités de l’enfant
« C’est pourquoi, nous avons recherché au contraire des variants ultra rares (de fréquence allélique inférieure à un pour dix mille), indiquant des formes monogéniques de presbyacousies, pour lesquelles une thérapie génique serait envisageable », explique Christine Petit.
Ce travail associant plusieurs équipes cliniques françaises s’est concentré sur deux cohortes d’une centaine de volontaires, cas familiaux et cas sporadiques. Ces patients ont été sélectionnés pour la présence chez eux d’une presbyacousie survenant autour de 50 ans, avec un déficit auditif de degré exagéré pour la tranche d’âge considérée, soit celui attendu deux décennies plus tard. Les séquences de l’ensemble des exons ont été comparées chez les sujets atteints et des personnes dites « contrôles », entendant normalement.
« Ont émergé de l’étude des variants ultra-rares de 35 gènes connus pour leur responsabilité dans des formes autosomiques dominantes de surdités de l’enfant », explique Paul Avan, professeur à l’université de Clermont-Auvergne, et directeur du futur CERIAH (Centre de recherche et d’innovation en audiologie humaine).
Des variants d’intérêt trouvés chez un quart des sujets presbyacousiques
On peut citer notamment des gènes codant pour des myosines non conventionnelles, des protéines importantes pour la fonction des cellules sensorielles auditives. Globalement, « les variants d’intérêt ont été observés chez un quart des sujets atteints de presbyacousie survenant autour de 50 ans, familiaux comme sporadiques, contre seulement quelques pour cents chez les contrôles » poursuit Paul Avan. La moitié de ces variants n’avaient jamais été décrits.
Il restait à démontrer leur pathogénicité, par l’utilisation combinée de diverses méthodes, mettant en évidence que ces variants modifient la structure tridimensionnelle de la protéine codée par ce gène ou lui font perdre son activité ou en suppriment la synthèse. Chez ces malentendants, en règle générale une seule des deux copies du gène était affecté, ce qui explique la survenue de la perte auditive à l’âge adulte. Une preuve directe de pathogénicité a été apportée dans le cas d’un variant du gène Tmc1, qui code pour une protéine du canal de mécanotransduction des cellules sensorielles auditives. Quand, chez la souris, les deux copies de ce gène portaient ce variant observé chez l’homme, une surdité précoce était observée. Quand une seule des copies portait le variant, le résultat correspondait aux attentes.
« Cette souris mutante dont l’audition était initialement normale manifestait une presbyacousie caractéristique s’aggravant lentement entre 3 et 7 mois », reprend Paul Avan.
« La génétique de la presbyacousie dévoile donc un continuum entre les formes monogéniques de surdité depuis des atteintes présentent à la naissance où les deux copies du gène sont souvent atteintes par des mutations qui les inactivent totalement jusqu’à des formes où une seule copie porte un variant ultra-rare dont l’effet n’apparaît que tardivement, le caractère tardif ne pouvant pas être systématiquement corrélé à la sévérité prédite de l’effet du variant », explique Christine Petit.
L’existence de ces formes monogéniques particulièrement fréquentes devrait inciter au développement de la thérapie génique de l’oreille interne chez l’adulte.
Le concours d’un réseau national constitué en réponse à un appel de travail collaboratif sur la presbyacousie.
• Didier Bouccara : Hôpital Beaujon, Hôpitaux Universitaires Paris Nord val-de-Seine, APHP, 92110 Clichy, France.
• Bernard Fraysse, Olivier Deguine : Centre Hospitalier Universitaire, Hôpital Larrey, Service d’Oto-Rhino-Laryngologie et Chirurgie Cervico-Faciale, Toulouse, France.
• Lionel Collet : Centre Hospitalier Universitaire, Hôpital Lyon-Sud, Audiologie et Explorations Orofaciales, 69495 Lyon, France.
• Hung Thai-Van, Eugen Ionescu : Centre Hospitalier Universitaire, Hôpital Edouard Herriot, Exploration Fonctionnelle Audiologie et Vestibulaire, 69437 Lyon, France.
• Hung Thai-Van : Claude Bernard University Lyon 1, 69100 Villeurbanne, France.
• Jean-Louis Kemeny : Centre Hospitalier Universitaire, Hôpital Gabriel Montpied, Service d'Anatomo-Pathologie, 63000 Clermont-Ferrand, France.
• Fabrice Giraudet, Paul Avan : UMR 1107, Institut National de la Santé et de la Recherche Médicale (INSERM), 63001 Clermont-Ferrand, France. Laboratoire de Biophysique Neurosensorielle, Faculté de Médecine, Université Clermont Auvergne, 63001 Clermont-Ferrand, France.
• Paul Avan : Centre Jean Perrin, 63000 Clermont-Ferrand Cedex 01, France.
• Jean-Pierre Lavieille, Arnaud Devèze : Centre Hospitalier Universitaire, Hôpital Nord, Service d’Oto-Rhino-Laryngologie, 13015 Marseille, France.
• Anne-Laure Roudévitch, Anne Aubois : Centre Hospitalier National d'Ophtalmologie des Quinze-Vingts, Centre d'Investigation Clinique, 75012 Paris, France.
• Christophe Vincent : Centre Hospitalier Universitaire, Hôpital Roger Salengro, Service d’Otologie et Otoneurologie, 59000 Lille, France.
• Christian Renard : Laboratoire d’Audiologie Renard, 59000 Lille, France.
• Valérie Franco-Vidal, Vincent Darrouzet, Claire Thibut-Apt : Centre Hospitalier Universitaire, Hôpital Pellegrin, Service d’Oto-Rhino-Laryngologie et Chirurgie Cervico-Faciale, 33076 Bordeaux, France.
• Eric Bizaguet, Arnaud Coez : Laboratoire de Correction Auditive, Eric Bizaguet, 75001 Paris, France.
• Arnaud Coez : CEA-Inserm U1000 Neuroimaging and Psychiatry, Service Hospitalier Frédéric Joliot, 91400 Orsay, France et CEA, DRM, DSV, Service Hospitalier Frédéric-Joliot, 91400 Orsay, France.
Source
Ultra-rare heterozygous pathogenic variants of genes causing dominant forms of early-onset deafness underlie severe presbycusis, PNAS, 23 novembre 2020
Sophie Bouchera,b,c,d, Fabienne Wong Jun Taia, Sedigheh Delmaghania, Andrea Lellia, Amrit Singh-Estivaletab, Typhaine Duponta, Magali Niasme-Grarea,e, Vincent Michela, Nicolas Wolfff, Amel Bahloula, Yosra Bouyacouba, Didier Bouccarag, Bernard Fraysseh, Olivier Deguineh, Lionel Colleti, Hung Thai-Vana,j,k, Eugen Ionescuj, Jean-Louis Kemenyl, Fabrice Giraudetm,n, Jean-Pierre Lavieilleo, Arnaud Devèzeo, Anne-Laure Roudevitch-Pujolp, Christophe Vincentq, Christian Renardr, Valérie Franco-Vidals, Claire Thibult-Apts, Vincent Darrouzets, Eric Bizaguett, Arnaud Coezt,u,v, Hugues Aschardw, Nicolas Michalskia, Gaëlle M. Lefevrea, Anne Auboisp, Paul Avana,m,n,x,1, Crystel Bonneta,b,1,2, Christine Petita,y,1,2
a Institut de l’Audition, Institut Pasteur, INSERM, 75012 Paris, France; b Complexité du Vivant, Sorbonne Universités, Université Pierre et Marie Curie, Université Paris 06, 75005 Paris, France; c Centre Hospitalier Universitaire, Service d’Oto-Rhino-Laryngologie et Chirurgie Cervico-Faciale, 49100 Angers, France; d Faculté de Médecine, Unité de Formation et de Recherche Santé, Université d’Angers, 49100 Angers, France; e Service de Biochimie et Biologie Moléculaire, Hôpital d’Enfants Armand-Trousseau, Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP), 75012 Paris, France; f Unité Récepteurs-Canaux, Institut Pasteur, 75015 Paris, France; g Hôpital Beaujon, Hôpitaux Universitaires Paris Nord val-de-Seine, AP-HP, 92110 Clichy, France; h Centre Hospitalier Universitaire, Service d’Oto-Rhino-Laryngologie et Chirurgie Cervico-Faciale, Hôpital Larrey, 31400 Toulouse, France; i Centre Hospitalier Universitaire, Audiologie et Explorations Orofaciales, Hôpital Lyon-Sud, 69495 Lyon, France; j Centre Hospitalier Universitaire, Exploration Fonctionnelle Audiologie et Vestibulaire, Hôpital Edouard Herriot, 69437 Lyon, France; k Claude Bernard University Lyon 1, 69100 Villeurbanne, France; l Centre Hospitalier Universitaire, Service d’Anatomo-Pathologie, Hôpital Gabriel Montpied, 63000 Clermont-Ferrand, France; mUnité Mixte de Recherche (UMR) 1107, INSERM, 63001 Clermont-Ferrand, France; n Laboratoire de Biophysique Neurosensorielle, Faculté de Médecine, Université Clermont Auvergne, 63001 Clermont-Ferrand, France; o Centre Hospitalier Universitaire, Service d’Oto-Rhino-Laryngologie, Hôpital Nord, 13015 Marseille, France; p Centre Hospitalier National d’Ophtalmologie des Quinze-Vingts, Centre d’Investigation Clinique, 75012 Paris, France; q Centre Hospitalier Universitaire, Service d’Otologie et Otoneurologie, Hôpital Roger Salengro, 59000 Lille, France; r Laboratoire d’Audiologie Renard, 59000 Lille, France; s Centre Hospitalier Universitaire, Service d’Oto-Rhino-Laryngologie et Chirurgie Cervico-Faciale, Hôpital Pellegrin, 33076 Bordeaux, France; t Laboratoire de Correction Auditive, Eric Bizaguet, 75001 Paris, France; u Commissariat à l’Energie Atomique (CEA)-INSERM U1000 Neuroimaging and Psychiatry, Service Hospitalier Frédéric Joliot, 91400 Orsay, France; v CEA, Direction de Recherche Médicale, Direction des Sciences du Vivant, Service Hospitalier Frédéric-Joliot, 91400 Orsay, France; wCentre de Bioinformatique, Biostatistique et Biologie Intégrative, Institut Pasteur, 75015 Paris, France; x Laboratoire de Biophysique, Centre Jean Perrin, 63000 Clermont-Ferrand, France; and y Collège de France, 75005 Paris, France