Perception, émotions, comportement, prise de décisions, mémoire, bonne santé mentale, dépression… voici quelques-uns des sujets de recherche auxquels se consacre Pierre-Marie Lledo. Avec son équipe constituée de biologistes, médecins, mathématiciens, biophysiciens et biochimistes, il met en lumière certains des mécanismes les plus intimes de notre cerveau.
Définitivement neuro-optimiste, Pierre-Marie Lledo n’hésite pas à mettre en pratique au quotidien ce que ses découvertes lui ont enseigné. Les échecs, les bonnes ou les mauvaises surprises sont, de toute façon, positives : elles permettent de rebondir et d’envisager de nouvelles expériences à venir.
Si ce chercheur a obtenu de nombreux prix et récompenses dans le domaine des neurosciences, il n’en reste pas moins pédagogue. C’est avec passion et avec un certain sens de la formule que ce chercheur partage une rétrospective de ses principaux travaux et les mystères qui restent à élucider.
Pour développer votre plasticité cérébrale, fuyez la routine !
Pierre-Marie Lledo est arrivé à l’Institut Pasteur en 2002 pour diriger sa propre unité de recherche. Il fête donc cette année ses 20 ans de présence sur le campus ! Dès 2005, les chercheurs identifient dans le cerveau adulte des zones qui produisent des néo neurones comme l’hippocampe. Cette région cérébrale est essentielle pour la formation de nos souvenirs et la gestion de nos émotions. La découverte met à mal le dogme qui soutenait que notre cerveau perd ses neurones dès l’âge de 20 ans. L’équipe prouve par la suite que cette production peut être stimulée dans certaines conditions : exposition à des informations nouvelles, exercices physiques, interactions sociales, etc.. A contrario, elle peut être inhibée, notamment par l’hormone du stress chronique (le cortisol).
« Nous avons cherché à stimuler l’activité cérébrale d’un rongeur. Ces animaux appréhendent leur environnement essentiellement au travers de l’olfaction. C’est pour cette raison que nous nous sommes procurés toute une gamme d’épices vendues en supermarché. Chaque jour, pendant un mois, nous accrochions à l’intérieur de la cage une boule à thé contenant une nouvelle découverte olfactive : menthe douce, cumin, cannelle.... Les résultats ont démontré que l’on pouvait « booster » la production de nouveaux neurones dans un cerveau adulte. »
D’autres stimuli sont testés par la suite : stimulation physique et stimulation sociale.
L’étude de ces facteurs bons pour notre cerveau a suscité de nouvelles questions sur le vieillissement du cerveau. Et si le vieillissement cérébral pouvait être grandement ralenti en apportant au cerveau les facteurs qui lui sont favorables ?
À partir de données sanguines, des comparaisons sont effectuées pour comprendre ce qui distingue un cerveau « jeune » d’un cerveau « plus âgé ». L’équipe cherche à décrypter les facteurs sanguins qui s’accumulent et ceux qui disparaissent avec l’âge. Dans ce cadre, de nouvelles recherches se sont engagées aussi pour mieux comprendre la maladie de Parkinson, en collaboration avec les neurologues de l’hôpital de la Salpêtrière à Paris.
L’isolement social, le stress chronique, les tâches répétitives nuisent aux capacités régénératives de notre cerveau. N’oublions pas que la complexité de cet organe est à l’image de la complexité du monde que nous avons bâti.
Pierre-Marie n’hésite pas à mettre en application dans sa vie ce qu’il a découvert au travers de ses recherches.
« Il faut rompre avec l’habitude. Par exemple, à vélo, je change régulièrement d’itinéraire pour me rendre sur mon lieu de travail ! Il n’y a pas de recette unique, chacun peut stimuler son cerveau à sa convenance : activités sociales, soyons plus connectés les uns aux autres ! et pour l’activité physique, préférons la marche ou le vélo à la voiture ! Le sommeil et l’alimentation sont aussi deux facteurs essentiels pour une bonne santé mentale. »
J’aime rencontrer des gens divers et variés qu’ils soient punks ou académiciens, leurs points de vue et l’échange m’intéressent !
Comme dit Socrate, la sagesse commence dans l’émerveillement, donc il est normal de vouloir être surpris, émerveillé, en permanence
5 questions décalées à Pierre-Marie : Et si ...?
Prenez soin de vos bactéries, elles vous envoient des signaux positifs !
À propos d’alimentation, une autre recherche importante menée en collaboration avec l’équipe de Gérard Eberl, immunologiste à l’Institut Pasteur (unité Microenvironnement et immunité) a prouvé que notre cerveau est directement connecté avec notre microbiote intestinal. Notre système digestif abrite 100 000 milliards de bactéries et environ 1 000 espèces différentes. Les messages chimiques de cette biodiversité véhiculent de l’information vers notre cerveau, par voie sanguine ou nerveuse. Fait remarquable, la qualité de ces messages issus du microbiote impacte directement notre santé mentale et notre système immunitaire.
Pour être optimiste, il vaut mieux parfois consommer une tranche de bleu d’Auvergne que de prendre des antidépresseurs, puisque 85 % de la sérotonine qui coule dans nos veines est d’origine microbienne.
« Les aliments fermentés sont une excellente source de probiotiques : bière, choucroute, kéfir, on peut en trouver tout autour du monde. Curieux des cultures, j’ai eu l’occasion, lors d’un voyage au Japon, de partager avec des amis des plats à base de natto (graines de soja fermentées). Le goût est difficilement descriptible, c’est à mi-chemin entre la levure et le fromage ! »
Lorsque que l’on se nourrit bien, le cerveau reçoit des messages positifs du microbiote. De cette façon, il y a trois manières d’agir sur le cerveau :
- les pré-biotiques, nutriments nécessaires à la survie du microbiote.
- les probiotiques, aliments contenant des levures ou ferments
- les post-biotiques, composants chimiques produits par les bactéries. L’inventaire de ces post-biotiques reste encore à établir.
En revanche, si l’on mange trop de graisses ou de sucres, notre biodiversité intestinale s’appauvrit car seule une certaine famille de bactéries prolifère. Dans ce cas, on constate une défaillance du système immunitaire entraînant des maladies inflammatoires, des allergies ou autres maladies auto-immunes. D’ailleurs, après 70 ans, la diversité de notre microbiote diminue et c’est à cet âge qu’apparaissent divers problèmes de santé.
En 2022, l’équipe de Pierre-Marie met en évidence l’importance de cette connexion intestins /cerveau chez des personnes atteintes de la maladie d’Alzheimer, dont le microbiote est particulièrement dégradé. Les chercheurs constatent qu’en stimulant le nerf vague, qui assure une connexion entre notre système digestif et notre cerveau, des fonctions cognitives peuvent être restaurées. En particulier, la mémoire devient plus robuste.
Des mystères restent à élucider
Notre cerveau est éminemment social. En mesurant l’activité cérébrale d’un individu, des chercheurs ont pu déterminer qu’environ 70 % de l’activité cérébrale était dédiée à gérer les interactions avec les autres.
Une connexion complexe s’établit entre les individus. Nous pouvons tous constater que l’optimisme peut être contagieux. La bonne humeur peut se transmettre par le langage ou par le partage d’une activité, et plus mystérieusement par une simple présence.
Une étude en collaboration avec Jean-Marc Ghigo, responsable de l’unité Génétique des biofilms à l’Institut Pasteur, cherche à démontrer que chez des souris infectées, des bactéries sécrètent des substances volatiles afin d’attirer d’autres souris. Ces bactéries enverraient donc des signaux volatiles à partir d’un hôte infecté pour exercer un pouvoir attractif sur d’autres congénères qui se retrouveraient ainsi contaminées. Nous comprenons ici l’avantage pour la survie des bactéries qui peuvent ainsi multiplier les passages d’hôtes en hôtes, avec aisance.
Nous faisons partie d’un écosystème, et selon ce principe, notre cerveau ne fonctionne pas de manière isolée dans notre corps et dans la foule. Voilà ce que les neurosciences nous ont enseigné ces dernières décennies. Nous sommes le fruit d’interactions multiples et complexes. C’est une vision que l’on pourrait qualifier d’holistique qui nourrit le concept « une seule santé » (One Health), selon lequel il convient de penser la santé à l’interface entre celle des animaux, de l’être humain et de leur environnement. Tout est relié et les neurosciences ont encore beaucoup de choses à révéler sur les mystères du cerveau, connecté à notre corps autant qu’à notre environnement.
Covid long et anosmie(Photo - De gauche à droite : Hervé Bourhy, Pierre-Marie Lledo et Marc Lecuit) En 2021, lors de la pandémie de Covid-19, Pierre-Marie et ses collègues ont permis de mettre au point un diagnostic à l’attention des médecins ORL, pour des cas de patients dits « Covid long » qui avaient perdu l’odorat et dont le test PCR était étonnamment négatif. En collaboration avec Marc Lecuit, responsable de l’unité de Biologie des Infections et Hervé Bourhy, responsable de l’unité Lyssavirus, épidémiologie et neuropathologie, ils ont démontré que la perte de l’odorat était associée à une inflammation prolongée de l’épithélium et du système nerveux olfactif, due à la présence chronique de SarsCov-2 dans les neurones olfactifs de la cavité nasale. |
Pierre-Marie Lledo en quelques dates
Formations
1998 – Habilitation (Université Paris XI, Ecole de médecine).
1991 – Ph.D. en Neurosciences (Summa cum laude, Bordeaux University).
1986 – Ecole Normale Superieure (Cachan, Sciences de la vie).
Postes actuels
Directeur du département Neuroscience à l’Institut Pasteur
Responsable de l’unité Perception et mémoire olfactive à l’Institut Pasteur
Responsable de l’unité Gènes, synapses et cognition au CNRS (Centre national de la recherche scientifique)
Directeur du programme d'études supérieures en enseignement Neuroscience à l’Institut Pasteur
Prix et récompenses
1995 : Médaille de bronze du CNRS.
2002 : Prix de la Fondation Schlumberger pour l’Éducation et la Recherche.
2004 : Prix de l'Académie Nationale de Médecine.
2005 : Prix de la Fondation NRJ-Institut de France.
2006 : Membre de l'Academia Europaea.
2007 : Prix Jaffé de l'Institut de France.
2010 : Prix Camille Woringer de la Fondation pour la Recherche Médicale.
2012 : Prix Mémain-Pelletier (Biologie/Science Médicale) de l'Institut de France.
2013 : Grand Prix de la Fondation Prince Louis de Polignac.
2015 : Grand Prix du Jury de la Fondation Internationale Roger de Spoelberch.
2018 : Prix X-Philo des élèves de l’école Polytechnique.
2020 : Médaille d’Honneur du Cercle de Paris.