Covid-19 : quels anticorps monoclonaux pour les personnes fragiles ?
Les personnes au système immunitaire fragile ne sont pas suffisamment protégées des formes graves de la Covid-19 par la vaccination. Pour elles, les anticorps monoclonaux ont longtemps représenté la solution thérapeutique privilégiée. En fonction des variants du SARS-CoV-2, l’efficacité de ces traitements a néanmoins fluctué. Les scientifiques ont dû proposer de nouveaux anticorps plus pertinents, mais aussi évaluer régulièrement ceux déjà existants. Une équipe de l’Institut Pasteur a ainsi aidé les soignants à déterminer les stratégies de traitements les plus adaptées pour leurs patients.
Sommaire
Avant-propos - Historique
Définition - Qu'appelle-t-on les "anticorps monoclonaux" ?
Chronologie - Caractériser des anticorps monoclonaux efficaces contre les variants du SARS-CoV-2
Omicron - Variant Omicron : "presque une nouvelle pandémie"
Etudes - L'évolution des études scientifiques à l'Institut Pasteur
Collaboration - L'indispensable collaboration entre les scientifiques de l'Institut Pasteur et cliniciens
Aujourd'hui - Les anticorps monoclonaux, une solution thérapeutique toujours d'actualité
1er octobre 2020, le président américain de l’époque, Donald Trump, est déclaré positif au SARS-CoV-2. À cette époque, pas encore de vaccin disponible ou de traitement antiviral ayant démontré une efficacité probante. Le lendemain, le médecin de la Maison-Blanche annonçait que Donald Trump avait reçu un cocktail expérimental d’anticorps monoclonaux, casirivimab /imdevimab. Le grand public découvre alors que les vaccins “nouvelle génération” à ARN messager, sur le point d’être mis sur le marché, ne sont peut-être pas la seule piste de protection contre la Covid-19.
Quelques semaines plus tard, les premiers vaccins contre le SARS-CoV-2 reçoivent les autorisations de mises sur le marché dans plusieurs pays dont ceux de l’Union européenne. Fiables, fortement protecteurs, pouvant être rapidement produits à grande échelle, ils vont permettre de sauver des millions de vies, près de 20 millions, rien qu’en 2021, selon l’OMS. Néanmoins, pour de nombreuses personnes, la vaccination s’avère être une solution imparfaite.
Ceci est plus particulièrement vrai pour les personnes immunodéprimées (malades du sida, personnes atteintes d’un cancer, personnes greffées ou souffrantes de pathologies chroniques, etc). Leur système immunitaire est insuffisamment stimulé par la vaccination. Pour éviter les formes graves de la Covid-19, elles se retrouvent contraintes de suivre avec encore plus de précautions les gestes barrières comme le port du masque ou l’aération des endroits clos. Une gageure alors que la majorité de la population tend à les abandonner. Autre possibilité, pouvoir bénéficier d’une solution thérapeutique alternative, la même que pour l’ancien président américain, à savoir l’administration d’anticorps monoclonaux.
Qu’appelle-t-on les “anticorps monoclonaux” ?
Aujourd’hui, environ une trentaine d’anticorps monoclonaux permettant de lutter contre diverses maladies (cancers, maladies auto-immunes, maladies infectieuses) sont autorisés en France. Les anticorps monoclonaux sont obtenus en laboratoire à partir d’une même lignée –un même clone, d’où l’emploi de l’adjectif pour les qualifier– de cellules immunitaires, plus précisément des lymphocytes B. Une fois que le gène codant pour l’anticorps d’intérêt est sélectionné, il est inséré dans des “cellules usines” permettant une production à grande échelle de l’anticorps monoclonal. L’efficacité des traitements basés sur les anticorps monoclonaux repose sur la capacité de ces derniers à se fixer spécifiquement sur une cible donnée. Dans le cas des maladies infectieuses, les anticorps monoclonaux vont reconnaître une partie spécifique du microbe (l’antigène) et s’y fixer. Les microbes se retrouvent alors dans l’incapacité d’infecter les cellules de l’organisme ou, si l’antigène est exprimé à la surface d’une cellule infectée, le système immunitaire est stimulé pour détruire spécifiquement ladite cellule infectée. À noter que le nom des anticorps thérapeutiques se terminent tous par “mab” pour “Monoclonal AntiBodies”.
Dans le cas de la Covid-19, les anticorps monoclonaux ont été conçus avec comme objectif d’empêcher l’entrée du SARS-CoV-2 dans la cellule, en ciblant la protéine spike du virus. Cette dernière, qui donne au SARS-CoV-2 son aspect hérissé (la couronne des coronavirus), est en quelque sorte la clé permettant au virus d’ouvrir les portes des cellules de notre organisme. En s’y associant et en empêchant l’infection de la cellule, l'anticorps monoclonal neutralise les effets biologiques du virus.
Caractériser des anticorps monoclonaux efficaces contre les variants du SARS-CoV-2
Développés en quelques mois et autorisés selon les pays à partir de fin 2020/début 2021, plusieurs anticorps monoclonaux montrent initialement une bonne efficacité protectrice contre le SARS-CoV-2. En France, deux bithérapies pouvant être utilisées chez les personnes à risque élevé de développer une forme grave de la Covid-19 sont autorisées dès le premier trimestre 2021. Le cocktail casirivimab/imdevimab, précédemment évoqué, est autorisé en traitement préventif à partir d’août 2021. Malheureusement, plusieurs variants du SARS-CoV-2 (Alpha, Bêta, Gamma) émergent fin 2020 avant de successivement se propager à l’échelle de la planète. Le variant Delta circule mondialement à partir du printemps 2021. Quelles sont les conséquences de ces virus mutés pour notre réponse immunitaire ? Les vaccins sont-ils toujours efficaces ? Les anticorps monoclonaux représentent-ils toujours également une solution thérapeutique pertinente ? Voici quelques-unes des principales questions qui animent depuis lors scientifiques et cliniciens, et dont les réponses s’avèrent cruciales notamment pour la prise en charge des personnes immunodéprimées.
« À partir du variant Delta, nous avons commencé à tester les anticorps commercialisés et ceux qui étaient bien avancés en études pré-cliniques » explique Timothée Bruel, chercheur dans l’unité Virus et immunité. Résultat ? Les scientifiques ont pu démontrer dès l’été 2021 qu’un des anticorps testés, le bamlanivimab, efficace contre la souche originelle du SARS-CoV-2, ne l’était plus contre le variant Delta. Néanmoins, à cette époque, « il y a toujours des anticorps monoclonaux qui fonctionnent parfaitement bien contre Delta, avec des résultats obtenus sur les souches ancestrales qui sont extrapolables à ce nouveau variant » , ce qui ne provoque que relativement peu d’inquiétudes à ce stade. L’émergence du variant Omicron à l’automne 2021 va radicalement changer la donne.
Variant Omicron : « presque une nouvelle pandémie »
Davantage transmissible, Omicron supplante rapidement les précédents variants. D’un point de vue génomique, il diffère également plus fortement du virus originel. « Alors que les variants précédents portent moins d’une dizaine de mutations sur la protéine spike par rapport à la souche originelle, Omicron en porte plus d’une trentaine. C’est presque une nouvelle pandémie qui a démarré. Avec l’arrivée de ce variant, on se rend compte que la vaccination est moins protectrice et qu’une troisième dose est nécessaire pour immuniser la population. Ce que l’on sait moins, c’est qu’Omicron s’associe avec un échappement dramatique des anticorps monoclonaux », précise Timothée Bruel. C’est ce que montrent notamment plusieurs scientifiques dans un article publié en décembre 2021. Dans ce travail, les chercheurs et les chercheuses démontrent que 2/3 des anticorps monoclonaux utilisés en clinique ou en phase de développement perdent totalement leur activité antivirale contre Omicron. La situation devient en outre de plus en plus complexe car plusieurs sous-variants (BA.1, BA.2,…) apparaissent dans les semaines qui suivent. Les scientifiques cherchent alors à savoir si les anticorps monoclonaux sont efficaces contre ces nouvelles souches qui co-circulent. Dans une étude parue en mars 2022, ils apportent plusieurs réponses. L’association casirivimab/imdevimab, qui offrait jusqu’alors un taux de protection contre les formes graves de la Covid-19 semblable à la vaccination, s’avère ne plus être actif contre Omicron. Un autre cocktail d’anticorps (tixagévimab/cilgavimab) présente par rapport au variant Delta une activité neutralisante très fortement réduite contre BA.1, mais cette baisse de l’activité neutralisante est bien moins marquée sur BA.2. Ce résultat, en démontrant qu’un anticorps monoclonal peut ne plus être neutralisant pour un variant donné avant de le redevenir pour un variant ultérieur, souligne l’importance de poursuivre des tests d’efficacité sur l'ensemble des anticorps disponibles.
Dans les mois suivants, les chercheuses et les chercheurs de l’Institut Pasteur vont poursuivre ce fastidieux travail, et même l’enrichir. Outre les études in vitro, les scientifiques vont s’attacher à poursuivre les études in vivo, à partir de sérums de personnes ayant reçu des anticorps monoclonaux.
Ils vont également ajouter de nouveaux critères à leurs travaux de recherche. En effet, l’efficacité protectrice des anticorps monoclonaux dépend essentiellement, mais pas seulement, de leur pouvoir neutralisant. Ils peuvent aussi induire, pour certains d’entre eux, un mécanisme essentiel de défense immunitaire permettant de tuer les cellules infectées par le SARS-CoV-2 : la cytotoxicité à médiation cellulaire dépendante des anticorps (l’ADCC pour Antibody-Dependent Cellular Cytotoxicity). Dans le cas de la Covid-19, des cellules du système immunitaire, les cellules “tueuses” NK (Natural Killer), vont reconnaître les anticorps liés à des antigènes situés à la surface de cellules infectées, et ensuite lyser spécifiquement ces dernières. Les anticorps sont alors qualifiés de “polyfonctionnels”. Cette caractéristique est d’autant plus intéressante que, comme le montre une étude publiée en décembre 2022, les anticorps monoclonaux les plus neutralisants ne sont pas ceux qui induisent le plus l’ADCC. En résumé, pour obtenir des cocktails d’anticorps protecteurs, il peut être intéressant d’avoir des anticorps polyfonctionnels, mêlant haut pouvoir neutralisant et forte capacité à induire des mécanismes de défense immunitaire.
L’indispensable collaboration entre scientifiques de l’Institut Pasteur et cliniciens
Au cœur de nombreux travaux de l’équipe Virus et immunité sur la Covid-19, la coopération avec des partenaires cliniciens occupe une place essentielle. Parmi ces partenaires, citons le CHR d’Orléans, l’Hôpital européen Georges-Pompidou mais également l’Hôpital Universitaire de la Pitié-Salpêtrière ou le CHU de Toulouse. Un travail commun qui dure parfois depuis de nombreuses années. « Je collabore avec l'unité d'Olivier Schwartz depuis plus de dix ans. Nos premiers travaux communs portaient sur le VIH, en particulier sur les mécanismes de transmission du virus de cellule à cellule. Nos liens se sont beaucoup renforcés pendant la période Covid car il a été évident que nos expertises étaient complémentaires et que nos travaux de recherche respectifs pouvaient bénéficier de cet échange » , indique Anne-Geneviève Marcelin, professeur en virologie à la faculté de Santé Sorbonne Université et cheffe du service de virologie à la Pitié-Salpêtrière. « Nous apportons notre vision, avec les questions qui se posent de manière très pratique pour la prise en charge des patients, mais également la possibilité de travailler sur des échantillons de patients collectés dans le cadre de nos recherches. Cette collaboration permet donc de faire le lien entre recherche fondamentale et l’application au patient », précise-t-elle également.
Comment cela s’est-il plus précisément traduit pour la Covid-19 ? « Les données générées par l’unité Virus et immunité et leurs collègues ont montré que le sotrovimab, à la différence d’autres anticorps monoclonaux, conservait une activité antivirale ex vivo sur les sous-variants d'Omicron d'intérêt BQ.1.1 et XBB.1.5, notamment du fait des fonctions immunologiques préservées de cet anticorps », explique Guillaume Martin-Blondel, professeur au CHU de Toulouse et à l’Institut Toulousain des Maladies Infectieuses et Inflammatoires. « Ces données expérimentales ont permis, au moment de la circulation de ces variants, de repositionner le sotrovimab en traitement curatif des formes non sévères de Covid-19 lorsque les autres alternatives thérapeutiques n’étaient pas utilisables. » Une illustration concrète des liens indispensables entre recherches au laboratoire et recherches cliniques qui permettent de répondre à des questions cruciales de santé publique.
Les anticorps monoclonaux, une solution thérapeutique toujours d’actualité
Qu’en est-il de la situation aujourd’hui ? Du fait de leur perte d’efficacité, il n’y a plus à ce jour d’anticorps monoclonaux approuvés pour un traitement préventif. Pour les personnes infectées pouvant développer des formes graves, les traitements recommandés sont des médicaments antiviraux comme l’association nirmatrelvir/ritonavir ou le remdesivir. Toutefois, ces molécules présentent quelques inconvénients : de possibles interactions avec d’autres médicaments, des effets secondaires parfois importants, un mode d’administration contraignant. En résumé, ces thérapies présentent plusieurs limites. Quid alors des anticorps monoclonaux en traitement curatif ? Si le sotrovimab a été repositionné comme une alternative possible contre les variants du SARS-CoV-2 ayant circulé au début de l’année 2023, il est inefficace contre certains variants actuels.
Cellules humaines infectées par SARS-CoV-2.En vert les cellules ayant fusionné et formé des syncytia, en rouge, production de la Spike, en bleu les noyaux cellulaire.
230000 à 300000 personnes immunodéprimées en France et présentant le risque de développer des formes graves de la Covid-19
Est-ce à dire alors que les anticorps monoclonaux sont des traitements définitivement caducs ? Non, car les recherches se poursuivent pour produire de nouveaux anticorps monoclonaux plus efficaces. Une équipe de scientifiques coordonnée par Hugo Mouquet a identifié chez des personnes convalescentes des anticorps neutralisants puissants, actifs sur un large spectre de variants du SARS-CoV-2. Les anticorps monoclonaux correspondants sont en cours de développement par la société SpikImm, start-up fondée par Truffle Capital et l’Institut Pasteur. SpikImm a déjà mené deux de ces anticorps jusqu’à la fin de la phase 1 et développe actuellement un anticorps optimisé pour une efficacité accrue sur les variants actuels, qui pourrait rapidement entrer en clinique. En fonction des résultats, les anticorps développés pourraient bénéficier d’une autorisation d’accès précoce en prévention de la Covid-19 chez les personnes immunodéprimées. Par ailleurs, d’autres anticorps monoclonaux contre les nouveaux variants, développés par différentes compagnies pharmaceutiques, sont en phase d’essai clinique.
Enfin, d’autres stratégies pour la mise au point des anticorps monoclonaux anti-Covid du futur sont envisageables. Aujourd’hui, l’objectif est d’empêcher l’entrée du SARS-CoV-2 dans la cellule et donc d’obtenir des anticorps neutralisants, qui ciblent la protéine spike du virus. Mais cette protéine mute beaucoup, diminuant ainsi fortement l’efficacité de reconnaissance des anticorps. Est-il envisageable de cibler d’autres parties du virus ? « On peut imaginer faire des anticorps contre d’autres protéines virales et que ces anticorps aient d’autres fonctions que la neutralisation. Mais ceci nécessite de mieux comprendre les fonctions des anticorps monoclonaux. Un tel travail peut nous aider à élargir notre panel d’anticorps et à être plus résilient face à la diversification virale » , indique Timothée Bruel.
Dans cette “adaptation réciproque” entre anticorps monoclonaux et variants viraux, les scientifiques n’ont donc pas dit leur dernier mot. Une priorité alors que, rien qu’en France, 230 000 à 300 000 personnes sont immunodéprimées et présentent le risque de développer des formes graves de la Covid-19.
Sources :
Reduced sensitivity of SARS-CoV-2 variant Delta to antibody neutralization, Nature, 8 juillet 2021
Considerable escape of SARS-CoV-2 Omicron to antibody neutralization, Nature, 23 décembre 2021
Serum neutralization of SARS-CoV-2 Omicron sublineages BA.1 and BA.2 in patients receiving monoclonal antibodies, Nature Medicine, 23 mars 2022
Potent Human Broadly SARS-CoV-2 Neutralizing IgA and IgG Antibodies Effective Against Omicron BA.1 and BA.2, Journal of Experimental Medicine, 15 juin 2022
Longitudinal analysis of serum neutralization of SARS-CoV-2 Omicron BA.2, BA.4, and BA.5 in patients receiving monoclonal antibodies, Cell Reports Medicine, 20 décembre 2022
Sotrovimab therapy elicits antiviral activities against Omicron BQ.1.1 and XBB.1.5 in sera of immunocompromised patients, Med, 13 octobre 2023