L’organisation spatiale tridimensionnelle du génome joue un rôle important dans la régulation de l’expression des gènes. On ignore cependant encore si les virus à ADN sont localisés au hasard dans le noyau ou au contraire entrent en contact avec des régions spécifiques du génome. Des chercheurs de l’Institut Pasteur viennent de montrer que les ADN viraux, bien qu’utilisant des stratégies différentes, contactent préférentiellement des régions spécifiques de la chromatine active car elles offrent vraisemblablement un environnement favorable à leur propre transcription. Leur travail suggère aussi que ces virus interfèrent avec l’expression des gènes cellulaires via l’établissement de ces contacts. Ceci ouvre de nouvelles perspectives pour l’étude des mécanismes contrôlant la transcription des virus.
L’organisation spatiale tridimensionnelle (3D) du génome joue un rôle important sur de nombreux processus métabolique de l’ADN dont la régulation de l’expression des gènes. Les virus qui transcrivent leur ADN dans le noyau doivent s’adapter aux mécanismes cellulaires existants qui régissent la régulation transcriptionnelle. Il est connu qu’ils utilisent ou détournent la machinerie transcriptionnelle de l’hôte au profit de l’expression des gènes viraux. On ignore cependant encore comment les virus à ADN vont faire face à ce niveau de régulation contrôlée par l’organisation 3D du génome.
Des chercheurs de l’Institut Pasteur, de l’unité Hepacivirus et immunité innée et de l’unité Régulation spatiale des génomes, ont donc étudié deux types de virus à ADN : le virus de l’hépatite B (HBV) et l’adénovirus de type 5 (Ad5).
- Le virus de l’hépatite B (HBV) est un virus à ADN dont la forme nucléaire est circulaire double brin clos et appelée ADNccc (pour ADN circulaire covalemment clos). Cet ADN sert de matrice à la transcription de tous les ARN viraux dont l’ARN prégénomique (pgARN) qui est encapsidé et rétrotranscrit(1) dans le cytoplasme en ADN partiellement double brin (ou ADN-RC). Les capsides sont enveloppées dans le réticulum endoplasmique puis sécrétées. Lors de l’infection par le virus de l’hépatite B, l’ADN-RC contenu dans les capsides est transloqué dans le noyau et réparé pour former l’ADNccc.
(1) La rétrotranscription est la transcription inverse de l’ARN en d’ADN par une enzyme ADN polymérase ARN-dépendante. - L’adénovirus de type 5 (Ad5) fait partie d’une grande famille de virus qui infectent un large éventail d’hôtes vertébrés. C’est un virus non enveloppé qui contient un génome linéaire double brin (long de 36 kilobases). Après infection, le génome est libéré dans le noyau où a lieu la transcription. Celle-ci est séparée par convention en deux phases par l’étape de réplication de l’ADN viral.
« L'étude de ces virus à ADN a montré qu’ils ne se retrouvent pas aléatoirement dans le génome, mais s’accumulent dans des régions actives. Non seulement ça, mais ces régions semblent différer suivant les virus, ce qui suggère que la régulation transcriptionnelle de l’hôte joue un rôle dans cette accumulation », résume Romain Koszul, responsable de l’unité Régulation spatiale des génomes à l’Institut Pasteur. Son équipe utilise des approches de capture de la conformation chromosomique (Hi-C) pour étudier l’organisation 3D des génomes. Avec Christine Neuveut, chef de groupe de la biologie moléculaire du virus de l'hépatite B, et Pierrick Moreau, chercheur post-doctoral dans ce groupe à l'Institut Pasteur, ils ont développé l’approche de capture de l’ADN viral (CHi-C), dérivée de la conformation chromosomique Hi-C, et ils ont étudié des hépatocytes humains primaires infectés par HBV ou par Ad5. Leur conclusion : les virus à ADN contactent préférentiellement la chromatine active en utilisant toutefois des stratégies différentes, spécifiques à chacun.
« Nous avons montré que le virus de l’hépatite B entre en contact avec les îlots CpG, des régions de l’ADN enrichies en facteur Cfp1 et que ce facteur est nécessaire à sa transcription », explique Christine Neuveut. « Ceci suggère qu’ HBV contacte préférentiellement ces régions spécifiques de la chromatine active car elles offrent un environnement favorable à sa propre transcription. »
De plus, les données suggèrent que ces interactions entre l’ADN viral et l’ADN cellulaire ne sont pas neutres et que le virus HBV pourrait interférer avec l’expression des gènes cellulaires. Ce qui pourrait à long terme comme dans le cas des infections chroniques par HBV contribuer à la pathogenèse. Ces conclusions ont été renfoncées par l’étude du virus Ad5, souligne Pierrick Moreau : « Nous avons montré qu’Ad5 contacte préférentiellement la chromatine active au niveau des sites d’initiation de la transcription et les régions activatrices (enhancers) des gènes fortement exprimés et des gènes dont l’expression est augmentée au cours de l’infection. »
Il sera important par la suite de déterminer les mécanismes responsables de l’adressage de l’ADN viral aux régions actives de la chromatine. La connaissance de ces mécanismes permettrait d’ouvrir de nouvelles perspectives thérapeutiques ciblant l’établissement et le maintien par exemple de l’ADNccc du virus de l’hépatite B.
Source
Tridimensional infiltration of DNA viruses into the host genome shows preferential contact with active chromatin, Nature Communications, 15 octobre 2018.
Pierrick Moreau1,2,3, Axel Cournac4,5, Gianna Aurora Palumbo1,2,3, Martial Marbouty4,5, Shogofa Mortaza4,5, Agnes Thierry4,5, Stefano Cairo6, Marc Lavigne3,7, Romain Koszul4,5 & Christine Neuveut1,2,3.
1. Institut Pasteur, Unité Hepacivirus et Immunité Innée, 75015 Paris, France.
2. CNRS, UMR 3569, 75015 Paris, France.
3. Institut Pasteur, Département de Virologie, Paris, France.
4. Institut Pasteur, Département Génomes et Génétique, Groupe Régulation spatiale des génomes, 75015 Paris, France.
5. CNRS, UMR 3525, 75015 Paris, France.
6. XenTech, Research and Development Department, 91000 Evry, France.
7. Institut Cochin-INSERM U1016-CNRS UMR8104, université Paris Descartes, Paris, France.
These authors contributed equally: Pierrick Moreau, Axel Cournac.
Contacts : christine.neuveut@pasteur.fr ; romain.koszul@pasteur.fr