L’étude du développement embryonnaire est une discipline complexe et très encadrée. En influant sur un processus régulant l’expression des gènes, des chercheurs de l’Institut Pasteur sont parvenus à recréer in vitro des amas cellulaires de souris mimant sous certains aspects l’organisation de vrais embryons. Ce nouvel outil de recherche permet d’éviter la manipulation d’embryons. La reconstruction de modèles d’embryons in vitro ouvre la voie à des applications comme l’étude des cancers, des maladies congénitales et de l’infertilité, ou encore constituer une source de tissus pour la médecine régénérative.
L’embryon est le nom donné à un organisme lors des premières phases de son développement, depuis la formation de l’œuf après la fécondation jusqu’au stade où les principaux organes sont formés.
La recherche sur l’embryon humain est très encadrée et régie par des règles strictes de bioéthique. Elle est autorisée en France depuis 2013, sous conditions et sous contrôle de l’Agence de biomédecine (en savoir plus sur la recherche sur l’embryon & les cellules souches embryonnaires). Ainsi, dans un grand nombre de pays, il est interdit de cultiver et d’utiliser des embryons humains au-delà de 14 jours après la fécondation. Dans le respect de cette réglementation éthique, les scientifiques de l’Institut Pasteur développent des outils de recherche in vitro, permettant d’éviter la manipulation d’embryons.
Une technologie d’embryons synthétiques prometteuse
Afin de comprendre les processus fondamentaux mis en jeu lors du développement embryonnaire, les chercheurs ont donc orienté leurs études vers d’autres mammifères, notamment la souris. Si d’énormes progrès ont été réalisés au cours des dernières décennies, la compréhension des mécanismes moléculaires impliqués dans l’émergence et l’organisation des types cellulaires au sein de l’embryon reste superficielle. En cause, la rareté du matériel biologique et la complexité d’étudier l’embryon in utero, qui rendent difficile une approche dynamique de l’embryogenèse. Pour pallier ces limites, des embryons synthétiques ont été développés in vitro.
Récemment, une percée majeure a été réalisée par deux autres laboratoires. Ceux-ci ont réussi l’exploit de reconstruire, à partir de cellules souches embryonnaires, des embryons synthétiques qui récapitulent presque parfaitement le développement de la souris jusqu’au stade fœtal. Mais avec moins de 1% de réussite, la procédure est complexe et fait intervenir un appareillage sophistiqué. Des contraintes qui ne la rendent pas suffisamment reproductible pour envisager des applications à grande échelle.
Une approche améliorée pour générer des embryons de souris in vitro
Des scientifiques de l’Institut Pasteur, de l’Inserm et de l’École Polytechnique, en collaboration avec le Centre Helmholtz et l’Université de Copenhague, ont développé une nouvelle approche pour générer des embryons synthétiques de souris. Elle repose sur le seul traitement des cellules souches embryonnaires de souris par une molécule chimique pendant un temps court. Celle-ci inhibe l’accrochement d’une petite protéine, appelée SUMO, à d’autres protéines de la cellule. En agissant sur les complexes protéiques de la chromatine (la structure où l’ADN est empaqueté), SUMO assure la stabilité de l’expression des gènes, laquelle confère à la cellule son identité : ce phénomène est appelé la SUMOylation.
L’unité Organisation nucléaire et oncogenèse de l’Institut Pasteur et de l’Inserm étudie depuis longtemps la SUMOylation. « Nous avons émis l’hypothèse que des cellules souches embryonnaires pourraient entrer dans un état instable si elles sont privées de SUMOylation et placées dans un environnement favorable, SUMO ne jouant alors plus son rôle de garde du corps de l’identité cellulaire. Cette remise à zéro serait alors propice à l’émergence de types cellulaires présents dans l’embryon naturel précoce de souris » explique Anne Dejean, responsable de l’unité et co-autrice de l’étude.
Un modèle efficace et facile à utiliser
Pour éprouver cette hypothèse, les scientifiques ont soumis des cellules souches embryonnaires de souris à une molécule qui inhibe l’action de la protéine SUMO. « Nous avons été très surpris d’observer non seulement l’apparition de nombreux types de cellules différenciées, mais également que ces cellules étaient capables de s’auto-organiser spontanément et de manière harmonieuse, pour former in fine une structure polarisée mimant les principales caractéristiques d’un embryon de souris », souligne Jack-Christophe Cossec, chercheur au sein de l’unité et co-auteur de l’étude.
Bien que l’architecture globale soit moins aboutie et la variété cellulaire moins importante que dans les autres modèles, trois-quarts des structures générées forment des pseudo-embryons qui s’allongent progressivement avec la formation d’une tête et d’un tronc (voir vidéo ci-dessous).
De plus, l’utilisation d’une puce microfluidique développée dans l’unité Microfluidique physique et bio-ingénierie de l’Institut Pasteur rend l’expérience beaucoup plus facilement reproductible.
On savait qu’il était possible de faire revenir des cellules matures différenciées à l’état de cellules souche en agissant sur la chromatine. Cette étude prouve que la réciproque peut être vraie : en intervenant sur la stabilisation des complexes protéiques au niveau de la chromatine, on peut générer une variété de cellules différenciées qui s’assemblent correctement pour former un pseudo-embryon.
L’efficacité et la grande simplicité d’utilisation de cette approche ouvrent la voie à l’utilisation de molécules régulant l’état chromatinien, avec l’espoir de reconstruire un jour des modèles fidèles d’organes et d’embryons. Ces modèles pourraient permettre de mieux comprendre les mécanismes qui orchestrent l’établissement de l’identité de nos cellules et leurs dérèglements, notamment lors de la transformation tumorale.
Cette étude entre dans le cadre de l’initiative Cancer du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
Source :
Cossec, J.-C. et al. Transient suppression of SUMOylation in embryonic stem cells generates embryo like structures. Cell Reports, 2023. https://doi.org/10.1016/j.celrep.2023.112380