Pour échapper aux prédateurs ou obtenir ce qu’ils convoitent, les animaux doivent anticiper leurs mouvements. Mais comment le cerveau accomplit-il cette tâche ? Des chercheurs de l’Institut Pasteur ont enregistré l’activité de neurones du cortex frontal de souris entraînées à courir vers des récompenses. Ils ont découvert que quelques secondes avant que les souris ne se mettent à courir, le rythme d’activité des neurones s’accélère.
Pour chaque mouvement consciemment décidé, notre cerveau doit traiter des informations provenant d’une multitude de sources distinctes avant de mettre son plan à exécution, impliquant une maîtrise subtile de nombreuses parties du corps, qui doivent être coordonnées avec précision. Comment les réseaux du cerveau accomplissent-ils cette tâche impressionnante ? « Le cortex frontal est une région du cerveau impliquée dans la planification du comportement moteur », explique Christoph Schmidt-Hieber, responsable du laboratoire Circuits neuronaux de la navigation et de la mémoire spatiales à l’Institut Pasteur. « Les cellules cérébrales de cette région intégreraient les informations arrivant à leurs structures d’entrée – les synapses – jusqu’à un certain seuil, qui déclenche alors une action motrice. Cependant, le fondement du traitement, avant le mouvement, des entrées synaptiques provenant de différentes sources restait énigmatique. »
La réalité virtuelle pour observer le traitement de l’information synaptique
Pour élucider ce mystère, les chercheurs ont dû s’atteler à l’enregistrement d’entrées synaptiques dans les neurones du cortex frontal d’animaux exprimant un comportement. Chun-Lei Zhang, premier auteur de l’étude, y est parvenu en associant enregistrements électrophysiologiques et tâches ciblées réalisées dans un environnement de réalité virtuelle pour souris : « Nous avons employé une technique électrophysiologique appelée "patch-clamp", qui permet de mesurer les entrées synaptiques reçues par chaque neurone du cortex frontal lorsque les souris courent vers une récompense au sein d’un environnement de réalité virtuelle. » Grâce à ces techniques combinées, les chercheurs ont découvert que l’activité des neurones des animaux non entraînés augmentait quelques secondes avant qu’ils ne se mettent à courir, à un rythme très lent. Étonnamment, cette hausse d’activité dépend donc du niveau d’entraînement de l’animal, l’apprentissage de la tâche ciblée d’obtention de la récompense accélérant ces signaux. « Pour comprendre le rôle joué par différents éléments du réseau neuronal dans ce phénomène, nous avons conjugué modélisation computationnelle et inactivation de neurones spécifiques du cortex frontal », indique Chun-Lei Zhang. « Cette stratégie nous a permis de déterminer comment les composantes du circuit contribuaient au signal d’activité. »
Le fondement neuronal des décisions motrices
Ces découvertes constituent une pièce essentielle du puzzle du déclenchement de l’action motrice ciblée par l’activité neuronale de notre cerveau. En décryptant les différents facteurs contribuant à un gain d’activité au niveau du cortex frontal, cette étude apporte un nouvel éclairage sur le fondement neuronal de la planification du mouvement. « L’activité caractéristique que nous observons pendant la préparation du mouvement pourrait être un signal d’anticipation plus général émis chaque fois qu’un stimulus atteint la perception consciente et peut être utilisé aux fins de décisions comportementales », se demande Christoph Schmidt-Hieber.
Ce travail a reçu le soutien financier de l’ERC (StG 678790 NEWRON pour C. S.-H., MSCA 800027 FindMEMO pour M. A., Human Brain Project SGA2 785907 pour J.-P. C. et F. K. et Human Brain Project SGA3 945539 pour J.-P. C.), du Conseil Pasteur-Weizmann (pour C. S.-H.), du programme INCEPTION (Investissements d’Avenir ANR-16-CONV-0005 pour C. O.) et du programme d’allocations Pasteur-Roux (pour M. A.).
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies de la connectivité cérébrale et maladies neurodégénératives du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
Source:
Inhibitory control of synaptic signals preceding locomotion in mouse frontal cortex, Cell Reports, 23 novembre 2021, https://www.cell.com/cell-reports/fulltext/S2211-1247(21)01517-5
Chun-Lei Zhang1, Fani Koukouli2,3, Manuela Allegra1, Cantin Ortiz1,4, Hsin-Lun Kao1, Uwe Maskos2, Jean-Pierre Changeux5,6, Christoph Schmidt-Hieber1
1 - Institut Pasteur, Université de Paris, Neural Circuits for Spatial Navigation and Memory, F-75015 Paris, France
2 - Institut Pasteur, Université de Paris, CNRS UMR 3571, Integrative Neurobiology of Cholinergic Systems, F-75015 Paris, France
3 - Institut Du Cerveau-Paris Brain Institute-ICM, Sorbonne Université, Inserm U1127, CNRS UMR 7225, F-75013 Paris, France
4 - Sorbonne Université, Collège Doctoral, F-75005 Paris, France
5 - Institut Pasteur, Université de Paris, Department of Neuroscience, F-75015 Paris, France
6 - Collège de France, F-75005 Paris, France