Pour la première fois, une expérience de métagénomique tridimensionnelle a été réalisée sur un échantillon de microbiote intestinal de souris. Cette méthode permet de quantifier et d’exploiter les contacts physiques 3D entre des molécules d’ADN, présentes dans un mélange d’espèces, et en déduire si elles sont proches. Il devient alors possible d’analyser les interactions entre les génomes de bactéries et de phages. L’étude pratiquée sur cet environnement naturel complexe met en évidence la puissance des nouvelles approches de génomique. Romain Koszul, à la tête de l’équipe Régulation spatiale des génomes, à l’Institut Pasteur, revient sur cette découverte.
Le microbiote intestinal est un élément essentiel de l’écosystème de notre corps. « On sait que la dynamique, l’équilibre et les effets des communautés microbiennes sont fortement influencés par les phages présents dans la population », explique Romain Koszul, responsable du groupe Régulation spatiale des génomes*, à l’Institut Pasteur (Paris). Les phages sont des virus qui infectent les bactéries. C’est pourquoi l’étude des relations bactérie-phage est importante pour comprendre ces écosystèmes dans toute leur complexité.
Une étude de métagénomique...
La métagénomique est cette discipline qui permet l’étude du métagénome, ou l’ensemble des fragments d’ADN extrait d’une communauté microbienne. Mais, « il n’est pas facile de caractériser des génomes bactériens et viraux complets à partir d’un mélange complexe d’espèces présentes dans le microbiote intestinal, par exemple, reprend Romain Koszul. D’autre part, lorsqu’on parvient à déterminer des séquences d’ADN de phages présentes dans une population de bactéries, le plus dur reste à faire : attribuer les séquences de phages à leurs hôtes bactériens. » Pour lever ces freins, l’équipe de Romain Koszul a utilisé une nouvelle approche de métagénomique, dite meta3C (3C pour capture de conformation de chromosome), une méthode expérimentale et computationnelle qui exploite les contacts physiques entre les molécules d’ADN pour en déduire la proximité. « Un précédent travail nous avait déjà permis de tester cette technique sur des populations connues. Là, nous fixons une population microbienne de composition inconnue, gelons les structures 3D de tous les ADN, et mesurons les fréquences de contacts entre ceux-ci. Nous sommes ainsi en mesure d’établir une carte de contacts entre tous ces fragments d’ADN puis, avec des algorithmes que nous avons développés, de reconstituer les génomes des différentes bactéries et des phages de la population. » Ensuite, en analysant les contacts entre ces génomes, l’équipe est capable d’en déduire quels phages sont en contact avec quelles bactéries…
...sur le microbiote intestinal de souris
Une des prouesses de leur nouvelle l’étude, parue en février 2017, est de faire la preuve de leur méthode sur un échantillon naturel complexe : le microbiote intestinal de souris. « En analysant les selles de souris, nous avons travaillé avec près de 375 000 petits fragments d’ADN microbien, à partir desquels nous avons reconstitué une centaine de génomes bactériens et viraux, souligne Romain Koszul. Et nous avons vu les contacts physiques entre ces génomes, ce qui n’avait jamais été fait avant. » Un travail qui ouvre de nouvelles perspectives pour dresser un tableau complet de la structure génomique de la flore intestinale. « Nous avons caractérisé de nouveaux phages et leur spectres d’infection, c’est-à-dire s’ils infectent une ou plusieurs bactéries. » Ce type d’analyse des génomes du microbiote a des implications importantes pour les études en santé humaine, puisqu’elles ouvrent des perspectives importantes sur l’étude de la dynamique de ces écosystèmes. « On peut étudier, par exemple, comment des gènes de résistance aux antibiotiques se propagent dans des populations microbiennes complexes dans différentes conditions. » D’ailleurs, l’équipe de Romain Koszul fait désormais partie d’un consortium européen qui rassemble les efforts de recherche en matière de résistance aux antimicrobiens, la Joint Programming Initiative on Antimicrobial Resistance (JPI AMR). « Nous allons utiliser notre méthode sur des échantillons humains hospitaliers et d’autres échantillons issus de l’agroalimentaire », annonce Romain Koszul. Les analyses, encore à ce stade à des fins de recherche, fourniront des informations précieuses sur l’adaptation et l’évolution des espèces présentes dans les écosystèmes microbiens. Et, pourquoi pas, déboucher un jour sur des applications diagnostiques dans le cadre, par exemple, d’une assistance à la prescription à l’hôpital.
* Ce laboratoire est un « Groupe à cinq ans », c’est-à-dire une équipe de recherche destinée à de jeunes scientifiques à fort potentiel.
Source
Scaffolding bacterial genomes and probing host-virus interactions in gut microbiome by proximity ligation (chromosome capture) assay, Science Advances, 17 février 2017.
Martial Marbouty1,2, Lyam Baudry1,2, Axel Cournac1,2, Romain Koszul1,2
1. Institut Pasteur, département Génomes et génétique, groupe Régulation spatiale des génomes, 75015 Paris, France.
2. CNRS, UMR 3525, 75015 Paris, France.