Les infections à klebsielles sont parmi les plus résistantes aux antibiotiques. Une grande étude sur la colonisation intestinale par les klebsielles lève le voile sur le portage humain de ces souches en communautaire (c’est-à-dire hors de l’hôpital), dans les pays à faible ressources. Cette étude montre notamment que le contrôle du portage à klebsielles est un défi complexe.
Les klebsielles sont des habitants normaux du tube digestif humain. Contrairement aux bactéries apparentées comme Salmonella qui causent des infections à chaque fois qu’elles sont présentes (on dit que ce sont de vrais pathogènes), les klebsielles sont dites opportunistes car elles causent des infections uniquement quand les conditions sont réunies : système immunitaire affaibli, procédures chirurgicales, nouveaux nés dont la flore digestive « barrière » n’est pas encore constituée, par exemple. Les klebsielles envahissent alors d’autres organes et peuvent causer des infections du sang, des urines ou du système respiratoire.
Les klebsielles, bactéries multirésistantes aux antibiotiques
Le problème est que ces infections à klebsielles sont parmi les plus résistantes aux antibiotiques. Devant la difficulté à les traiter, le taux de mortalité des infections du sang dépasse les 50% pour les plus résistantes d’entre elles, résistantes aux antibiotiques puissants appelés carbapénèmes. Elles sont souvent transmises à l’hôpital où elles accumulent de nombreux gènes de résistance.
La résistance extraordinaire des klebsielles, groupe bactérien chez qui nous avons vu apparaître pour la première fois des gènes de résistance devenu problématiques mondialement, est due à leur capacité à coloniser de nombreuses niches écologiques, où elles acquièrent les gènes de résistance qui s’y trouvent chez d’autres bactéries, environnementales ou animales. Etant de bons colonisateurs du tube digestif humain, elles colonisent l’organisme via l’exposition environnementale, l’alimentation et les séjours à l’hôpital. Elles représentent donc un risque d’infections multirésistantes, en particulier chez les nouveau-nés au moment de l’accouchement lorsque la mère est « colonisée ». Elles peuvent aussi transmettre leurs gènes de résistance à d’autres bactéries, vrais pathogènes présents dans le tube digestif.
Identifier les souches de klebsielles en portage humain communautaire, en particulier dans les pays à faible ressource
Jusqu’à récemment, l’identité des souches de klebsielles en portage humain communautaire (hors hôpital), qui représente le plus grand réservoir de souches, était très peu connue, en particulier dans les pays à faible ressource. On ne connaissait pas bien ni la fréquence du portage, ni la fréquence des souches résistantes parmi celles présentes, ni leur identité génétique. A l’inverse, les souches causant des infections sont très bien connues, mais représentent la partie émergée de l’iceberg.
Pour lever le voile sur la population cachée des klebsielles, une grande étude de dépistage du portage à klebsielles a été entreprise, financée par l’Institut Pasteur (ACIP). Elle a été menée conjointement par le laboratoire de Biodiversité et épidémiologie des bactéries pathogènes (Sylvain Brisse, Institut Pasteur, l’unité Epidémiologie et modélisation de la résistance aux antimicrobiens (Bich-Tram Huynh, Institut Pasteur, Inserm et Université de Saint-Quentin-en-Yvelines) et les unités d’épidémiologie et de bactériologie des instituts de Madagascar, du Cambodge et de Dakar. « Pour mener à bien cette étude, nous nous sommes appuyés sur une cohorte mère-enfant suivie dans le cadre d’un projet sur les infections bactériennes des nouveaux nés dans les pays à faibles ressources, le projet BIRDY », explique Sylvain Brisse.
Au total, 911 femmes enceintes de zones rurales et urbaines à Madagascar, au Cambodge et au Sénégal ont été dépistées avec une méthodologie originale qui permettait de détecter pour la première fois toutes les souches de klebsielles, et non pas seulement celles résistantes aux antibiotiques. « Cette étude a révélé que plus de la moitié des personnes portent des klebsielles de manière asymptomatique, et que parmi celles–ci près d’un tiers sont résistantes à au moins un antibiotique. » Des analyses de séquençage génomique de près de 500 souches, ont révélé les gènes de résistance portés par les klebsielles du tube digestif.
Par ailleurs, la diversité des klebsielles portées par les communautés humaines est énorme car pratiquement chaque personne porte une souche unique. « Les facteurs de risque de portage de klebsielles ont montré le rôle possible de différentes expositions (contacts avec les animaux vivant à proximité ou alimentation) dans la transmission, mais aucune exposition commune n’a été trouvée dans tous les pays ce qui suggère des sources différentes selon les pays », souligne Bich-Tram Huynh.
Cette étude éclaire d’un jour nouveau le rôle du portage à klebsielles dans l’évolution de la résistance aux antibiotiques, et les liens de parenté des souches colonisatrices avec les souches d’infections. Elle montre que le contrôle du portage à klebsielles est un défi complexe.
Source
Klebsiella pneumoniae carriage in low-income countries: antimicrobial resistance, genomic diversity and risk factors, Gut Microbes, 13 mai 2020
Bich-Tram Huynh a, Virginie Passet b, Andriniaina Rakotondrasoa c, Thierno Diallo d, Alexandra Kerleguer e, Melanie Hennart b, Agathe De Lauzanne f, Perlinot Herindrainy g, Abdoulaye Seck d, Raymond Berciond, Laurence Borand f, Maria Pardos de la gandara h, Elisabeth Delarocque Astagneau a, Didier Guillemot a, Muriel Vray i , Benoit Garinc, Jean-Marc Collardc, Carla Rodrigues b, and Sylvain Brisseb
a. Institut Pasteur, INSERM, Université de Versailles Saint Quentin (UVSQ), France. Epidemiology and Modelling of Antibacterial Evasion. CESP - U1018 « Echappement aux anti-infectieux et pharmacoépidémiologie »;
b. Institut Pasteur, Biodiversity and Epidemiology of Bacterial Pathogens, Paris, France;
c. Experimental Bacteriology Unit, Institut Pasteur Madagascar;
d. Laboratory of Medical Biology, Institut Pasteur De Dakar, Dakar, Senegal;
e. Medical Biology Unit, Institut Pasteur du Cambodge, Phnom Penh, Cambodia;
f. Epidemiology & Public Health Unit, Institut Pasteur du Cambodge, Phnom Penh, Cambodia;
g. Epidemiology & Public Health Unit, Institut Pasteur Madagascar;
h. Institut Pasteur, Centre National de Référence des Escherichia coli, Shigella et Salmonella, Paris, France;
i. Epidemiology & Public Health Unit, Institut Pasteur de Dakar, Dakar, Sénégal.