Eviter l’infection, et cela le plus rapidement possible, ce sera la leçon qu’il reviendra à la médecine militaire de mettre en œuvre durant la guerre 14-18. Et les pasteuriens vont s’y consacrer dans toute la mesure de leurs moyens. L’un eux est Claudius Regaud qui, convaincu que l’évacuation des blessés doit impérativement être limitée et le traitement mis en œuvre sur place aussi vite que possible, parviendra à diminuer considérablement la mortalité.
La plupart des médecins qui travaillaient à l’Institut Pasteur sont mobilisés et se retrouvent sur le front. Ils sont confrontés à l’horreur des blessures de guerre. Les armes n’ont cessé de se perfectionner durant le XIXe siècle. La nouvelle artillerie, les obus, les mitrailleuses, fracassent, désarticulent les corps, réduisent les chairs en bouillie. Qu’arrive-t-il alors aux blessés qui ne succombent pas rapidement ? Durant les premières semaines de la guerre, la priorité est de les évacuer au plus vite vers les hôpitaux de l’arrière. Cependant, les trains qui arrivent chargés de troupes fraiches sont prioritaires sur les convois qui emportent les blessés, laissés étendus dans la paille souillée des wagons, des jours durant, sans aucun soin, exposés à tous les risques d’infection.
Infection, voilà le grand danger. Infection par une catégorie particulière de microbes : les bactéries anaérobies, comme celle du tétanos. Des organismes anaérobies, dont Pasteur avait découvert l’existence un demi-siècle plus tôt, lors de ses travaux sur la fermentation butyrique, et qu’il avait retrouvés un peu plus tard, dans ses travaux sur les maladies infectieuses. Il avait découvert qu’une bactérie anaérobie, qu’il baptisa vibrion septique, provoque une septicémie mortelle lorsqu’elle pénètre dans le courant sanguin.
Or ce vibrion est ubiquitaire. On le trouve partout, dans la terre, dans l’eau etc. sous forme de spores quand la présence de l’oxygène l’empêche de se développer. Aussi a-t-il de fortes chances de se retrouver dans une plaie souillée et d’y provoquer la septicémie (découvrez notre fiche maladie). Cela n’a pas échappé à Pasteur, qui préconise, en présence d’une plaie souillée, de tout faire pour permettre à l’air d’y pénétrer dans les moindres recoins, faute de quoi le vibrion septique et éventuellement d’autres germes anaérobies pourraient s’y multiplier et causer la septicémie ou la gangrène.
Eviter l’infection, et cela le plus rapidement possible, ce sera là la leçon qu’il reviendra à la médecine militaire de mettre en œuvre durant la guerre. Et les pasteuriens vont s’y consacrer dans toute la mesure de leurs moyens.
L’un d’entre eux est Claudius Regaud, qu’Émile Roux avait recruté pour développer, auprès de Marie Curie, les applications médicales des rayons ionisants, et qui sera avec Marie Curie le fondateur de l’actuel Institut Curie.
Des structures d’urgence pour diminuer la mortalité
Claudius Regaud, arrivé fin août 1914 sur le front, est convaincu que l’évacuation doit impérativement être limitée, les blessés traités sur place aussi vite que possible, et non pas expédiés sans traitement dans des trains douteux vers une mort quasi certaine. Il entreprend donc d’établir un hôpital de fortune juste derrière la ligne de front. Des lits pour les blessés sont installés dans les hôtels, les restaurants, les cafés, que les clients ont fui. Avec les moyens du bord il parvient à diminuer considérablement la mortalité. Le dispositif mis en place lui attire les foudres de ses supérieurs… mais il tient bon. Avec raison. Au milieu des hécatombes, son travail finit par être reconnu et la position du commandement évolue et se rend à ses conceptions.
Par la suite, soutenu par Justin Godart, sous-secrétaire d’état chargé de la Santé au ministère de la guerre, Regaud créera, près de Reims, à une vingtaine de kilomètres du front, ce qui s’apparentera au tout premier Centre Hospitalier et Universitaire. Dans cette structure, bien organisée en services spécialisés, les blessés seront, pour la plupart, traités sur place au lieu d’être évacués dans des conditions dangereuses. En outre, cette structure servira de centre de formation pour les médecins militaires qui seront ainsi mis au courant de l’évolution des techniques durant le conflit. Bien plus, les appelés ayant commencé des études de médecine y recevront une formation en continu.
Dans le même esprit, et en accord avec la doctrine pasteurienne, seront créées les fameuses « Autochir » ou ambulances automobiles chirurgicales, permettant d’opérer les blessés au plus près du front. Beaucoup de pasteuriens y serviront, en général comme microbiologistes chargés de l’identification des microbes infectant les plaies.
Découvrez notre série consacrée aux Pasteuriens pendant la Grande Guerre
Extrait d’une conférence au Palais de la Découverte, mercredi 21 mars 2018, avec Annick Perrot, conservateur honoraire du musée Pasteur, et Maxime Schwartz, ancien directeur général de l’Institut Pasteur.
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : introduction
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : la typhoïde
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : le tétanos
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : septicémie et gangrène
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : la lutte contre les rats
Les Pasteuriens pendant la Grande Guerre : paludisme et Armée d’Orient