Les parasites du genre Leishmania présentent une importante instabilité génomique, que ces pathogènes utilisent pour s’adapter à leur environnement. Une étude menée par des chercheurs de l’Institut Pasteur montre que Leishmania exploite des ARN non codants pour contenir les effets toxiques de cette instabilité génomique via une régulation post-transcriptionnelle et l’établissement de ribosomes spécialisés.
L’évolution darwinienne joue un rôle central quoique mal compris dans les maladies humaines. Les itérations entre la mutation génétique et la sélection environnementale favorisent le développement de cancers, l’infection microbienne et les échecs thérapeutiques. Mais les mécanismes moléculaires qui exploitent les effets délétères de l’instabilité génomique pour générer des phénotypes bénéfiques chez les pathogènes restent inconnus. Dans un article publié dans PNAS, des chercheurs de l’unité Parasitologie moléculaire et signalisation de l’Institut Pasteur, assistés du hub de Bioinformatique et biostatistique, et leurs collaborateurs ont démontré que les effets délétères de l’instabilité génomique des parasites Leishmania pouvaient être compensés par des changements adaptatifs dans la stabilité et la modification de l’ARN.
L’étude a été menée sur le parasite Leishmania, à l’origine de maladies humaines dévastatrices appelées leishmanioses. Les infections qu’il provoque peuvent s’étendre aux viscères et entraîner la mort. Le parasite est transmis par un insecte : le phlébotome. Présente sur tous les continents, la leishmaniose touche chaque année entre 700 000 et 1 million de personnes. Une meilleure compréhension des mécanismes d’adaptation de Leishmania pourrait aider à la prise en charge de ces maladies.
De l’ARN non codant modifie les ribosomes
Dépourvus de contrôle transcriptionnel – le contrôle de quels gènes sont transcrits en ARN, les parasites Leishmania régulent le niveau d’expression génique par des changements fréquents du nombre de copies de gènes et de chromosomes, et donc par un dosage génique. En analysant l’adaptation in vitro de parasites issus de hamsters par la modification du nombre de copies de gènes (niveau génomique) et de l’expression génique (niveau transcriptomique), les chercheurs ont établi un lien entre l’avantage adaptatif de ce système modèle eucaryote unique et la co-amplification de gènes fonctionnellement apparentés. Il a été démontré qu’un important groupe de gènes amplifiés codait pour de petits ARN nucléolaires (snoRNA, pour small nucleolar RNA) impliqués dans le traitement de l’ARN ribosomique (ARNr) et la modification d’ARN cellulaires.
Une corrélation a en effet été établie entre l’augmentation de la quantité de snoRNA en fonction du dosage génique et la modification accrue de l’ARNr. Étant donné le rôle joué par l’ARNr dans la synthèse des protéines, ces résultats suggèrent l’établissement de ribosomes adaptés qui fournissent un avantage susceptible de limiter encore les éventuels effets toxiques de l’instabilité génomique en régulant la traduction des ARN messagers en protéines. Le lien entre l’instabilité génomique de Leishmania, les snoRNA et la traduction des protéines fait des ARN non codants, comme les snoRNA, de nouveaux biomarqueurs potentiels à valeur diagnostique et pronostique, pouvant être associés à des changements dans la préférence tissulaire du parasite ou sa susceptibilité aux médicaments. Cet éclairage inédit sur l’adaptation de Leishmania pourrait s’appliquer à d’autres systèmes eucaryotes à l’évolution rapide et aux génomes instables, tels que les champignons et les cellules cancéreuses.
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies infectieuses émergentes du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
Source :
Genome instability drives epistatic adaptation in the human pathogen Leishmania, PNAS, 21 décembre 2021
Giovanni Bussotti1,2, Laura Piel2, Pascale Pescher2, Malgorzata A. Domagalska3, K. Shanmugha Rajan4, Tirza Doniger4, Disha-Gajanan Hiregange5, Peter J. Myler6-10, Ron Unger4, Shulamit Michaeli4, Gerald F. Späth2
1 - Institut Pasteur, hub de Bioinformatique et biostatistique, C3BI, USR 3756 IP CNRS, Paris, France.
2 - Institut Pasteur, INSERM U1201, unité Parasitologie moléculaire et signalisation, Paris, France.
3 - Institut de médecine tropicale, unité Parasitologie moléculaire, B-2000, Anvers, Belgique.
4 - Faculté des sciences de la vie Mina et Everard Goodman et Institut de nanotechnologie et des matériaux avancés, université Bar-Ilan, Ramat Gan 52900, Israël.
5 - Département de biologie chimique et structurale, Institut Weizmann des Sciences, Rehovot, 7610001 Israël.
6 - Seattle Structural Genomics Center for Infectious Disease, Seattle, Washington, États-Unis.
7 - Department of Biomedical Informatics and Medical Education, université de Washington, Seattle, Washington, États-Unis.
8 - Department of Pediatrics, université de Washington, Seattle, Washington, États-Unis.
9 - Department of Global Health, université de Washington, Seattle, Washington, États-Unis.
10 - Center for Global Infectious Disease Research, Seattle Children's Research Institute, Seattle, Washington, États-Unis.