Frédéric Tangy, expert en vaccinologie, a été récompensé en 2017 par l’Institut Pasteur pour son travail sur la plateforme dite Rougeole et nommé membre de la National Academy of Inventors aux Etats-Unis. Alors que l’Institut Pasteur entre dans sa 130e année d’existence - 130 ans célébrés le 14 novembre 2018 – nous avons rencontré le lauréat pour l’interroger sur son domaine de recherche. Rencontre avec Frédéric Tangy, également co-auteur d’un récent livre sur les vaccins.
Adhérant de la National Academy of Inventors (NAI) aux Etats-Unis, depuis 2015, l’Institut Pasteur a souhaité célébrer la curiosité, la créativité, l’innovation, l’invention et la richesse de la culture pasteurienne. Le 27 juin 2017, l’Institut a ainsi récompensé 14 de ses inventeurs qui ont été nommés membres de la NAI. L’événement a fait résonner l’esprit pionnier de Louis Pasteur et de celui des générations de chercheurs pasteuriens qui se sont succédé. Les travaux de recherche de ces 14 scientifiques mis à l’honneur ont donné lieu à plusieurs brevets américains ayant fait l’objet d’une exploitation de licences ayant un impact positif pour la société et pour l’Institut.
Les vaccins sont au cœur d’un vaste débat en France. Quel regard porter sur cette question ?
Il y a toujours eu beaucoup d’idées reçues sur les vaccins. Cela tient à l’essence même des vaccins qui constituent un traitement préventif, à prendre lorsqu’on est en bonne santé. Il est difficile de comprendre a priori le bénéfice qu’ils vont nous apporter. Ces craintes existaient déjà du temps du britannique Edward Jenner et ses premiers vaccins contre la variole. Depuis, on sait que la vaccination sauve chaque année des millions de vies ! A la fin des années 70, la variole a été totalement éradiquée grâce à une action de l’Organisation mondiale de la santé combinant des campagnes de vaccination massive et une stratégie de surveillance de la maladie. Malheureusement, on oublie facilement combien la vaccination a amélioré la santé des populations. Aujourd’hui, les premières informations que l’on trouve sur internet sont souvent des contre-vérités, entretenues sans aucune objectivité. Par ailleurs, depuis 10 ans que j’enseigne la vaccinologie à des professionnels de santé à l’Institut Pasteur, je constate qu’eux-mêmes connaissent parfois insuffisamment les vaccins pour pouvoir les défendre, hormis bien sûr les spécialistes, comme les pédiatres ou les infectiologues. Or un soignant à court d’arguments scientifiques peut instiller un doute sur la vaccination. On imagine la confusion dans l’esprit du public. Une meilleure information, simple et transparente, doit permettre de rassurer chacun. C’est la raison de ce livre, rédigé avec mon collègue Jean-Nicolas Tournier, qui explique l’intérêt et le fonctionnement des vaccins au plus grand nombre.
Il y a eu beaucoup de progrès au XXe siècle. Aujourd’hui, pourquoi faut-il tant de temps pour mettre au point un nouveau vaccin ?
La première grande étape de la recherche vaccinale – la recherche pure, quand on démarre de zéro et qu’il faut élaborer un candidat vaccin – a une durée extrêmement variable. Elle peut être rapide (un an ou deux) ou très longue, selon la maladie sur laquelle on travaille. Pour le sida la recherche d’un vaccin dure depuis plus de 30 ans, pour le paludisme plus de 40 ans ! Les sources d’échec sont nombreuses : la variabilité du pathogène, la difficulté à le manipuler, l’échappement aux réponses immunitaires, etc. En matière de vaccins, tout ce qui était facile à faire a déjà été fait et tout ce qui est difficile n’a toujours pas abouti. La recherche fondamentale est indispensable pour que naissent des solutions nouvelles. La deuxième étape – incompressible – est le développement préclinique et clinique du candidat vaccin. La phase préclinique dure environ deux ans : il s’agit de mettre au point un procédé industriel de fabrication du candidat vaccin et de démontrer son absence de toxicité. Seulement alors, les essais cliniques chez l’homme peuvent être initiés. Leur durée dépend de l’épidémiologie de la maladie : la phase I évalue sur 10 à 30 volontaires la non-toxicité et la tolérance au vaccin. Elle peut être réalisée en un an ou deux. La phase II évalue ensuite sur 100 à 300 volontaires l’immunogénicité du vaccin et doit confirmer la tolérance. Enfin, la phase III évalue l’efficacité du vaccin sur des milliers ou des dizaines de milliers de personnes et prend plusieurs années. En parallèle il faut développer le procédé industriel de fabrication du vaccin à grande échelle.
Vous êtes un des coordinateurs du Grand Programme Fédérateur « vaccinologie » de l’Institut Pasteur. Quels sont ses objectifs ?
Ce programme consiste à coordonner et structurer les activités de recherche vaccinale à l’Institut Pasteur, et à favoriser la transformation de ces recherches en applications médicales. Plusieurs projets de recherche ont déjà été lancés, en recherche fondamentale et dans des domaines plus avancés pour pousser des candidats vaccins vers le développement industriel (paludisme, grippe, peste). Ce programme permet non seulement de générer des projets, mais aussi de favoriser les échanges entre scientifiques. Des groupes qui n’étaient pas impliqués dans la recherche vaccinale s’y investissent maintenant. Des idées nouvelles émergent. C’est très stimulant.
Vous utilisez dans votre laboratoire une approche originale avec le « vecteur rougeole », qui vous a valu d’être récompensé par l’Institut Pasteur récemment. De quoi s’agit-il ?
Nous utilisons le vaccin rougeole comme un véhicule : imaginez que le virus vaccinal de la rougeole est une petite voiture. Dans son coffre, on met des antigènes du sida ou de la dengue… et cette voiture va délivrer ces antigènes chez les individus à vacciner directement dans les compartiments du système immunitaire aptes à induire une réponse mémoire protectrice. Le vaccin rougeole est un des meilleurs vaccins existant, utilisé depuis plus de 40 ans, distribué dans le monde entier, déjà administré à plus de 2 milliards d’enfants avec un succès total - une protection de 95% sans aucun effet secondaire. En le modifiant pour faire des vaccins contre d’autres pathogènes, on bénéficie de tous ces avantages. Nous élaborons ainsi des candidats vaccins contre le sida, la dengue, le virus du Nil occidental, la fièvre jaune, le virus de la grippe saisonnière ou pandémique, Ebola, Lassa et d’autres maladies émergentes… Notre projet le plus avancé est un candidat-vaccin combiné rougeole-Chikungunya, qui a déjà fait l’objet d’un essai clinique de phase I très réussi et qui vient de terminer sa phase II, très positive, avec un partenaire industriel. Très récemment, avec la même stratégie, nous avons obtenu un candidat vaccin contre le virus Zika, extrêmement efficace dans des modèles expérimentaux. Un essai clinique de phase I de ce vaccin vient de s’achever. Les résultats de tous ces travaux, en cours d’analyse, sont très prometteurs.
Conférence de presse du 22 décembre : « Les vaccins : une chance pour nos enfants ! »
L’obligation vaccinale est entrée en vigueur au 1er janvier 2018. Une conférence de presse a ainsi été organisée, le 22 décembre 2017, sous les auspices de l’Université Paris Descartes, en partenariat avec l’Institut Pasteur, l’Inserm et l’AP-HP. Une série d’interventions ont été proposées autour des principales thématiques faisant débat.
Les vaccins pour les nuls, aux éditions First
* Frédéric Tangy, directeur de recherche CNRS, chef de l’unité de Génomique virale et vaccination à I’Institut Pasteur.
* Jean-Nicolas Tournier, chef du département des Maladies infectieuses de l’unité Biothérapies anti-infectieuses et immunité à l’Institut de recherche biomédicale des armées.
Les vaccins pour les nuls. Frédéric Tangy, Jean-Nicolas Tournier. Ed. First. Collection « Poche pour les Nuls ». 304 pages, format : 13cm x 19cm. Parution le 19 octobre 2017.
Le youtubeur Bruce Benamran (@epenser) nous parle aussi des vaccins
Avec le soutien du Ministère chargé de la santé et l’aide de l’Institut Pasteur.