L’Institut Tropical et de Santé Publique Suisse, en collaboration avec des partenaires européens (dont l’Institut Pasteur, à Paris) et africains, a effectué une vaccination en masse de chiens au Tchad et a déterminé l’impact de cette mesure sur la rage humaine. L’étude s’est basée sur une méthode bio-mathématique permettant d’évaluer la dynamique de transmission de la rage. Les chercheurs en sont arrivés à la conclusion qu’il serait possible, avec une volonté politique correspondante et les fonds nécessaires, d’éradiquer la rage en Afrique.
La rage est une maladie virale qui tue des dizaines de milliers de personnes par an, surtout en Afrique et en Asie. Cette maladie est transmise par des morsures de chiens et de renards infectés (lire la fiche maladie « rage » de l’Institut Pasteur). En Europe de l’Ouest et en Europe centrale, la rage a été éradiquée il y a une vingtaine d’années. La Suisse n’a plus recensé de cas de rage depuis 1999, la stratégie principale ayant été axée contre les renards.
«Si vous voulez empêcher que les hommes meurent de la rage en Afrique et en Asie, vous devez éradiquer la rage canine», explique Jakob Zinsstag de l’Institut Tropical et de Santé Publique Suisse (Swiss TPH), premier auteur et principal chercheur d’une étude publiée dans la revue Science Translational Medicine. En collaboration avec des partenaires en Europe et en Afrique (notamment le soutien de l’Institut Pasteur à Paris, en France, et de l’ETH Zurich à Bâle, en Suisse, pour les analyses génétiques des virus de la rage collectés), Swiss TPH a démontré la preuve de concept qu’il était possible d’éradiquer la rage. « Nous avons été en mesure de prouver que des équipes africaines de l’un des pays les plus pauvres au monde étaient capables d’éradiquer la rage humaine en effectuant une vaccination en masse des chiens. Nous avons maintenant besoin de fonds supplémentaires et d’une volonté publique concertée », poursuit Zinsstag, épidémiologiste et expert en santé publique vétérinaire.
Les recherches ont été menées à N’Djaména, la capitale du Tchad, où vivent 1,1 million de personnes ainsi qu’environ 30 000 chiens. En 2012 et en 2013, 20 000 chiens par an ont été vaccinés contre la rage. En d’autres termes, plus de 65% de la population canine estimée dans la ville ont participé à cette action, ce qui correspond à un «excellent taux de couverture», souligne Zinsstag. « Nous avons mobilisé les chefs du voisinage, qui ont, à leur tour, mobilisé les gens et leurs chiens. »
Autres aperçus de la phylodynamique
Cette étude est l’un des premiers projets de recherche appliquant à la rage canine une méthode phylodynamique rigoureuse. Elle va donc au-delà de la phylogénétique normative (qui évalue la parenté génétique des souches de virus) en étudiant la dynamique de la transmission au fil du temps. Il a ainsi été possible de calculer le nombre de reproduction de la rage sur les chiens depuis la première vague de vaccination en masse en 2012.
« La rage canine a probablement été réintroduite lorsque des humains vivant en dehors de N’Djaména ont importé des chiens après que la rage a été éradiquée », explique Zinsstag. L’analyse phylogénétique vient étayer cette découverte, la séquence de nucléoprotéine des nouveaux virus présentant une structure génétique différente. « La méthode moléculaire a confirmé les résultats formulés par le modèle mathématique via une approche indépendante », souligne Zinsstag. « L’élimination de la rage n’est donc pas un problème technique, mais une question de volonté politique et de ressources financières suffisantes. »
Cette étude a été supportée financièrement par UBS Optimus Foundation Suisse (vaccination, champ de travail épidémiologique et recherches laboratoires). Des autres coûts ont été pris en charge par le gouvernement tchadien (logistique et personnel).
Rappelons qu’éradiquer d’ici à 2030 la rage humaine transmise par les chiens fait partie des objectifs de développement durable (ODD) des Nations Unies.
Pour plus d'informations, rendez-vous sur le site