En étudiant les génomes d’une collection internationale de souches de la bactérie Listeria monocytogenes, deux chercheurs de l’Institut Pasteur, Sylvain Brisse et Marc Lecuit, contribuent à mieux comprendre la façon dont les différentes souches de listeria circulent dans le monde. De plus, grâce à leur méthode de typage des souches basée sur le séquençage à haut débit, la veille sanitaire internationale des cas de listériose entre dans une nouvelle ère.
La listériose est une maladie due à une bactérie alimentaire : Listeria monocytogenes (Lm). Grâce au séquençage à haut débit, les équipes de Sylvain Brisse et Marc Lecuit, de l’Institut Pasteur, ont analysé le génome entier de centaines de souches de la bactérie Listeria monocytogenes. Sylvain Brisse dirige un groupe de recherche au sein de l’unité Génomique Evolutive des Microbes dirigée par Eduardo Rocha, et Marc Lecuit est responsable de l’Unité de Biologie des Infections (Institut Pasteur - Inserm U1117). Signe que leurs travaux marquent un tournant dans le domaine, ils ont été menés en collaboration avec de prestigieux instituts de santé publique* américain, britannique, canadien, danois et français.
« Nous avons analysé près de 1700 souches provenant du Canada, du Danemark, des Etats-Unis, de la France et de Grande-Bretagne », expliquent les chercheurs. Avec une précision sans précédent, ils ont étudié la diversité de la population de ces bactéries : « Nous avons établi précisément la structure de la population de Listeria monocytogenes, calculé à quelle vitesse les souches évoluent, démontré qu’elles circulent partout dans le monde, et révélons à quel point la virulence et les caractéristiques génomiques de ces souches sont hétérogènes », soulignent les chercheurs.
Une nouvelle classification des Listeria
Grande révolution de cette étude : les chercheurs proposent de classer ces bactéries en plusieurs sous-types, dont certains sont plus à risque de déclencher des épidémies. « C’est une avancée très significative en recherche et en santé publique, poursuit Marc Lecuit. La nouvelle technique de typage des souches de Listeria que nous avons développé va devenir la technique de référence, analysant le génome entier des souches », dès qu’un cas de listériose émerge quelque part dans le monde ou qu’un aliment contaminé est détecté. « Nous avons établi une nomenclature standardisée des souches permettant de les identifier très précisément, ce qui permettra aux agences de santé publique de communiquer efficacement en cas d’urgence, et de déterminer en temps réel leur provenance géographique ou alimentaire », souligne Sylvain Brisse. « De plus, l’étude d’une cinquantaine d’épidémies récentes nous a permis de calibrer la méthode d’analyse pour la détection des épidémies futures », poursuit le chercheur.
Une analyse comparée des souches plus rapide, plus précise et reproductible dans le monde
Il s’agit d’un saut technologique d’autant plus important qu’il faut pouvoir procéder le plus vite possible à des analyses comparées, dès qu’un cas de listériose se manifeste. La Listeria étant une bactérie contaminant les produits alimentaires, des lots entiers de denrées alimentaires peuvent être contaminés, et les autorités sanitaires se doivent de réagir immédiatement pour éviter de dangereuses épidémies. Ces décisions d’action de santé publique sont prises au vu des résultats des analyses diligentées par des laboratoires reconnus, comme le Centre National de Référence des Listeria de l’Institut Pasteur**, rattaché à l’unité de Marc Lecuit, et en collaboration avec l’Agence Française de Santé Publique.
« En analysant nos 1700 échantillons, nous avons réussi à obtenir une image très précise de la population des Listeria dans le monde, explique Sylvain Brisse. Nous avons rassemblé toutes ces données sur un site web hébergé à l’Institut Pasteur, accessible à tous les centres experts internationaux, avec un système de classification très simple facilitant cette analyse comparée des souches. » Rappelons que, jusqu’à aujourd’hui, lorsqu’un cas de listériose apparait, l’échantillon est envoyé au centre expert le plus proche qui est amené à échanger avec d’autres laboratoires dans le monde pour déterminer la provenance de la souche. « Mais les données actuelles correspondent à un profil génétique général de la souche bactérienne, parcellaire car, jusqu’à présent, on n’analysait qu’une partie infime du génome », explique Marc Lecuit. Ainsi, les foyers infectieux sont parfois mal détectés et donc mal contrôlés.
Un saut technologique grâce à PIBnet
C’est l’utilisation du séquençage à haut débit pour étudier les souches, associé à une stratégie d’analyse puissante des données, qui change ici la donne. Ce saut technologique, en matière de surveillance en santé publique, est rendu possible à l’Institut Pasteur par la mise en place du projet PIBnet (Pasteur International Bioresources Network).
Rappelons que la listériose cause la plupart du temps des troubles digestifs mais que cette infection peut se révéler très grave. Chez des personnes à risque comme les femmes enceintes et leur nouveau-né, les personnes âgées et celles dont l’immunité est diminuée (sous traitement médical - immunothérapie, corticoïdes… -, atteintes d’un cancer, d’un diabète, etc.), la listériose peut entrainer une septicémie, une infection du système nerveux central, voire le décès. Dans l’Union européenne, environ 1 676 cas humains ont été signalés en 2011, et le recueil des cas est très loin d’être exhaustif (source : ECDC – European Center for Diseases Prevention and Control).
* Centers for Disease Control and Prevention, Atlanta (Etats-Unis) ; Statens Serum Institut, Copenhague (Danemark) ; Public Health England, Londres (Royaume-Uni) ; Public Health Agency of Canada, Winnipeg (Canada) ; Santé Publique France, Saint-Maurice (France) ; Institut Pasteur, Centre national de référence et Centre collaborateur de l’OMS pour la Listeria, Paris (France).
** Le CNR Listeria est rattaché à l’Unité de Biologie des Infections qui héberge également le Centre Collaborateur OMS Listeria.
Source
Whole genome-based population biology and epidemiological surveillance of Listeria monocytogenes, Nature Microbiology, 10 octobre.
Alexandra Moura1,2,3,4,5, Alexis Criscuolo6, Hannes Pouseele7, Mylene M. Maury1,2,3,4,5,8, Alexandre Leclercq1,2, Cheryl Tarr9, Jonas T. Bjorkman10, Timothy Dallman11, Aleisha Reimer12, Vincent Enouf13, Elise Larsonneur4,6,14, Heather Carleton9, Helene Bracq-Dieye1,2, Lee S. Katz9, Louis Jones6, Marie Touchon4,5, Mathieu Tourdjman15, Matthew Walker12, Steven Stroika9, Thomas Cantinelli1, Viviane Chenal-Francisque1, Zuzana Kucerova9, Eduardo P. C. Rocha4,5, Celine Nadon12, Kathie Grant11, Eva M. Nielsen10, Bruno Pot7, Peter Gerner-Smidt9, Marc Lecuit1,2,3,16,*, Sylvain Brisse4,5,*
1 Institut Pasteur, National Reference Centre and World Health Organization Collaborating Center for Listeria, Paris, France;
2 Institut Pasteur, Biology of Infection Unit, Paris, France;
3 Inserm U1117, Paris France;
4 Institut Pasteur, Microbial Evolutionary Genomics Unit, Paris, France;
5 CNRS, UMR 3525, Paris, France;
6 Institut Pasteur – Hub Bioinformatique et Biostatistique – C3BI, USR 3756 IP CNRS – Paris, France;
7 Applied-Maths, Sint-Martens-Latem, Belgium;
8 Paris Diderot University, Sorbonne Paris Cite, Cellule Pasteur, Paris, France;
9 Centers for Disease Control and Prevention, Atlanta, Georgia, United States;
10 Statens Serum Institut, Copenhagen, Denmark;
11 Public Health England, London, United Kingdom;
12 Public Health Agency of Canada, Winnipeg, Canada;
13 Institut Pasteur, Pasteur International Bioresources network (PIBnet), Mutualized Microbiology Platform (P2M), Paris, France;
14 CNRS, UMS 3601 IFB-Core, Gif-sur-Yvette, France;
15 Public Health France, Saint-Maurice, France;
16 Paris Descartes University, Sorbonne Paris Cite, Institut Imagine, Necker-Enfants Malades University Hospital, Division of Infectious Diseases and Tropical Medicine, APHP, Paris, France.
Mis à jour le 17/10/2016