Du 24 au 26 avril 2017, l’Institut Pasteur célèbre le centenaire de la recherche sur les bactériophages. Le principe de l’existence des bactériophages est posé indépendamment par l’anglais Frederick Twort en 1915 et par le franco-canadien Félix d’Hérelle en 1917. C’est ce dernier qui leur donna ce nom de bactériophage en 1917. L’occasion de revenir sur le parcours de Félix d’Hérelle, chercheur pasteurien qui consacra une grande partie de sa vie à l’étude de ces virus de bactéries. Il est considéré comme l’un des pères de la première thérapie antibactérienne, la « phagothérapie ».
Pendant un siècle, les bactériophages, les virus des bactéries, ont servi et continuent de servir de modèle de base pour comprendre les principes fondamentaux de la vie. En effet, la recherche sur les bactériophages est indissociable de l’émergence de la biologie moléculaire et a conduit à des découvertes majeures, depuis l’identification de l’ADN en tant que matériel génétique jusqu’à la découverte des systèmes CRISPR-Cas qui ont récemment révolutionné de nombreuses disciplines des sciences de la vie.
L’année 2017 marque le centenaire de l’initiation de la recherche de bactériophages par Félix d’Hérelle à l’Institut Pasteur. Pour célébrer cette occasion, l’Institut Pasteur, en collaboration avec l’Institut Eliava, organise
une conférence spéciale dans son emplacement historique - le « berceau » des bactériophages. L’événement vise à fournir un large aperçu des principaux jalons de la recherche sur les bactériophages et couvrira les progrès récents dans les interactions bactériophage-hôte, l’écologie des bactériophages, le patrimoine évolutif des bactériophages ainsi que leurs applications thérapeutiques, biotechnologiques et industrielles.
Félix d'Hérelle, le savant voyageur
Le parcours de Félix d’Hérelle – « une curieuse et attachante personnalité », d’après le pasteurien Pierre Lépine – est pour le moins atypique. Les données sur ses premières années de vie sont floues, certains affirmant même qu’il serait né (en 1873) à Paris, où il suivit sa scolarité, et non à Montréal. A-t-il fait des études de médecine en Belgique, au Canada ? Toujours est-il qu’après avoir dirigé une distillerie de whisky puis une chocolaterie au Québec, Félix d’Hérelle entame sa carrière scientifique au Guatemala, comme bactériologiste, après avoir appris cette discipline en autodidacte selon ses propres dires. Il la poursuit au Mexique où il isole l’agent infectieux de l’entérite des sauterelles, une découverte qui le conduira à participer à la lutte contre ces insectes dans différents pays. Il entre en 1911 à l’Institut Pasteur, qui l’enverra en mission en Argentine, en Algérie, en Turquie, en Tunisie, en Indochine. A 44 ans (en 1917), il y découvre des “ultra- virus” de bactéries, qu’il nomme bactériophages, puis propose de les utiliser pour traiter des infections bactériennes. Ses résultats lui apporteront vite une renommée mondiale. Il quitte l’Institut Pasteur en 1921 pour l’Institut de médecine tropicale de Leiden en Hollande, dirige ensuite le département de bactériologie du Conseil sanitaire d’Egypte à Alexandrie, enseigne la bactériologie à l’université de Yale aux Etats-Unis, lance des recherches sur les bactériophages dans plusieurs villes de Russie, avant de créer à Paris un laboratoire pour leur production à des fins thérapeutiques. Sa nationalité lui vaut d’être mis avec sa famille en résidence forcée à Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale. En 1947, deux ans avant sa mort, le trentième anniversaire de sa première publication sur les bactériophages est célébré à l’Institut Pasteur. Ce savant voyageur avait joliment dit être « canadien de nationalité et cosmopolite de caractère ».
Des sauterelles aux phages
Tunisie, 1915. Félix d’Hérelle, envoyé par l’Institut Pasteur, participe à la lutte contre les sauterelles. Il observe dans des cultures d’un coccobacille qui attaque ces insectes – bacille qu’il avait découvert au Mexique – des “plages vierges” signifiant la disparition des bactéries. De retour à Paris, d’Hérelle multiplie les expérimentations et démontre à partir d’échantillons provenant d’un malade de l’hôpital Pasteur l’existence d’un virus de bactéries qu’il baptise « bactériophage » (littéralement : mangeur de bactéries). Sa note intitulée “Sur un microbe invisible antagoniste du bacille dysentérique” est communiquée à l’Académie des sciences en 1917 par Emile Roux, alors directeur de l’Institut Pasteur. Félix d’Hérelle n’aura de cesse d’étudier les bactériophages et de promouvoir leur utilisation en médecine, la phagothérapie. Celle-ci sera détrônée après-guerre par les antibiotiques mais les bactériophages feront carrière en tant qu’outils de recherche dans les laboratoires du monde entier.
Bactériophage Twort de Staphylococcus aureus. © Institut Pasteur/Charles Dauguet