Comment reconnaître la hauteur des notes ? C’est en interrogeant près de 70 musiciens (étudiants en musique et professionnels), qu’une étude observationnelle de l’Institut Pasteur, avec le soutien de la Sacem (Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique), commence à répondre à cette question. Pour reconnaître la hauteur des notes, les musiciens s’appuieraient sur trois modalités sensorielles mentales (auditive, visuelle et kinesthésique), à la fois isolément et en combinaison. Ces éléments de pensées variés sont utilisés par les musiciens, des « appuis mentaux » comme les nomment les chercheurs, et diffèrent selon les individus.
Bien que la recherche sur le cerveau soit très fructueuse, de nombreuses questions restent ouvertes sur la relation entre les diverses activités neuronales décrites, la perception du monde extérieur et la cognition. Les approches globales basées sur une méthodologie introspective (description de ce qui « se passe dans ma tête ») offrent des aperçus précieux qui sont trop souvent négligés de nos jours par les psychologues et les neuroscientifiques plus axés sur le déchiffrage des circuits neuronaux associés aux processus perceptifs et cognitifs.
« Nous soutenons que des études systémiques de la pensée individuelle peuvent encore contribuer à une description utile et complémentaire de la nature multimodale de la perception », explique Pierre Legrain de l’unité Perception et mémoire, à l’Institut Pasteur, « car elles sont en mesure de prendre en compte la diversité individuelle tout en identifiant les caractéristiques communes des processus perceptifs ».
Une démarche à la fois qualitative et quantitative
Des chercheurs de l’unité Perception et mémoire ont étudié les stratégies mentales utilisées par les musiciens pour l’identification des notes de musique, comme exemple de saisie conceptuelle d’une réponse perceptive, c’est-à-dire dans laquelle un son est perçu, reconnu et sa hauteur est verbalement mise en correspondance avec la note de musique correspondante.
Lorsque les musiciens identifient une note, ils la reconnaissent même si elle est jouée avec différents instruments de musique. En ce sens, ils accomplissent sans aucun doute une tâche cognitive complexe qui implique la perception, l’extraction de la hauteur, la catégorisation et la correspondance verbale avec la note correcte.
Les chercheurs ont ici adopté une approche mixte, combinant des analyses qualitatives d’entretiens basées sur l’introspection avec des analyses statistiques quantitatives réalisées sur la catégorisation qui en résulte, leur étude décrit une variété de stratégies mentales utilisées par les musiciens pour identifier la hauteur des notes.
L’audition, la vision et la kinesthésie, multimodalité des appuis mentaux pour la reconnaissance des notes
Soixante-sept musiciens (étudiants en musique et professionnels) ont donc été interrogés, révélant que les musiciens utilisent des étapes intermédiaires lors de l’identification des notes en sélectionnant ou en activant des briques cognitives qui aident à construire et à obtenir la bonne réponse. « Nous avons nommé ces éléments "appuis mentaux" », reprend le scientifique. Bien que les appuis mentaux diffèrent selon les individus, ils peuvent être regroupés en catégories liées aux trois modalités sensorielles principales : auditive, visuelle et kinesthésique (perception des déplacements des différentes parties du corps).
« Nous décrivons des "appuis mentaux" chez les musiciens comme des étapes intermédiaires dans le processus d'identification des notes. Et nous constatons que les musiciens peuvent être regroupés en fonction de leur utilisation des trois principales modalités sensorielles différentes - auditive, visuelle et kinesthésique - qui sont activées à la fois isolément et en combinaison. »
Ce résultat illustre la nature multimodale de la perception et révèle la diversité des individus, tout en identifiant les caractéristiques communes du traitement perceptif qui conduit à l’identification des notes. Ils espèrent que leur approche inspirera les futures études de neuroimagerie fonctionnelle pour l’identification des étapes clés et des réseaux neuronaux correspondants impliqués dans la reconnaissance et compréhension d’un stimulus sonore et, au-delà, de tout phénomène perceptif.
Ce travail a été soutenu et partiellement financé par la Sacem
(Société des auteurs, compositeurs et éditeurs de musique).
Source
Stratégies utilisées par les musiciens pour identifier la hauteur des notes : briques cognitives et représentations mentales, Frontiers in psychology, 7 juillet 2020
Alain Letailleur1, Erica Bisesi2, 3 #, Pierre Legrain2, 3 *
1 CNRS UMR8131, Centre Georg Simmel Recherches franco-allemandes en sciences sociales, EHESS, France,
2 CNRS UMR3571, France,
3 Institut Pasteur, Unité perception et mémoire, France
* Correspondance: Pierre Legrain - pierre.legrain@pasteur.fr
# Adresse actuelle : Faculté de musique, Université de Montréal, Canada
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies de la connectivité cérébrale et maladies neurodégénératives du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.