Grâce à des observations menées sur plusieurs mois, des chercheurs de l’Institut Pasteur et du CNRS ont pu suivre en direct, sur un modèle animal, la formation et l’évolution des nouveaux neurones naissant au sein du bulbe olfactif, dans le cerveau adulte. De manière inattendue, ils ont pu mettre en évidence une plasticité permanente des connexions que ces néo-neurones établissent avec les circuits qu’ils intègrent. Un dynamisme neuronal qui, pour les chercheurs, permet le traitement optimal de l’information sensorielle par le bulbe olfactif. Ces travaux sont publiés dans la revue Neuron le 30 juin 2016.
En marron clair, au centre de l’image, un néo-neurone activé par la lumière. Les neurones en bleu sont les neurones partenaires qui se connectent aux néo-neurones. Les neurones en marron foncés sont les neurones pré-existants. © Institut Pasteur/PM Lledo
Bien que la plupart des neurones soient générés au cours du développement embryonnaire, certaines régions du cerveau, comme le bulbe olfactif chez le rongeur, ou l’hippocampe chez l’humain, ont la capacité, à l’âge adulte, de renouveler continuellement leurs neurones. Si l’existence de ces néo-neurones adultes est désormais établie depuis une quinzaine d’années, leur fonction demeure, elle, encore inexpliquée, principalement en raison de leur inaccessibilité chez les animaux vivants.
Dans un article publié dans la revue Neuron, les chercheurs de l’unité[1] dirigée à l’Institut Pasteur par Pierre-Marie Lledo, chercheur CNRS, apportent une nouvelle preuve du caractère hautement dynamique des modifications observées au niveau neuronal dans le cerveau adulte. En observant sur plusieurs mois l’évolution de neurones apparus à l’âge adulte dans le bulbe olfactif de souris, les chercheurs ont en effet pu suivre en direct, de façon exceptionnelle, la formation de connexions entre neurones, leur stabilisation ou leur élimination.
Ils ont ainsi mis en évidence, dans le bulbe olfactif, où naissent les nouveaux neurones, un important remaniement des connexions entre ces nouveaux neurones et les cellules voisines qui se poursuit tout au long de la vie. L’ensemble de ces cellules réorganisent ainsi constamment les milliards de contacts dits « synaptiques » qu’elles établissent entre elles. Pour les chercheurs, cette observation est une surprise. « Nous nous attendions à voir les synapses se stabiliser progressivement, comme cela se produit au cours du développement chez l’embryon. Mais, étonnamment, ces synapses se sont révélées très dynamiques, de la naissance à la mort des néo-neurones. Et ce dynamisme s’est reflété aussi sur les cellules auxquelles ils s’étaient liés », indique le premier auteur de l’étude, Kurt Sailor, de l’Institut Pasteur.
Pour observer en continu la formation des circuits neuronaux, les chercheurs ont marqué les néo-neurones avec une protéine fluorescente verte appelée GFP, facilement visualisable par imagerie. Ces examens ont été menés sur plusieurs mois, afin de suivre le développement complet des néo-neurones, depuis leur naissance jusqu’à leur disparition. Dans les trois premières semaines de leur vie, ces nouveaux neurones ont étendu leurs prolongements cellulaires – ou dendrites – pour former de nombreuses ramifications, qui sont par la suite devenues très stables. Les observations des chercheurs ont permis d’établir que 20 % des synapses entre les nouveaux neurones et ceux préexistants étaient modifiées quotidiennement. Une dynamique qui se retrouve également chez les neurones auxquels les néo-neurones sont connectés. A l’aide de modèles informatiques, les auteurs ont montré qu’un tel dynamisme permettait au réseau synaptique de s’adapter, de manière rapide et efficace, aux modifications sensorielles de l’environnement toujours changeant.
« Nos résultats suggèrent que c’est au niveau de connexions synaptiques, qui se renouvellent de manière continue, que se joue la plasticité de cette région du cerveau, en perpétuelle régénération. Ces modifications physiques révèlent un mécanisme de plasticité unique, essentiel dans la régénération des circuits neuronaux », concluent les chercheurs. Plus globalement, cette étude suggère un mécanisme universel de plasticité dans des régions cérébrales fortement associées à la mémoire et à l’apprentissage.
Ces travaux sont soutenus par l’Institut Pasteur et le CNRS, et bénéficient en outre de financements d'AG2R-La Mondiale, de l’Agence nationale de la recherche, du Labex « Revive » et du Labex « Biopsy ».
[1] Laboratoire « Perception et mémoire » (Institut Pasteur/CNRS)
Source
Persistent structural plasticity optimizes sensory information processing in the olfactory bulb. Neuron, 30 juin 2016.
Kurt A. Sailor,1,2,3,4,7 Matthew T. Valley,1,2 Martin T. Wiechert,1,2 Gerald J. Sun,3,4 Wayne Adams,8 James C. Dennis,8 Shirin Sharafi,1,2 Hermann Riecke,8 Guo-li Ming,3,4,5,6 Hongjun Song,3,4,5* and Pierre-Marie Lledo1,2*
1 Laboratory for Perception and Memory, Pasteur Institute, F-75015 Paris, France.
2 Centre National de la Recherche Scientifique (CNRS), Unité de Recherche Associée (UMR3571), F-75015 Paris, France.
3 Institute for Cell Engineering, Johns Hopkins University School of Medicine, 733 North Broadway, Baltimore, MD, 21205, USA.
4 The Solomon Snyder Department of Neuroscience, Johns Hopkins University School of Medicine, 725 N. Wolf St., Baltimore, MD, 21205, USA.
5 Department of Neurology, Johns Hopkins University School of Medicine, 600 N. Wolf St., Baltimore, MD, 21205, USA.
6 Department of Psychiatry and Behavioral Sciences, Johns Hopkins University School of Medicine, Baltimore, MD, 21205, USA.
7 Diana Helis Henry Medical Research Foundation, New Orleans, LA 70130-2685. 8Engineering Science and Applied Mathematics, Northwestern University, Evanston, IL, USA.