Des équipes internationales menées par des chercheurs du Max Planck Institute, de l'Institut Pasteur et du Wellcome Trust Sanger Institute viennent de retracer l'histoire évolutive de Salmonella Typhi, la bactérie responsable de la fièvre typhoïde, dans une étude publiée dans la revue Science. Cette maladie, encore présente dans les pays industrialisés, affecte 21 millions de personnes chaque année dans le monde. Les chercheurs ont notamment suggéré l'importance du portage sain dans la dissémination de la bactérie et mis en évidence l'émergence d'une souche résistante à une classe d'antibiotiques communément utilisée en Asie. Au-delà des questions de santé publique soulevées, cette étude a permis la mise au point d'outils qui vont servir à améliorer la surveillance épidémiologique de la fièvre typhoïde dans le monde.
Communiqué de presse
Paris, le 24 novembre 2006
La bactérie responsable de la fièvre typhoïde, Salmonella enterica sérotype Typhi, est une bactérie strictement adaptée à l’homme, qui se transmet par voie oro-fécale. Elle infecte chaque année 21 millions de personnes dans le monde et provoque 200 000 décès. D’où vient-elle ? Comment évolue-t-elle ? Quel est l’impact de l’utilisation d’antibiotiques sur cette évolution ? Quel est celui du portage asymptomatique ? L’épidémiologie globale de la fièvre typhoïde restait jusqu’ici mal connue.
Pour répondre à toutes ces questions, une vaste étude de génétique des populations de Salmonella Typhi a été lancée par Philippe Roumagnac et Mark Achtman du département de Biologie moléculaire du Max Planck Institute à Berlin, François Xavier-Weill et Sylvain Brisse de l’unité de Biodiversité des Bactéries Pathogènes Emergentes (également Centre National de Référence des Salmonella et Centre Collaborateur de l’OMS) à l’Institut Pasteur à Paris, en collaboration avec le Wellcome Trust Sanger Institute en Grande-Bretagne et plusieurs centres médicaux ou de recherche en Asie, notamment au Vietnam.
Les chercheurs ont choisi au sein de plusieurs collections internationales 105 souches de Salmonella Typhi représentatives de cet organisme bactérien à l’échelle mondiale. Ils ont pu bénéficier de l’exceptionnelle collection de Salmonella du Centre National de Référence de l’Institut Pasteur, constituée depuis les années 50 et aujourd’hui riche de plus de 300 000 souches provenant du monde entier.
" Les Salmonella Typhi sont des bactéries très homogènes, explique Mark Achtman, du Max Planck Institute, ce qui veut dire que les méthodes moléculaires classiques sont très limitées pour des études de leurs populations ". Les chercheurs, en travaillant sur 200 gènes de la bactérie, ont donc dû élaborer de nouveaux outils pour mener à bien leurs recherches. " En mettant au point une méthode originale de criblage de mutations ponctuelles, explique Philippe Roumagnac du Max Planck Institute, nous avons pu mettre en évidence des marqueurs qui nous ont permis de dresser un arbre phylogénétique des Salmonella Typhi ".
Ils ont ainsi pu identifier une souche ancestrale dont descendent toutes les souches actuelles : elle serait apparue entre - 10 000 ans et - 43 000 ans, donc après la migration de l’Homme en dehors d’Afrique, mais avant la sédentarisation du Néolithique. Des représentants de cette souche ancestrale sont encore trouvés de nos jours sur plusieurs continents, suggérant que la bactérie se serait donc maintenue au départ au sein de petites populations de chasseurs-cueilleurs. Comment un pathogène aussi virulent - mortel dans 10% des cas si la personne infectée n’est pas traitée - a-t-il pu ne pas décimer ces populations et surtout perdurer ?
L’hypothèse des chercheurs est que le phénomène du portage asymptomatique a permis à la bactérie de persister dans les populations humaines : certains individus infectés peuvent continuer, après leur guérison, à excréter pendant des dizaines d’années des bactéries dans leurs selles. Ce portage asymptomatique est bien connu, notamment les cas du laitier " N the milker ", qui infecta entre 1893 et 1909 plus de deux cents personnes en Angleterre, ou de la cuisinière Mary Mallon, surnommée Marie Typhoïde, dont on a pu dénombrer au début du 20ème siècle aux Etats-Unis les " victimes ", qu’elle contaminait bien inconsciemment, au fil de ses déplacements.
" Ce portage asymptomatique est probablement beaucoup plus répandu qu’on ne l’imagine, souligne le Dr François-Xavier Weill, co-directeur du CNR des Salmonella à l’Institut Pasteur. Même en France, la fièvre typhoïde peut encore frapper, preuve en est la contamination d’une dizaine de clients d’un restaurant parisien en juillet dernier par un porteur sain travaillant en cuisine. Ce constat nous incite à rappeler l’importance des mesures de lutte contre la transmission oro-fécale, notamment le simple fait de se laver les mains avant de cuisiner ou de manger."
L’étude des chercheurs a également permis d’identifier plusieurs souches non apparentées résistantes aux fluoroquinolones en Asie, grâce à l’analyse de près de 300 souches asiatiques. Elles ont visiblement émergé suite à l’utilisation massive de ces antibiotiques dans cette région du monde au début des années 90. Dans certains endroits, 90% des bactéries sont désormais résistantes à cette classe d’antibiotiques. " L’étude soulève un vrai problème de santé publique pour l’Asie du Sud-Est, précise François-Xavier Weill, d’autres antibiotiques pouvant être utilisés, mais plus coûteux et plus difficiles à utiliser. Un clone appelé H58, qui est très majoritaire en Asie, commence par ailleurs à être retrouvé en Afrique. "
Les outils mis au point par les chercheurs vont désormais permettre de mieux surveiller, au niveau mondial, l’émergence de clones résistants afin de permettre l’application de mesures de santé publique pour limiter la dissémination de ces clones.
Sources
" Evolutionary history of Salmonella Typhi ", Science, 24 novembre 2006.
Philippe Roumagnac (1), François Xavier-Weill (2), Christiane Dolecek (2), Stephen Baker (4), Sylvain Brisse (2), Nguyen Tran Chin (5), Thi Anh Hong Le (6), Camilo J. Acosta (7), Jeremy Farrar (3), Gordon Dougan (4), Mark Achtman (1)
1. Max-Planck-Institute für Inkektionsbiologie, Departement de Biologie Moléculaire, Berlin, Allemagne; 2. Institut Pasteur, Unité Biodiversité des Bactéries Pathogènes Emergentes, Paris, France ; 3. Oxford University Clinical Research Unit, Hospital for Tropical Diseases, Ho Chi Minh Ville, Vietnam; 4. The Wellcome Trust Sanger Institute, Cambridge, UK; 5. Hospital for Tropical Diseases, Ho Chi Minh Ville, Vietnam; 5. Institut National d’Hygiène et d’Epidémiologie, Hanoi, Vietnam; 7. International Vaccine Institute, Séoul, Corée.
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