Quarante ans après la découverte du virus responsable du sida en 1983 à l’Institut Pasteur, 38,4 millions personnes vivaient dans le monde avec le VIH en 2021[1]. Seulement 2 cas de guérison ont été décrits jusqu’à présent : le patient de Berlin en 2009 et le patient de Londres en 2019. Aujourd’hui, le consortium IciStem, dont fait partie l’équipe d’Asier Sáez-Cirión à l’Institut Pasteur, en collaboration avec l’hôpital universitaire de Düsseldorf (Allemagne), l’université d’Hambourg (Allemagne), l’université d’Utrecht (Pays-Bas) et l’Institut de recherche sur le sida IrsiCaixa (Espagne), présente un nouveau cas de probable guérison du VIH, suite à une greffe de moelle osseuse issue d’un donneur portant la mutation génétique CCR5 delta-32, connue pour protéger naturellement du VIH. Cet homme, suivi à Düsseldorf, a reçu une greffe de cellules souches pour traiter une leucémie, puis a pu interrompre son traitement antirétroviral contre le VIH de manière supervisée. Quatre ans plus tard, plus aucun virus du VIH n’est détectable dans son organisme. Cette étude apporte une preuve supplémentaire qu’il existe une possibilité de guérir du VIH et propose de nouvelles perspectives thérapeutiques aux scientifiques et cliniciens qui se consacrent à la lutte contre ce virus depuis 40 ans. Ces travaux sont publiés le 20 février dans Nature Medicine.
Le consortium IciStem, dont l’Institut Pasteur est partenaire, décrit le troisième cas de guérison probable de l’infection par le VIH dans le monde. Il s’agit d’un homme dont le traitement antirétroviral a été suspendu sous surveillance, après avoir subi une greffe de cellules souches pour traiter une leucémie. Dans leurs analyses, les chercheurs n’ont trouvé ni de particules virales, ni de réservoir viral activable, ni de réponses immunitaires contre le virus dans l’organisme de cette personne malgré l’arrêt du traitement depuis 4 ans. Preuve qui permet à l’équipe scientifique de considérer le cas du « patient de Düsseldorf » comme un cas de probable guérison de l’infection par le VIH.
En 2008, une équipe médicale de Düsseldorf diagnostique un patient pour une infection VIH. Selon les recommandations de l’époque, le patient commence en 2010 un traitement antirétroviral qui lui permet de contrôler l’infection et de réduire la quantité de virus à des niveaux indétectables dans le sang, comme la plupart des personnes sous traitement. En 2011, on diagnostique chez ce patient une leucémie, c’est-à-dire un cancer des cellules du système immunitaire localisé dans la moelle osseuse. Il reçoit alors une chimiothérapie qui lui permet de maitriser la leucémie, mais, après une rechute, il doit recevoir en 2013 une greffe de cellules souches issues d’un donneur anonyme. Dans un premier temps, un donneur dont les caractéristiques immunogénétiques sont compatibles avec le patient est recherché. Puis, dans ces cas uniques de personnes vivant avec le VIH, un donneur portant la mutation CCR5 delta-32 est recherché. En effet, cette mutation génétique est connue pour empêcher l’entrée du VIH dans les cellules et donc protéger de l’infection.
« On sait que le virus du VIH a pour cible les cellules du système immunitaire. Lors d’une greffe de moelle osseuse, les cellules immunitaires du patient sont ainsi remplacées intégralement par celles du donneur, ce qui permet de faire disparaitre l’immense majorité des cellules infectées », explique Asier Sáez-Cirión, responsable de l’unité Réservoirs viraux et contrôle immunitaire à l’Institut Pasteur, et co-principal auteur de l’étude.
Par ailleurs, la greffe en elle-même représente un défi médical : « Tout d’abord, il est nécessaire de trouver un donneur compatible au niveau immunogénétique pour éviter le rejet de la greffe. De plus, étant donné que moins de 1% de la population générale porte cette mutation protectrice du VIH, il est très rare qu’un donneur de moelle compatible ait cette mutation. Au final, il s’agit d’une situation exceptionnelle quand tous ces facteurs coïncident pour que cette greffe soit un double succès de guérison, de la leucémie et du VIH », ajoute le chercheur.
Plus de 5 ans après la greffe, et après avoir traversé diverses complications, le patient s’est stabilisé. En 2018, l’équipe médicale ne détectait plus la présence de virus et a planifié avec le patient un arrêt surveillé du traitement antirétroviral contre le VIH. Quand le traitement a été suspendu, l’équipe médicale et les chercheurs ont suivi le patient pendant 44 mois et n’ont détecté aucune trace de particule virale ou de réservoir viral activable dans le sang ou les tissus du patient. Il n’a pas non plus été détecté d’activation des réponses immunitaires caractéristiques de l’infection VIH. « Même si nous n’avons pas pu analyser tous les tissus du patient pour formellement écarter la présence du VIH dans l’organisme, ces résultats indiquent que le système immunitaire n’a pas détecté le virus après l’interruption du traitement », commente Asier Sáez-Cirión. Aujourd’hui, le patient de Düsseldorf a 53 ans et est en bonne santé. Toutes ces données permettent à l’équipe scientifique d’affirmer que cette personne est probablement guérie de l’infection par le VIH.
Le Dr. Björn Jensen, de l’hôpital universitaire de Düsseldorf qui a mené l’étude ajoute « le processus de greffe a vidé le réservoir viral et le transfert de la résistance au VIH des cellules du donneur au patient empêche les virus qui pourraient être encore présents de se propager ».
Les cas de rémission du VIH dans le monde
Certaines personnes sont capables de maintenir une charge virale indétectable pendant des longues périodes en absence de traitement antirétroviral, ce qu’on reconnait comme une rémission de l’infection par le VIH. « C’est le cas notamment des contrôleurs naturels ou des contrôleurs après arrêt du traitement, que nous étudions également, chez qui des réponses immunitaires efficaces permettent le contrôle de l’infection par le VIH même en présence du virus », précise Asier Sáez-Cirión. « Le cas des personnes qui ont reçu une greffe de moelle va au-delà de cette situation de contrôle ». La description de la probable guérison du patient de Düsseldorf est précédée par celle des patients de Berlin et de Londres. Deux autres cas cliniques similaires, celui de New York et celui de l’hôpital City of Hope (Duarte, Etats-Unis), ont été présentés lors de conférences scientifiques en 2022 après un suivi de 12 mois sans rebond viral suite à l’interruption du traitement antirétroviral. Aucune de ces personnes n’a de caractéristiques immunitaires particulières qui leur permettraient de contrôler spontanément l’infection par le VIH. Le virus a été éliminé de leur organisme à la suite d’une intervention médicale pour une autre pathologie.
Cependant, la stratégie thérapeutique décrite dans cette étude est très agressive et n’est pas adaptable au reste de la population vivant avec le VIH. La greffe de cellules souches ne s’applique qu’aux personnes souffrant d’une maladie hématologique et pour qui aucune autre d’alternative thérapeutique existe. Dans le cas des personnes vivant avec le VIH, le traitement antirétroviral est actuellement la meilleure alternative thérapeutique.
Le patient de Düsseldorf est donc une troisième preuve de concept qui montre qu’il existe une possibilité de guérir le VIH et apporte l’espoir au monde scientifique qui se consacre à la lutte contre ce virus depuis 40 ans. « Différentes stratégies sont à l’étude. Certaines cherchent à cibler et éliminer spécifiquement les cellules infectées, d’autres à rendre les cellules résistantes à l’infection sans passer par une greffe en introduisant par exemple la mutation CCR5 delta-32 via une thérapie génique, et finalement d’autres stratégies visent à optimiser les réponses immunitaires contre le virus » complète Asier Sáez-Cirión.
« La recherche sur l’épidémie du VIH s’inscrit dans une tradition désormais longue de 40 ans à l’Institut Pasteur. Aujourd’hui, de nombreuses connaissances ont été accumulées sur le mode d’action du virus. Toutefois, des problématiques scientifiques restent à résoudre : entre autres comment éliminer le réservoir viral chez les personnes avec VIH ou comment mettre au point un vaccin préventif efficace contre le virus. De nombreuses équipes de l’Institut Pasteur et du Pasteur Network travaillent sur ces thématiques, et des essais cliniques vont débuter en 2023 pour tester de nouvelles immunothérapies basées sur des anticorps neutralisants à large spectre et aussi des marqueurs prédictifs de rémission associés aux cellules naturelles tueuses » conclut Christophe d’Enfert, Directeur Général Adjoint Scientifique de l’Institut Pasteur.
Le consortium IciStem
L’étude a été réalisée par le consortium international IciStem qui vise à étudier les personnes vivant avec le VIH qui sont amenés à recourir à des transplantations de celles souches dans le cadre de la prise en charge d’autres pathologies. « Avec une excellente équipe de professionnels du monde entier, nous étudions ces cas exceptionnels depuis 9 ans pour lesquels, grâce à une stratégie thérapeutique, le virus est complètement éliminé de l’organisme. Nous voulons comprendre en détail chaque étape du processus de guérison afin de concevoir des stratégies reproductibles pour l’ensemble des patients », explique Javier Martinez-Picado, chercheur ICREA à IrsiCaixa, co-directeur d’IciStem, et co-auteur principal de l’article.
[1] Onusida.
Source
In-depth virological and immunological characterization of HIV-1 cure after CCR5Δ32/Δ32 allogeneic hematopoietic stem cell transplantation, Nature Medicine, 20 février 2023
Björn-Erik Ole Jensen1,23 , Elena Knops2,3,23, Leon Cords4,23, Nadine Lübke5,23, Maria Salgado6,7,23, Kathleen Busman-Sahay8, Jacob D. Estes8, Laura E. P. Huyveneers9, Federico Perdomo-Celis10, Melanie Wittner4,11, Cristina Gálvez6, Christiane Mummert12,20, Caroline Passaes10, Johanna M. Eberhard4,11,21, Carsten Münk1, Ilona Hauber13, Joachim Hauber11,13, Eva Heger2,3, Jozefien De Clercq14, Linos Vandekerckhove14, Silke Bergmann12, Gábor A. Dunay11,13,22, Florian Klein2,3, Dieter Häussinger1, Johannes C. Fischer15, Kathrin Nachtkamp16, Joerg Timm5, Rolf Kaiser2,3, Thomas Harrer12, Tom Luedde1, Monique Nijhuis9, Asier Sáez-Cirión10,24, Julian Schulze zur Wiesch4,11,24 , Annemarie M. J. Wensing9,17,24, Javier Martínez-Picado6,7,18,19,24 & Guido Kobbe16,24
1Department of Gastroenterology, Hepatology and Infectious Diseases, Dusseldorf University Hospital, Medical Faculty, Heinrich Heine University, Dusseldorf, Germany.
2Institute of Virology, University and University Hospital Cologne, University of Cologne, Cologne, Germany.
3German Center for Infection Research, Partner Site Bonn-Cologne, Cologne, Germany.
4Infectious Diseases Unit, I. Department of Medicine, University Medical Center Hamburg-Eppendorf, Hamburg, Germany.
5Institute of Virology, Dusseldorf University Hospital, Medical Faculty, Heinrich Heine University, Dusseldorf, Germany.
6IrsiCaixa AIDS Research Institute, Barcelona, Spain.
7Center for Biomedical Research in Infectious Diseases, Carlos III Health Institute, Madrid, Spain.
8Vaccine and Gene Therapy Institute and Oregon National Primate Research Center, Oregon Health and Science University, Beaverton, OR, USA.
9Translational Virology, Department of Medical Microbiology, University Medical Center Utrecht, Utrecht, the Netherlands.
10Institut Pasteur, Paris Cite University, HIV Inflammation and Persistence, Paris, France.
11German Center for Infection Research, Partner Site Hamburg-Lubeck-Borstel-Riems, Hamburg, Germany.
12Infectious Diseases and Immunodeficiency Section, Department of Internal Medicine 3, Universitatsklinikum Erlangen, Friedrich-Alexander Universitat Erlangen-Nurnberg, Erlangen, Germany.
13Leibniz Institute of Virology, Hamburg, Germany.
14HIV Cure Research Center and Department of General Internal Medicine and Infectious Diseases, Ghent University Hospital, Ghent, Belgium.
15Institute for Transplant Diagnostics and Cell Therapeutics, Dusseldorf University Hospital, Medical Faculty, Heinrich Heine University, Dusseldorf, Germany.
16Department of Hematology, Oncology and Clinical Immunology, Medical Faculty, Dusseldorf University Hospital, Heinrich Heine University, Dusseldorf, Germany.
17Ezintsha, University of the Witwatersrand, Johannesburg, South Africa.
18University of Vic-Central University of Catalonia, Barcelona, Spain.
19Catalan Institution for Research and Advanced Studies, Barcelona, Spain.
20Present address: Bavarian Nordic, Martinsried, Germany.
21Present address: Helmholtz Center for Infection Research, Helmholtz Institute for One Health, Greifswald, Germany.
22Present address: University Children’s Research, UCR@Kinder-UKE, University Medical Center Hamburg-Eppendorf, Hamburg, Germany.
23These authors contributed equally: Bjorn-Erik Ole Jensen, Elena Knops, Leon Cords, Nadine Lubke, Maria Salgado.
24These authors jointly supervised this work: Asier Saez-Cirion, Julian Schulze zur Wiesch, Annemarie M. J. Wensing, Javier Martinez-Picado, Guido Kobbe.