Les traitements actuels contre le VIH bloquent efficacement la multiplication virale mais ne parviennent pas à guérir l’infection car ils ne ciblent pas les cellules infectées. Il a été rapporté une guérison ou une rémission profonde de la maladie chez trois personnes séropositives ayant reçu une allogreffe de cellule souches destinée à traiter des cas graves de cancers du sang. Cependant, cette procédure n’a pas permis d’éradiquer le virus chez d’autres patients. Dans le cadre du consortium international ICISTEM, des chercheurs de l’Institut Pasteur et du Centre médical universitaire de Hambourg ont mené une étude visant à analyser l’évolution du système immunitaire de 16 personnes atteintes du VIH après une greffe de cellules souches allogéniques. Ces scientifiques ont constaté une phase de forte activation du système immunitaire après la transplantation, susceptible de créer une fenêtre de vulnérabilité pour le réensemencement du réservoir du VIH dans les cellules en expansion du donneur. Leurs travaux ont été publiés le 6 mai 2020 dans la revue Science Translational Medicine.
Avec le traitement antirétroviral actuel, l’organisme est incapable d’éliminer le virus. Celui-ci reste niché dans les cellules immunitaires, en particulier CD4, à partir desquelles il recommence à se multiplier et à infecter de nouvelles cellules si le traitement antiviral est interrompu. Il n’existe pour l’heure aucune stratégie en mesure de cibler et d’opérer une élimination sélective des cellules infectées dans l’organisme. L’allogreffe est utilisée pour soigner les personnes atteintes de certains cancers du sang, tel qu’une leucémie ou un lymphome, ou de graves troubles du système immunitaire. Au cours de la transplantation, la plupart des cellules immunitaires de ces patients sont éliminées par ablation. Les cellules souches du donneur sain sont alors vouées à remplacer la moelle osseuse lésée des patients afin de restaurer leur système immunitaire. Certains porteurs du VIH doivent également subir une greffe de cellules souches allogéniques pour traiter des types de cancers hématologiques. Ces interventions se sont accompagnées d’une chute spectaculaire du nombre de cellules infectées par le virus, qui est devenu indétectable dans la quasi-totalité des cas. Par ailleurs, chez trois individus, le virus demeure indécelable malgré l’interruption de leur traitement antirétroviral, indiquant pour eux une guérison ou, tout du moins, une rémission profonde. Ces trois patients avaient reçu une greffe de cellules souches de donneurs porteurs d’une mutation (CCR5Δ32) qui altère l’expression, à la surface des cellules, de l’un des principaux récepteurs d’entrée du VIH, leur conférant une résistance à certaines souches du virus. En revanche, plusieurs autres patients allogreffés ont vu la réplication virale reprendre suite à l’interruption de leur traitement antirétroviral.
L’étude ICISTEM (www.icistem.org) compile des cas exceptionnels de personnes atteintes du VIH ayant besoin d’une greffe de cellules souches allogéniques. Elle vise à analyser l’ensemble de la dynamique du VIH, du réservoir viral et des réponses immunitaires après transplantation, ainsi qu’à identifier les facteurs qui concourent à la guérison / rémission ou à la résurgence du VIH chez ces patients. Des chercheurs de l’unité HIV, inflammation et persistance de l’Institut Pasteur et de l’unité des maladies infectieuses du Centre médical universitaire de Hambourg-Eppendorf ont examiné l’évolution du compartiment des cellules T post-greffe chez 16 individus séropositifs sous traitement antirétroviral, dont 5 avaient reçu des cellules porteuses de la mutation CCR5Δ32. Ils ont constaté une forte activation des cellules CD4 au cours des premières semaines suivant la transplantation, lorsque les cellules du donneur et du patient coexistaient encore. L’activation, pendant cette période, des quelques cellules d’origine restantes peut, par conséquent, favoriser la réactivation du provirus du VIH et le réensemencement de l’infection dans les cellules CD4 en expansion des donneurs, qui constituent alors des cibles parfaites pour le virus si l’infection n’est pas contenue par des antirétroviraux efficaces ou des barrières génétiques (comme la mutation CCR5Δ32 pour les virus utilisant ce récepteur).
Les chercheurs ont également observé, après cette période, le développement, à partir de cellules de donneurs, de nouvelles réponses CD8 dirigées contre les protéines du VIH. Leurs observations indiquent qu’au cours de leur expansion, les cellules des donneurs étaient en contact avec des facteurs du VIH et vouées à réagir contre eux, ce qui démontre l’existence d’une « fenêtre de vulnérabilité » pendant laquelle les cellules des donneurs peuvent être infectées. Cependant, ces nouvelles réponses CD8 contre le VIH étaient plus faibles et moins efficaces que celles développées chez ces mêmes patients contre d’autres infections chroniques, notamment par le cytomégalovirus, connues pour se réactiver lors de la greffe. Les réponses anti-VIH ont parfois persisté à des fréquences relativement élevées pendant de nombreuses années après la transplantation, ce qui pourrait traduire la persistance du virus dans des réservoirs anatomiques cachés de ces individus, comme le confirme au moins un des cas étudiés, qui a présenté un rebond viral après l’interruption de son traitement antirétroviral.
Ces découvertes, ajoutées à celles du consortium ICISTEM, révèlent une vulnérabilité pouvant expliquer pourquoi l’allogreffe, bien que réduisant drastiquement le nombre de cellules infectées, ne parviendrait pas à éradiquer totalement le virus dans l’organisme. En effet, quelques cellules infectées peuvent rester inaperçues dans des organes non accessibles et provoquer un rebond viral impossible à maîtriser par les faibles réponses immunitaires présentes à ce moment-là. Des interventions ou des immunothérapies complémentaires pourraient alors s’avérer nécessaires pour permettre la rémission des allogreffés séropositifs qui n’ont pas reçu de cellules dotées d’une résistance intrinsèque à l’infection.
Source
Vulnerability to reservoir reseeding due to high immune activation after allogeneic hematopoietic stem cell transplantation in individuals with HIV-1, Science Translational Medicine, 6 mai 2020
Johanna M. Eberhard1,2, Mathieu Angin3, Caroline Passaes3, Maria Salgado4, Valerie Monceaux3, Elena Knops5, Guido Kobbe6, Björn Jensen7, Maximilian Christopeit8, Nicolaus Kröger8, Linos Vandekerckhove9, Jon Badiola10, Alessandra Bandera11, Kavita Raj12, Jan van Lunzen1,13, Gero Hütter14, Jürgen H.E. Kuball15, Carolina Martinez-Laperche16, Pascual Balsalobre16, Mi Kwon16, José L. Díez-Martín16, Monique Nijhuis15, Annemarie Wensing15, Javier Martinez-Picado4,17,18, Julian Schulze zur Wiesch1,2, # and Asier Sáez-Cirión3, #
1I-Department of Medicine, Infectious Diseases Unit, University Medical Center HamburgEppendorf, 20246 Hamburg, Germany.2DZIF Partner Site (German Center for Infection Research), Hamburg - Lübeck - Borstel - Riems, Germany.
3Institut Pasteur, HIV, Inflammation and Persistence, 75015 Paris, France.
4AIDS Research Institute IrsiCaixa, 08916 Badalona, Spain.
5Institute of Virology, University of Cologne, 50935 Cologne, Germany.
6Department of Haematology, Oncology and Clinical Immunology, University Hospital Düsseldorf, 40225 Düsseldorf, Germany.
7Department of Gastroenterology, Hepatology and Infectious Diseases, University Hospital Düsseldorf, 40225 Düsseldorf, Germany.
8Department of Stem Cell Transplantation, University Medical Center HamburgEppendorf, 20246 Hamburg, Germany.
9HIV Cure Research Center, Department of Internal Medicine, Faculty of Medicine and Health Sciences, Ghent University and Ghent University Hospital, B-9000 Ghent, Belgium.
10Hematology Department, Virgen de las Nieves University Hospital, 18014 Granada, Spain.
11San Gerardo Hospital, University of Milano-Bicocca, 20900 Monza, Italy.
12Department of Haematology, King's College Hospital, London SE5 9RS, UK.
13ViiV Healthcare, Brentford, Middlesex TW8 9GS, United Kingdom.
14Cellex, 01307D resden, Germany.
15University Medical Center Utrecht, 3584 CX Utrecht, Netherlands.
16Hospital Universitario Gregorio Marañón, Instituto de Investigación Sanitarias Gregorio Marañón, Universidad Complutense, 28007 Madrid, Spain.
17UVic-UCC, 08500 Vic, Spain.
18ICREA, 08010 Barcelona, Spain.
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