Décrire la diversité génétique des populations humaines est primordial pour mieux comprendre les maladies et leur répartition géographique. Cependant, la grande majorité des études génétiques sont focalisées sur les populations d’origine européenne, alors que celles-ci ne représentent que 16 % de la population mondiale. Les chercheurs de l’Institut Pasteur, du Collège de France et du CNRS se sont intéressés aux populations peu étudiées du Pacifique Sud, qui sont très touchées par des maladies infectieuses à transmission vectorielle comme le Zika, la dengue, ou encore le chikungunya, d’une part, et les maladies métaboliques telles l’obésité ou le diabète, d’autre part. Grâce au séquençage du génome de 320 individus, les scientifiques ont pu reconstituer de quelle façon les populations humaines se sont adaptées aux îles du Pacifique, et leurs conséquences sur leur état de santé actuel. Ils ont également mis en évidence des aspects encore insoupçonnés de l’histoire du peuplement de cette région. Ces travaux sont publiés dans la revue Nature le 14 avril 2021.
Un consortium international de chercheurs, organisé par Etienne Patin (CNRS / Institut Pasteur) et Lluis Quintana-Murci (Collège de France / Institut Pasteur), a été mis en place pour caractériser la diversité génétique des populations du Pacifique Sud, une terre de contrastes, faite d’une myriade d’îles qui ont été peuplées à des époques très différentes.
En effet, peu après la sortie de l’Homme d’Afrique, un premier peuplement du Pacifique a eu lieu en Océanie proche (Papouasie-Nouvelle-Guinée, archipel Bismarck et îles Salomon) il y a environ 45 000 ans, alors que l’Océanie lointaine (le Vanuatu, les îles Wallis et Futuna, la Polynésie, etc.) restait inhabitée. Il est admis qu’il y a 5 000 ans, des Hommes sont partis de Taïwan, sont passés par les Philippines, puis par ces îles déjà habitées de l’Océanie proche, pour enfin peupler, pour la première fois, l’Océanie lointaine.
Sur la route qui les a menés jusqu’en ces terres éloignées, les ancêtres des populations du Pacifique Sud ont rencontré des groupes d’hommes archaïques, avec lesquels ils se sont métissés. Aujourd’hui, les populations océaniennes cumulent 2 à 3 % de matériel génétique hérité de l’Homme de Néandertal (que toutes les populations hors d’Afrique possèdent également), mais également jusqu’à 3 % de matériel génétique hérité de l’Homme de Denisova (cousin des Néandertaliens, supposé provenir d’Asie). Nous savions que le matériel archaïque provenant de Néandertal a apporté à Homo sapiens des mutations qui lui ont permis de mieux s’adapter à l’environnement, notamment face aux maladies infectieuses et aux virus (Cell, 20161). Dans cette étude publiée aujourd’hui, les chercheurs de l’unité Génétique évolutive humaine (Institut Pasteur / CNRS2), en collaboration avec différents laboratoires en France3, Allemagne, Suède, Suisse, Chine et à Taiwan, ont cherché à comprendre la façon dont cet ancien métissage a pu favoriser l’adaptation des populations du Pacifique à leurs environnements insulaires, y compris les pathogènes.
Des événements historiques retracés grâce à la génétique
Basés sur le séquençage des génomes entiers de plus de 320 individus issus de Taïwan, des Philippines, de l’archipel Bismarck, des îles Salomon, de Santa Cruz et du Vanuatu, ces travaux, publiés dans la revue Nature, ont contribué à retracer le peuplement de l’Océanie. Les chercheurs ont daté le peuplement par l’Homme des différentes îles de l’Océanie proche à environ 40 000 ans, confirmant les hypothèses archéologiques. Ils montrent également que ce peuplement initial a été suivi par une période d’isolement génétique entre îles. « Nos résultats confirment les capacités précoces de l’Homme à traverser l’océan pour rejoindre de nouvelles terres, mais suggèrent également que ces voyages maritimes n’étaient, à cette époque reculée, pas si fréquents », explique Etienne Patin, chercheur CNRS au sein de l’unité Génétique évolutive humaine à l’Institut Pasteur. Les résultats de l’étude révèlent de plus une importante réduction de la taille de la population juste avant cet événement.
L’étude remet également en question l’hypothèque selon laquelle il y a environ 5 000 ans, une population quitte Taïwan pour peupler rapidement l’Océanie proche et lointaine. « Nous suggérons que l’Homme quitte Taïwan il y a plus de 5 000 ans, et que le métissage qui accompagne l’arrivée des Austronésiens en Océanie proche ne débute que 2 000 ans plus tard. Les expansions partant de Taiwan ont donc pris un certain temps, et sont peut-être passées par une phase de maturation aux Philippines ou en Indonésie », remarque Etienne Patin.
Quelle diversité génétique chez les populations du Pacifique Sud ?
Ces travaux ont permis de calculer le pourcentage de l’héritage néandertalien et dénisovien dans ces populations du Pacifique Sud. « Nous avons été surpris de constater que, contrairement à l’héritage néandertalien, très homogène entre les vingt populations étudiées (environ 2,5 %), l’héritage de l’Homme de Denisova varie considérablement entre populations : de presque 0 % à Taiwan et aux Philippines et jusqu’à 3,2 % en Papouasie-Nouvelle-Guinée et au Vanuatu (Océanie lointaine), » commente Lluis Quintana-Murci, professeur du Collège de France, titulaire de la chaire Génomique humaine et évolution, et responsable de l’unité Génétique évolutive humaine (Institut Pasteur / CNRS).
Et la surprise ne s’arrête pas là. L’étude confirme que l’héritage néandertalien confère des mutations bénéfiques aux populations actuelles associées à de nombreux phénotypes : la pigmentation de la peau, le métabolisme, le développement neuronal, etc. Le plus étonnant est que le métissage avec les Dénisoviens a apporté presque exclusivement des mutations bénéfiques reliées à la régulation de la réponse immunitaire. On constate que cet héritage a été un réservoir de mutations avantageuses qui a permis aux populations du Pacifique de mieux survivre aux pathogènes locaux. Il semblerait ainsi que ces populations ont profité des avantages de ces deux métissages.
Enfin, l’étude montre que le métissage avec les Dénisoviens ne s’est pas fait en une fois, mais au cours d’au moins quatre événements indépendants. Elle indique que les Dénisoviens avec qui les populations du Pacifique se sont métissées formaient en réalité des populations très diverses. Cette information ne pouvait pas être révélée par le seul génome de l’Homme de Denisova découvert en Sibérie : « Une force de cette étude réside dans le fait qu’en étudiant les 3 % d’héritage archaïque découvert dans les génomes des hommes modernes, on ressuscite les génomes des Dénisoviens et on révèle ainsi la grande diversité génétique de ces hommes archaïques » commente Lluis Quintana-Murci.
Enfin, mis à part l’adaptation biologique grâce au métissage archaïque, on constate que le métabolisme des lipides, et du cholestérol en particulier, a également été la cible de la sélection naturelle en Océanie. Cet éclairage donne des pistes pour mieux comprendre pourquoi les changements récents de mode de vie de ces populations peuvent s’être accompagnés de désordres métaboliques.
L’approche génétique permet d’éclairer l’histoire de l’adaptation biologique des populations à leur environnement, et fournit à la communauté scientifique des informations précieuses sur les particularités génétiques de l’Homme. Ces études génomiques de grande ampleur permettront à terme de mieux comprendre les causes génétiques de maladies touchant certaines régions du globe, trop négligées jusque-là par la recherche médicale.
1 Genetic Adaptation and Neandertal Admixture Shaped the Immune System of Human Populations, Cell, 20 octobre 2016.
2 Génomique évolutive, modélisation et santé (GEMS)
3 Il s’agit entre autres des laboratoires : Virologie (CNRS/Institut Pasteur), Eco-anthropologie (EAE, CNRS/MNHN/Université de Paris) et Archéologies et sciences de l'Antiquité (ArScAn, CNRS/Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne/Université Paris Nanterre/ministère de la Culture)
Source
Genomic insights into population history and biological adaptation in Oceania, Nature, 14 avril 2021
Jeremy Choin1,2,15, Javier Mendoza-Revilla1,15, Lara R. Arauna1,15, Sebastian Cuadros-Espinoza1,3, Olivier Cassar4, Maximilian Larena5, Albert Min-Shan Ko6, Christine Harmant1, Romain Laurent7, Paul Verdu7, Guillaume Laval1, Anne Boland8, Robert Olaso8, Jean-François Deleuze8, Frédérique Valentin9, Ying-Chin Ko10, Mattias Jakobsson5, Antoine Gessain4, Laurent Excoffier11,12, Mark Stoneking13, Etienne Patin1,16* & Lluis Quintana-Murci1,14,16
1 Human Evolutionary Genetics Unit, Institut Pasteur, UMR 2000, CNRS, Paris 75015, France
2 Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, Paris 75013, France
3 Sorbonne Université, Collège doctoral, Paris 75005, France
4 Oncogenic Virus Epidemiology and Pathophysiology, Institut Pasteur, UMR 3569, CNRS, Paris 75015, France
5 Human Evolution, Department of Organismal Biology and SciLife lab, Uppsala University, Uppsala 752 36, Sweden
6 Key Laboratory of Vertebrate Evolution and Human Origins, Institute of Vertebrate Paleontology and Paleoanthropology, Chinese Academy of Sciences, Beijing 100044, China
7 Muséum National d’Histoire Naturelle, UMR7206, CNRS, Université de Paris, Paris 75016, France
8 Centre National de Recherche en Génomique Humaine (CNRGH), Institut de Biologie François Jacob, CEA, Université Paris-Saclay, Evry 91057, France
9 Maison de l’Archéologie et de l’Ethnologie, UMR 7041, CNRS, Nanterre 92023, France
10 Environment-Omics-Disease Research Center, China Medical University and Hospital, Taichung 40447, Taiwan 11Institute of Ecology and Evolution, University of Bern, Bern 3012, Switzerland
12 Swiss Institute of Bioinformatics, Lausanne 1015, Switzerland
13 Department of Evolutionary Genetics, Max Planck Institute for Evolutionary Anthropology, Leipzig 04103, Germany
14 Chair Human Genomics and Evolution, Collège de France, Paris 75005, France
15 These authors contributed equally
16 These authors jointly supervised this work