La phagothérapie, le traitement des infections bactériennes par certains virus dénommés bactériophages, est un procédé médical certes ancien, mais dont les mécanismes d’action sont encore mal connus. Des scientifiques de l’Institut Pasteur et du CNRS ont montré in vivo, dans un modèle murin, que les bactéries sont capables de réguler l’expression de leurs gènes pour échapper aux nombreux bactériophages présents dans l’environnement intestinal. Ces travaux expliquent la différence d’efficacité des bactériophages entre des conditions in vitro et in vivo. Ces résultats sont publiés dans la revue Cell Host & Microbe le 13 avril 2022.
La phagothérapie est une approche médicale qui consiste à traiter les maladies infectieuses d’origine bactérienne, en s’appuyant sur les capacités naturelles de certains virus, appelés bactériophages, à tuer les bactéries qu’ils reconnaissent spécifiquement. Le recours à cette stratégie thérapeutique, découverte il y a plus de 100 ans, a connu un net recul dans le monde occidental, suite au développement des antibiotiques. Cependant, face à l’augmentation alarmante du nombre d’infections causées par des bactéries résistantes aux antibiotiques et à l’inquiétante perspective des impasses thérapeutiques, les scientifiques cherchent à élucider le mode d’action des bactériophages.
Les bactéries et les bactériophages sont les entités les plus abondantes du microbiote intestinal chez l’Homme. Bien que les bactériophages tuent les bactéries, ces deux populations antagonistes coexistent en équilibre dans l’intestin.
Jusqu’à présent, les données scientifiques n’étaient pas suffisantes pour comprendre le fonctionnement de la phagothérapie in vivo. En revanche, les interactions entre les bactéries et les bactériophages, ont été largement étudiées in vitro. Dans ces conditions, le bactériophage infecte rapidement les bactéries, se réplique et détruit les bactéries en libérant de nouveaux virus prêts à infecter d’autres bactéries. Cependant, la dynamique observée entre ces deux microorganismes est très différente dans l'intestin des mammifères. Ainsi, dans certains cas, un bactériophage efficace en milieu de culture est totalement inefficace dans l'environnement intestinal.
Pour comprendre cette différence, les chercheurs et chercheuses de l’Institut Pasteur et du CNRS ont choisi de comparer l’expression des gènes, le transcriptome, de la bactérie Escherichia coli dans les deux conditions : milieu de culture ou intestin. Ils ont alors mis en évidence les régulations génétiques qui caractérisent l'adaptation de la bactérie à l'environnement intestinal.
En étudiant précisément les gènes impliqués dans cette adaptation, ils ont mis en évidence quatre gènes qui modulent la sensibilité de la bactérie aux bactériophages. « Nous avons constaté que certains gènes nécessaires pour l'infection par le bactériophage sont moins exprimés dans l'intestin que in vitro, ce qui protège la bactérie face au bactériophage » commente Laurent Debarbieux, responsable de l’unité Bactériophage, bactérie, hôte à l’Institut Pasteur (unité mixte CNRS)[1], auteur principal de l’étude. Les scientifiques ont pu vérifier leur hypothèse en supprimant l’expression d’un gène en particulier. Ils ont pu observer que la sensibilité des bactéries à un bactériophage était fortement réduite. Ainsi, au sein de l’intestin, les bactéries peuvent résister à la prédation exercée par les bactériophages sans opérer de mutation dans leur génome, mais en modulant l’expression de certains gènes.
Cette étude montre donc que l'environnement joue un rôle prédominant dans les interactions entre bactéries et bactériophages. Ces résultats ouvrent la voie vers une meilleure utilisation des bactériophages à des fins thérapeutiques.
[1] Unité de recherche appelée également au CNRS « Microbiologie intégrative et moléculaire ».
Source
The gut environment regulates bacterial gene expression which modulates susceptibility to bacteriophage infection, Cell Host & Microbe, 13 avril 2022
Marta Lourenço1,2#, Lorenzo Chaffringeon1,3,4, Quentin Lamy-Besnier1, Marie Titécat1,5, Thierry Pédron1, Odile Sismeiro6, Rachel Legendre6,7, Hugo Varet6,7, Jean-Yves Coppée6, Marion Bérard8, Luisa De Sordi1,3,4 and Laurent Debarbieux1*
1 Institut Pasteur, Université Paris Cité, CNRS UMR6047, Bacteriophage Bacterium Host, Paris F-75015 France
2 Sorbonne Université, Collège Doctoral, F-75005 Paris, France
3 Sorbonne Université, INSERM, Centre de Recherche St Antoine, UMRS_938, Paris, France
4 Paris Center for Microbiome Medicine (PaCeMM) FHU, AP-HP, Paris, Ile-de-France, France
5 Université de Lille, INSERM, CHU Lille, U1286-INFINITE-Institute for Translational Research in Inflammation, F-59000 Lille, France
6 Transcriptome and EpiGenome Platform, Biomics, Center for Technological Resources and Research (C2RT), Institut Pasteur, Université Paris Cité, Paris F-75015 France
7 Bioinformatics and Biostatistics Hub, Department of Computational Biology, Institut Pasteur, Université Paris Cité, Paris F-75015 France
8 Institut Pasteur, Université Paris Cité, DT, Animalerie Centrale, Centre de Gnotobiologie, 75724 Paris, France
# present address: Department of Global Health, Institut Pasteur, Université Paris Cité, Paris F-75015 France
* Lead author and correspondence