Les microbes sont les organismes les plus courants et les plus diversifiés de la planète. Ces dernières années, les chercheurs ont recueilli un volume colossal de données les concernant, relatives notamment à leur fond génétique. Cette avalanche d’informations – appelée « Big Data » – est une fantastique mine de nouvelles connaissances et un moteur de progrès médical. Les scientifiques de l’Institut Pasteur et de l’Institut européen de bio-informatique du LEBM ont uni leur savoir dans les domaines de la génétique bactérienne et de la recherche sur Internet pour créer un moteur de recherche d’ADN microbien. Ce moteur, décrit dans un article publié dans la revue Nature Biotechnology, pourrait permettre aux chercheurs et agences de santé publique d’exploiter des données de séquençage du génome pour surveiller la propagation de gènes de résistance aux antibiotiques. En accédant plus facilement à cette immense base de données, les utilisateurs pourraient également étoffer leurs connaissances des bactéries et des virus.
Le moteur de recherche BIGSI (Bitsliced Genomic Signature Index) poursuit le même objectif que les moteurs disponibles sur Internet, tels que Google.
La quantité d’ADN microbien séquencé double tous les deux ans. Or, il était jusqu’à présent impossible de parcourir ces données électroniquement et encore moins manuellement.
« Ce type de recherche pourrait s’avérer extrêmement utile pour comprendre une maladie. Prenons l’exemple de la propagation dans un hôpital d’une bactérie multirésistante d’une souche Klebsiella contenant un plasmide (élément d’ADN mobile capable de transmettre la résistance aux traitements à différentes espèces bactériennes) de résistance aux traitements. Eh bien, pour la première fois, les chercheurs peuvent interroger BIGSI afin de déterminer aisément si ce plasmide a déjà été observé et quand », explique Eduardo Rocha, responsable de l’unité Génomique évolutive des microbes à l’Institut Pasteur. « En conjuguant l’expertise de Pasteur en matière d’éléments d’ADN mobiles et les capacités d’analyse de toutes les données disponibles du moteur BIGSI d’EBI, nous avons identifié des plasmides qui se sont récemment propagés entre des bactéries très éloignées. Ces éléments mobiles sont en mesure de transférer des gènes de résistance aux antibiotiques de leurs réservoirs naturels jusqu’aux génomes des pathogènes humains. »
Google et d’autres moteurs de recherche utilisent le langage naturel pour sonder des milliards de sites Web. Ils sont capables d’exploiter le fait que le langage humain est relativement immuable. L’ADN microbien, lui, conserve l’empreinte de milliards d’années d’évolution, chaque nouveau génome microbien étant, par conséquent, susceptible de posséder un « langage » inédit. Pour que BIGSI soit efficace, il fallait donc élaborer un index de recherche à la hauteur de la diversité de l’ADN microbien.
La surveillance des maladies infectieuses
« Le problème de la prise en charge des maladies infectieuses et de la résistance aux antibiotiques a été, pour nous, une source de motivation », indique Zamin Iqbal, chef de groupe de recherche au LEBM-IEB. On sait que la résistance aux antibiotiques d’une bactérie peut résulter d’une mutation ou de l’intervention de plasmides. Par ailleurs, les mutations peuvent être conservées dans l’ADN bactérien comme des vestiges de son ascendance bactérienne, ce qui permet d’inférer, dans une certaine mesure, le mode de propagation de bactéries dans un hôpital, un pays ou le monde entier. BIGSI nous aide à étudier tous ces aspects à très grande échelle. Les chercheurs peuvent désormais savoir si une souche épidémique donnée a déjà été observée ou encore si un gène de résistance aux traitements en particulier s’est propagé à une nouvelle espèce.
Des recherches simples et rapides
« Ce moteur de recherche vient compléter d’autres outils existants et offre une solution compatible avec les volumes colossaux de données que nous générons de nos jours », précise Phelim Bradley, bioinformaticien au LEBM-IEB. Ce moteur saura, en effet, s’adapter à la croissance de la quantité de données disponibles, ce qui constituait l’un des principaux défis des scientifiques. Ceux-ci ont réussi à développer un moteur de recherche accessible à n’importe quel utilisateur connecté à Internet.
« La baisse du coût du séquençage de l’ADN verra apparaître une multitude d’utilisateurs qui n’appartiennent pas à la recherche fondamentale et entraînera une augmentation rapide du volume de données générées », ajoute Zamin Iqbal. Il y a fort à parier que le séquençage de l’ADN sera utilisé dans les consultations ou sur le terrain pour poser des diagnostics et prescrire des traitements, mais également pour toute autre chose, comme contrôler la viande d’un hamburger. À ce stade, il apparaît fondamental de faciliter la consultation des données génomiques. Les scientifiques approfondiront ainsi leurs connaissances de la biologie, de l’évolution, de la propagation des maladies, etc.
Pourquoi donner la priorité aux microbes ?
Un microbe est un organisme vivant invisible à l’œil nu, qui ne peut donc être observé qu’à l’aide d’un microscope. Il désigne généralement diverses formes de vie, parmi lesquelles les bactéries, les virus et les champignons.
Les bactéries existent depuis des milliards d’années et peuplent pratiquement tous les milieux de la Terre, des profondeurs océaniques à la haute atmosphère en passant par nos intestins. Elles se reproduisent extrêmement rapidement, et leurs espèces peuvent être sensiblement différentes les unes des autres.
Comparer l’ADN de plusieurs espèces bactériennes peut nous permettre d’appréhender leurs relations, ainsi que d’étudier la dynamique de la résistance aux antibiotiques qui se propage dans le monde et l’arbre du vivant. L’analyse de l’ADN peut, par exemple, nous aider à prédire la dangerosité d’une souche donnée de tuberculose et le type de médicaments auquel cette souche répondrait ou non.
Source
Real-time search of all bacterial and viral genomic data, Nature Biotechnology, 4 février 2019
Phelim Bradley1, Henk den Bakker2, Eduardo Rocha3,4, Gil McVean1, Zamin Iqbal5
1 University of Oxford
2 University of Georgia
3 Microbial evolutionary genomics Laboratory - Institut Pasteur
4 UMR3525 - CNRS.
5 European Molecular Biology Laboratory – European Bioinformatics Institute
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Résistance aux agents antimicrobiens du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.