Maladies vectorielles : Moustiques, tiques, mouches piqueuses… jusqu’où iront-ils ?
« Il va falloir apprendre à vivre avec le moustique tigre » - Anna-Bella Failloux, entomologiste à l'Institut Pasteur.
Crédit : Datagif & Olivier Roux - Institut Pasteur
Sommaire
Dossier - Moustiques, tiques, mouches piqueuses... jusqu'où iront-ils ?
- Une problématique d’envergure mondiale
- Des systèmes vectoriels et humains en évolution
- Le climat, un facteur de premier plan
- Des maladies vectorielles bientôt en France ?
Paludisme - une maladie du passé en Europe ?
Leishmanioses - des maladies à ne pas négliger
Dengue - cartographier les villes pour lutter contre cette maladie
Mobilisation - L'Institut Pasteur se mobilise lors des Jeux 2024
Tiques - les villes, de nouveaux espaces à surveiller
Interview - Anna-Bella Failloux
Maladies à transmission vectorielle - un Centre de recherche dédié à celles-ci
Chiffres clé - le CMTV
Portrait - Marine Viglietta
Depuis quelques années, les alertes printanières sur les dangers des petites bêtes se nourrissant de sang humain résonnent dans des régions plus septentrionales qu’à l’accoutumée. Au-delà des nuisances qu’ils causent, les insectes hématophages ou les tiques présentent un risque sanitaire réel : dans certaines conditions, ils sont capables d’héberger et de transmettre des virus, parasites ou bactéries, devenant des « vecteurs » de maladies.
Certaines maladies « vectorielles » sont bien connues sous nos latitudes, comme la maladie de Lyme liée aux tiques, mais la plupart – paludisme, dengue, Zika, fièvre hémorragique de Crimée-Congo, fièvre jaune… – peuvent nous sembler lointaines. Elles sont pourtant plus proches qu’on ne le pense : les insectes vecteurs profitent des mobilités humaines, du réchauffement des températures ainsi que des modifications de nos habitats pour étendre le leur, et le risque associé aux maladies vectorielles augmente mécaniquement.
À l’approche de l’été et des Jeux 2024, une attention particulière se porte sur les vecteurs de maladies comme les moustiques, les tiques ou encore les mouches piqueuses.
une maladie du passé en Europe ?
La plus mortelle des maladies vectorielles sévissait dans plusieurs régions européennes jusqu’à sa disparition dans les années 70. « Nous avons montré que certains moustiques anophèles présents sur le continent étaient toujours capables de transmettre l’un des parasites responsables du paludisme. » souligne Catherine Bourgouin, responsable de groupe au sein de l’unité Biologie des interactions hôte-parasite. « Son éradication n’est donc pas uniquement liée à la diminution du nombre de moustiques vecteurs, mais également à l’amélioration des conditions socio-économiques et l’existence de médicaments efficaces. Par exemple, l’habitat européen avant l’exode rural permettait aux anophèles de passer l’hiver dans les étables situées au-dessous des chambres. » Plus qu’une maladie du passé, le paludisme est avant tout une maladie rurale. Aujourd’hui en Europe, la majorité des cas de paludisme sont importés et si des cas autochtones ne sont pas impossibles comme en Corse en 2006, les conditions nécessaires à une épidémie ne sont pas réunies. « En dehors de la saison estivale, les anophèles ne survivent pas très longtemps, empêchant le parasite de se développer dans leurs glandes salivaires », explique la chercheuse. « De plus, nous avons montré que les moustiques issus de parents vieillissants étaient davantage sensibles à l’infection, une piste de recherche intéressante pour espérer mieux contrecarrer la transmission du parasite. » Ailleurs dans le monde, la lutte anti-vectorielle dans les régions rurales, notamment via l’utilisation de moustiquaires imprégnées d’insecticides, a permis une nette diminution du paludisme depuis une quinzaine d’années. « Mais la surveillance reste primordiale dans les pays endémiques : les moustiques adaptent leur comportement à ces stratégies, aux environnements pollués, et étendent leur aire de répartition jusqu’aux zones suburbaines, favorisés par l’augmentation des températures. »
Une problématique d’envergure mondiale
Longtemps considérées comme des maladies tropicales, endémiques chez les populations les plus pauvres, la situation des maladies vectorielles évolue rapidement : 80 % de la population mondiale est aujourd’hui à risque d’en rencontrer une ou plusieurs. Chaque année, elles causent plus d’un million de décès dont une majorité d’enfants, selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), et entraînent souvent des affections chroniques invalidantes. La plus meurtrière de ces maladies est le paludisme, transmis par un moustique de la famille des anophèles : en 2022, 249 millions de cas ont été signalés dans le monde, et 608 000 décès, pour la plupart sur le continent africain. La dengue, dont le virus est véhiculé par des moustiques Aedes, est quant à elle la maladie la plus répandue : depuis 2019 elle est présente dans toutes les régions du globe, et menacerait la moitié de la population mondiale. Les flambées épidémiques associées à d’autres agents pathogènes semblent se multiplier depuis une dizaine d’années, surchargeant les systèmes de santé et s’étendant à de nouveaux territoires. D’autres émergences ont également eu lieu, comme celle du virus Zika, dont le lien avec des malformations congénitales a été identifié en 2016 après d’importantes épidémies en Amérique du Sud. En dépit de programmes d’ampleur pour lutter contre les maladies vectorielles, certaines sont encore considérées comme négligées par l’OMS, telles les leishmanioses et la maladie du sommeil.
Des maladies à ne pas négliger
À l’origine d’atteintes aussi diverses que des lésions cutanées stigmatisantes ou des dommages viscéraux mortels en l’absence de traitement, les leishmanioses sont causées par des parasites du genre Leishmania. Responsables de près de 57 000 décès chaque année, elles sont endémiques dans 90 pays et considérées comme des maladies négligées par l’OMS. « Dans le sud de la France, on trouve en particulier la leishmaniose canine, causée par Leishmania infantum. » précise Gerald Spaeth, responsable de l’unité de Parasitologie moléculaire et signalisation. « Mais une autre souche de Leishmania particulièrement inquiétante est en train d’émerger en Italie, beaucoup plus virulente que L. infantum. » Les travaux de Gerald et de son équipe ont permis de montrer que ce nouveau parasite était un hybride entre L. infantum et L. donovani, une souche de Leishmania responsable d’épidémies meurtrières en Inde et en Afrique de l’Ouest. Des hybrides similaires ont été décrits ailleurs en Méditerranée. « Leishmania est un genre de Frankenstein » explique le chercheur, « capable de partager des caractéristiques entre différentes souches, de s’adapter à des environnements très différents et à de nombreuses espèces de Phlébotomes (ou « mouches des sables »), les insectes vecteurs de leur transmission à l’humain. » Le réchauffement climatique est d’ailleurs profitable à ces insectes, dont l’expansion vers le nord s’accélère, ce qui augmente significativement le risque associé aux leishmanioses en Europe. « Toute maladie négligée est appelée à devenir une maladie émergente », rappelle Gérald Spaeth. « La biologie unique et complexe des Leishmania peut créer des scénarios épidémiologiques imprévisibles. Nous travaillons sur de nouvelles pistes thérapeutiques qui permettraient de contrer l’adaptabilité de ces parasites, en ciblant directement leur interaction avec l’humain. »
Des systèmes vectoriels et humains en évolution
La présence d’une tique ou d’un insecte vecteur n’est cependant pas la seule condition à la propagation d’une maladie vectorielle, qui dépend d’un « système vectoriel » adapté, nécessitant la présence et l’interaction entre un agent pathogène, un vecteur et les éventuels hôtes humains ou animaux. Comprendre ce système et les facteurs qui l’influencent est la clé pour agir contre les maladies vectorielles. Les causes de leur progression sont multiples, mais elles coïncident avec des transformations sociales et environnementales profondes. Le cas de la disparition du paludisme en Europe, accélérée par l’exode rural, est révélateur. À l’inverse, l’urbanisation des sociétés humaines peut avoir un impact favorable sur certaines espèces vectrices. La densité des centres urbains offre de nouveaux gîtes et de nouveaux moyens de se déplacer, suivant les mobilités humaines et créant des situations épidémiologiques nouvelles. En outre, la mondialisation et les voyages internationaux contribuent à la dissémination des agents pathogènes et des vecteurs dans le monde entier. Mais pour qu’un vecteur s’installe durablement sur un territoire, il est indispensable que les conditions climatiques lui soient favorables.
Cartographier les villes pour lutter contre cette maladie
Autrefois maladie des tropiques, la dengue a progressé de manière spectaculaire au cours des 20 dernières années : quelque 100 à 400 millions d’infections surviennent chaque année, selon l’OMS, dans toutes les régions du monde depuis 2019. « Outre le climat, l’un des facteurs de cette expansion est l’évolution des centres urbains, plus denses, plus centralisés et plus verts : un terreau fertile pour les moustiques qui transmettent la dengue. » explique Richard Paul, chercheur au sein de l’unité Écologie et émergence des pathogènes transmis par les arthropodes. « Face à l’urbanisation des moustiques, la désinsectisation massive autour des cas détectés n’est plus efficace. » Richard Paul a ainsi développé une nouvelle approche avec des géographes, des climatologues et des épidémiologistes, afin de cartographier les villes pour mieux cibler la lutte anti-vectorielle. « À partir des données routières, des réseaux sociaux, de pièges à moustiques et de prélèvements d’échantillons, nous pouvons déterminer quels endroits de la ville sont les plus fréquentés, les plus propices aux moustiques, et les plus susceptibles d’héberger des cas de dengue ; trois facteurs qui ne vont pas nécessairement de pair, notamment à cause de la mobilité croissante à l’intérieur des villes. » La méthode a été appliquée avec succès à Delhi, en Inde, permettant la mise en place de politiques sanitaires adaptées, et est en passe de l’être à Bangkok, en Thaïlande. « Nos travaux ont permis d’utiliser intelligemment les insecticides, mais aussi de développer des systèmes d’anticipation et d’alerte sur la base de données sociales et environnementales. Certaines villes européennes expérimentent déjà ces outils permettant d’estimer le risque épidémique et d’agir localement. »
Le climat, un facteur de premier plan
De toutes les maladies infectieuses, celles transmises par des vecteurs sont les plus fortement influencées par l’augmentation des températures mondiales. Cet impact peut sembler évident : la plupart des insectes et des tiques se reproduisent mieux et survivent plus longtemps lorsque les saisons chaudes s’allongent. Si cela est vrai pour la plupart des espèces, les bouleversements écologiques induits par ce réchauffement sont plus profonds. Par exemple, la température peut modifier la capacité d’un vecteur à transmettre un agent pathogène, et cette interaction peut évoluer en réponse à l’environnement. Les activités et les modes de vie humains sont également affectés par le réchauffement des températures. Sous l’impulsion de politiques publiques « bleues et vertes », les villes se végétalisent et leur extension brouille la frontière entre zones urbaines et rurales, alors que les populations ne sont pas nécessairement sensibilisées à la lutte contre les tiques et insectes vecteurs. Ces évolutions profitent aux vecteurs, mais aussi aux espèces animales réservoirs de maladies vectorielles. En France, c’est notamment le cas de certains rongeurs et oiseaux pouvant abriter la bactérie responsable de la maladie de Lyme, et la transmettre via les tiques (Ixodes ricinus) aux promeneurs. Un tel cycle semble s’être amplifié ces dernières années puisque le nombre de cas annuels estimés a presque doublé en dix ans.
Des maladies vectorielles bientôt en France ?
Sous nos latitudes, les maladies telles que la dengue, le chikungunya ou le paludisme sont souvent perçues comme des « maladies d’aéroport », résultant de cas importés par des voyageurs ou de l’introduction accidentelle de moustiques infectés par des avions venant de zones endémiques. Ces cas restent limités à quelques centaines par an en France, mais les conditions locales évoluent. Des vecteurs se propagent sur le continent et le moustique tigre, capable de transmettre des virus tels que Zika, la dengue et le chikungunya, colonise aujourd’hui presque l’ensemble du territoire national (voir carte), augmentant la probabilité de démarrer une chaîne de transmission locale, voire un foyer épidémique à partir d’un cas importé. Ainsi, si neuf épisodes de transmission autochtones de dengue, c’est-à-dire causés par un moustique présent sur le territoire, ont été recensés en France entre 2010 et 2018, autant ont eu lieu pour la seule année 2022. La situation est telle que le Comité national de veille et d’anticipation des risques sanitaires (COVARS) soulignait en juillet 2022 que « les émergences et épidémies de maladies à transmission vectorielle en France sont inéluctables ». Ce constat peut sembler alarmant, mais il est à mettre en perspective de nos spécificités environnementales et sanitaires. Malgré de multiples épisodes d’introduction d’agents pathogènes, aucun n’a pu s’établir durablement sur le territoire, et l’activité des vecteurs reste très dépendante des saisons. En somme, les conditions ne sont pas encore réunies pour permettre le maintien d’un système vectoriel tout au long de l’année, mais des foyers sporadiques sont inévitables. Les autorités sanitaires sont donc aux aguets : en France, un Plan anti-dissémination du chikungunya et de la dengue est en place depuis 2006. Il est indispensable de se préparer, et de développer des moyens de lutte efficace contre les vecteurs. L’importante diversité et la complexité des cycles de transmission des maladies vectorielles rendent difficile le développement d’outils vaccinaux et thérapeutiques. La lutte contre les vecteurs est aujourd’hui l’arme la plus efficace, et chacun peut y contribuer : moustiquaires, pantalons longs et vigilance au retour d’une balade en forêt !
L’Institut Pasteur se mobilise lors des Jeux 2024
Depuis début 2024, un record de cas importés de dengue a été recensé dans l’Hexagone. Or les Jeux d’été vont voir affluer de nombreux voyageurs et, avec eux, les maladies dites « vectorielles ». Les cas importés de dengue pourraient aider à l’installation d’une chaîne de transmission en France métropolitaine. De ce fait, une surveillance des insectes vecteurs est nécessaire, comme les moustiques tigres ou les tiques. Pour cette raison, la Cellule d’intervention biologique d’urgence (CIBU) de l’Institut Pasteur se mobilise pendant les Jeux 2024. Elle est prête à intervenir si des cas suspects de fièvres ou autres symptômes sont déclarés. Son rôle est d’identifier le pathogène à l’origine des symptômes observables pour éviter un départ d’épidémie.
Les villes, de nouveaux espaces à surveiller
En 2009, en France, le nombre de cas estimés de la maladie de Lyme avoisinait les 26 000. Aujourd’hui, ce sont près de 50 000 personnes qui sont atteintes chaque année par cette maladie handicapante pouvant être à l’origine de graves troubles articulaires ou neurologiques. « La répartition géographique de nombreuses espèces de tiques est en pleine évolution et, sous nos latitudes, elles sont maintenant présentes dans de nouveaux environnements comme à de plus hautes altitudes en raison du réchauffement des températures ou encore dans les zones vertes urbaines ou péri-urbaines. » explique Eva Krupa, chercheuse au sein de l’unité Écologie et émergence des pathogènes transmis par les arthropodes. « Ainsi, les populations de tiques croisent de plus en plus de personnes non sensibilisées à leur présence, notamment sur les itinéraires végétalisés parfois très fréquentés par les êtres humains, mais aussi par des animaux qui sont autant de réservoirs d’agents pathogènes. » Avec son équipe, elle cherche à mieux comprendre les risques associés à ces environnements, en récoltant les différentes populations de tiques en Ile-de-France, et en collectant des données sur leurs piqûres et les différentes maladies qui peuvent en résulter. La cartographie des risques élaborée à partir de ces travaux permettra aux autorités sanitaires de mettre en place des actions locales de prévention, mais la chercheuse ne compte pas s’arrêter là. « Dans le cadre d’un programme européen, nous développons également un “labo-valise” pour détecter les agents pathogènes directement sur le terrain, et réagir rapidement en cas d’épidémie. » Ce projet est d’autant plus important que de nouveaux agents pathogènes transmis par les tiques ont été détectés sur le territoire national, comme celui de la fièvre hémorragique de Crimée-Congo en octobre 2023.
" Les tiques sont redoutables pour l'être humain et l'animal " - Sarah Bonnet, responsable de de l'unité Ecologie et émergence des pathogènes transmis par les arthropodes.
Crédit : Jeanne Fenouil/ Institut Pasteur
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Les moustiques sont-ils nos ennemis ?
Non, mais les agents pathogènes dont ils peuvent être vecteurs, oui. Seulement 15 % des plus de 3 500 espèces de moustiques recensées piquent l’humain et encore moins sont responsables d’épidémies. Néanmoins, l’agent pathogène arrive toujours une fois que l’insecte vecteur est bien installé : le scénario est le même, qu’il prenne quelques années ou une décennie. Il ne faut donc pas prendre à la légère la situation actuelle : l’installation du moustique tigre Aedes albopictus et la mobilité des populations favorisent les émergences épidémiques. Bien sûr, chaque agent pathogène a sa spécificité : certains sont transmis par des moustiques du genre Culex piquant des oiseaux (virus du Nil occidental, virus Usutu), mais les plus dangereux ont l’humain comme réservoir principal. Parmi eux, seuls les virus ont un véritable potentiel pandémique à cause de leur vitesse d’adaptation et de multiplication mais aussi de l’expansion géographique des insectes qui les transmettent.
Comment expliquer leur succès ?
Comme tous les insectes, les moustiques sont des organismes à sang froid dont la température interne dépend de la température extérieure. Il y a donc une corrélation directe entre le réchauffement climatique et l’activité ainsi que la densité des moustiques : leur durée de développement est plus rapide, et la durée d’incubation des virus l’est aussi. Plus la température augmente, plus le risque associé aux maladies vectorielles augmente. Les épidémies surviennent le plus souvent dans les villes, auxquelles certaines espèces, notamment du genre Aedes, sont particulièrement bien adaptées : elles se sont « urbanisées », tirant parti des gîtes larvaires offerts par les humains comme les gouttières, les pots de fleurs ou les conteneurs d’eau.
Est-ce la raison de la présence du moustique tigre en France ?
Tout à fait ! Le moustique tigre est l’espèce invasive par excellence : ses oeufs sont enveloppés d’une coque épaisse et imperméable, qui supporte aussi bien la sécheresse que des températures de 0°C. Cette caractéristique lui permet de suivre les déplacements humains, et c’est comme ça qu’il est arrivé en Europe à partir des États-Unis, probablement dans des pneus usagés transportés par voie maritime. En France, le moustique tigre est arrivé à Marseille en 2010 et a remonté la vallée du Rhône via les véhicules empruntant l’autoroute. Son aire géographique recouvre déjà une vingtaine de pays européen, et va continuer à s’étendre.
Quel risque lui est associé ?
Avec les voyageurs rentrant de pays tropicaux qui vont importer les virus pour lesquels Aedes albopictus est compétent, notamment la dengue, le chikungunya et Zika, le risque récurrent de cas autochtones est certain. La communauté scientifique savait que le réchauffement climatique allait exacerber les maladies vectorielles, mais une situation aussi favorable aux épidémies est nouvelle. Elle est devenue réalité en 2007 avec la détection des premiers cas autochtones de chikungunya en Italie : en moins d’une journée une personne a généré 250 cas secondaires ! Ça s’emballe très vite, et l’épidémie ne s’arrête qu’avec la fin de la saison de transmission : c’est notre avantage en Europe, nous avons l’hiver, contrairement aux territoires ultramarins.
Comment faire face à cette situation ?
La politique de lutte anti-vectorielle en France métropolitaine est bien formatée. Du 1er mai au 30 novembre, un « plan anti-dissémination chikungunya et dengue » a été mis en place depuis 2006. En cas de détection d’un cas autochtone, tous les endroits à risque de transmission sont désinsectisés. Nous sommes néanmoins confrontés au problème de la résistance aux insecticides, notamment à la deltaméthrine, le seul autorisé en Europe contre les moustiques adultes. La lutte anti-vectorielle est limitée mais indispensable, car nous avons peu de moyens thérapeutiques et vaccinaux contre les virus eux-mêmes. La meilleure protection pour ne pas tomber malade reste de se protéger des moustiques. De simple nuisance, ils sont devenus risque sanitaire.
Un Centre de recherche dédié à celles-ci
Étudier toutes les dimensions des maladies vectorielles en rassemblant au sein d’un même bâtiment l’étude de la triade hôte-vecteur-pathogène, tel est l’objectif du futur Centre de recherche sur les maladies à transmission vectorielle (CMTV) de l’Institut Pasteur, qui sera bientôt construit sur le campus parisien. « Près de 15 équipes seront rassemblées dans ce bâtiment unique en Europe. » explique Philippe Bastin, responsable scientifique du projet et chef de l’unité Biologie cellulaire des trypanosomes. « L’expertise pasteurienne sur les maladies vectorielles est historique*, et mondialement reconnue. Nos équipes sont déjà mobilisées face à cette menace, et le CMTV leur donnera un nouvel élan pour repousser les limites de la connaissance au bénéfice de la santé publique. » « L’objectif est de reproduire le cycle infectieux complet d’agents pathogènes dangereux pour l’humain. » précise Philippe Bastin. « Nous pourrons l’observer à n’importe quelle échelle, de la génétique à l’environnement en passant par l’immunité. » Les outils d’imagerie de pointe permettront aux chercheurs de suivre les virus, bactéries et parasites dans tout l’organisme du vecteur ou de l’hôte, de l’organe à la cellule. Grâce aux insectariums équipés de tunnels de vol, les comportements des vecteurs, influencés par leur environnement mais aussi par l’infection, pourront être étudiés. Enfin, les laboratoires hautement sécurisés pourront recevoir des vecteurs du monde entier et les agents infectieux connus et inconnus qu’ils contiennent. « Nous voulons créer un cercle vertueux entre la recherche fondamentale et la recherche médicale sur le terrain. »
* Le parasite du paludisme, les bacilles de la peste et du typhus ont été découverts par des chercheurs pasteuriens au début du 20e siècle. L’étude des insectes est une tradition ancienne à l’Institut Pasteur, dont le cours d’entomologie médicale forme des experts du monde entier depuis plus de 35 ans.
Marine Viglietta, des Caraïbes à l’Asie
Marine Viglietta
La recherche, c’est juste une manière détournée d’aider les autres.
Entomologiste médicale et virologiste, Marine Viglietta, 27 ans, a préparé sa thèse de doctorat dans le laboratoire Arbovirus et insectes vecteurs à l’Institut Pasteur. Elle raconte avec enthousiasme ses études sur les moustiques Aedes aegypti et les virus qu’ils peuvent transmettre.
Lorsque nous rencontrons Marine dans le laboratoire où elle travaille, nous la trouvons une pipette à la main, faisant signe qu’elle termine une « manip ». C’est alors une course contre la montre pour la jeune chercheuse : elle n’a que quelques semaines pour terminer ses expériences avant d’attaquer la rédaction de sa thèse de doctorat, aboutissement de quatre ans de travail. Sa soutenance aura lieu en septembre. « J’ai besoin de vacances ! » s’exclame Marine en nous rejoignant, sans se départir d’un sourire qui lâche rarement son visage, surtout quand elle parle de ses recherches.
Quelques années plus tôt, la jeune femme entre en faculté de médecine, attirée par la perspective de pouvoir « aider les gens » avec un métier qu’elle juge « magnifique ». Mais elle se rend vite compte que ces études ne lui conviennent pas. C’est la recherche qui l’attire. Elle étudie d’abord l’épidémiologie, puis la virologie à la faculté Versailles-Saint-Quentin. « J’avais envie de travailler sur les maladies épidémiques, notamment tropicales, car j’ai passé beaucoup de temps petite dans les Caraïbes, en Martinique et en Guadeloupe, où il y avait surtout des épidémies de dengue. J’ai ainsi été sensibilisée aux maladies vectorielles transmises par des moustiques. »
En stage de master dans l’unité d’Entomologie de l’Institut Pasteur de Guadeloupe, elle a une révélation. « C’était la première fois que je manipulais des moustiques, et que j’apprenais à faire de l’élevage. Ça m’a vraiment donné envie de travailler sur ces insectes. »
Pour préparer son doctorat, Marine postule à un appel d’offres du laboratoire d’Anna-Bella Failloux à l’Institut Pasteur à Paris, qu’elle avait « repéré depuis un moment », et qui tient en une question : pourquoi n’y a-t-il pas de fièvre jaune en Asie ? « Alors que le moustique vecteur de cette maladie y est présent ! » précise Marine. Dans cette unité de recherche étudiant les virus transmis par les moustiques, des « arbovirus », Marine découvre le travail en laboratoire de haute sécurité P3, qui nécessite une formation préalable. « J’ai pu manipuler des arbovirus et travailler sur mon propre projet ».
En 2022, elle est envoyée quelques semaines à l’Institut Pasteur du Cambodge pour apprendre à collecter des moustiques sur le terrain. « Nous avons fait des captures avec des pièges à moustiques, à Phnom Penh et dans le village rural de Koh Thom. C’était très intéressant de voir la réalité du terrain : comment les gens vivent, côtoient les animaux et les insectes. C’était une très belle expérience, passionnante, même scientifiquement. Mais si je devais choisir entre le labo et le terrain, ce serait vraiment le labo. Le terrain c’est dur et surtout aléatoire : parfois, on ne capture rien. »
Au laboratoire, Marine dit adorer voir l’aboutissement de ses expérimentations : « on met souvent 3 mois ou plus avant d’avoir les résultats : entre l’élevage des moustiques, leur infection, le processing des échantillons et l’analyse finale…c’est un travail de longue haleine, qui me passionne ».
Sur la fièvre jaune en Asie, Marine a pu montrer que la présence dans un moustique Aedes aegypti du virus de l’encéphalite japonaise, courant dans cette région du monde, rendait l’insecte incapable de transmettre le virus de la fièvre jaune. Le virus de la dengue semble avoir le même effet bloquant. Grâce à ces premiers résultats, Marine a pu commencer à lever le voile sur ce qui était jusqu’ici « un des grands mystères de l’arbovirologie ».
Après sa soutenance de thèse, son doctorat en poche, elle ira faire son “post-doctorat” à l’étranger, mais n’a pas encore cherché son point de chute.
Pense-t-elle toujours pouvoir aider les autres ? « La recherche, c’est juste une manière détournée de le faire. » souligne la jeune chercheuse. « Comprendre comment ça marche, ça servira un jour ou l’autre à quelqu’un qui trouvera un vaccin, ou un moyen de bloquer un virus dans le moustique, ce qui empêchera des centaines de milliers de personnes d’être infectées. C’est cette perspective qui m’anime. »
La Fondation Crédit Mutuel Alliance Fédérale avec l’Institut Pasteur, contre les maladies vectorielles
Le moustique tigre pourrait transmettre de nombreux autres virus, face auxquels peu de vaccins et de traitements efficaces sont disponibles. Parmi les nombreux travaux menés à l’Institut Pasteur, l’un d’eux étudie des dizaines de milliers de moustiques collectés dans chaque région française, et mesure leur densité et leur capacité à transmettre près de 13 virus différents afin d’anticiper leur émergence. A terme, les données récoltées permettront d’établir des cartes de risque épidémique, pour orienter les décisions des autorités sanitaires.
Ces travaux sont soutenus par la Fondation Crédit Mutuel Alliance Fédérale. Merci à elle pour ce soutien généreux et son engagement à nos côtés.