Le paludisme est une maladie qui continue d’engendrer d’importantes souffrances et de faire de nombreuses victimes dans les régions tropicales. Cette maladie est provoquée par les parasites du genre Plasmodium. L’espèce Plasmodium falciparum est à l’origine de la forme la plus sévère et la plus mortelle du paludisme. Des chercheurs de l’Institut Pasteur ont étudié le stade sanguin des parasites et découvert un mécanisme susceptible de conduire à la mise au point de nouveaux médicaments efficaces contre le paludisme.
Malgré des efforts de lutte soutenus ces 20 dernières années, l’OMS rapporte, en 2020, que le nombre de cas déclarés de paludisme demeure élevé (241 millions chaque année), avec un total des décès estimé à 627 000. Dans la lutte contre le paludisme, la résistance croissante des parasites au médicament de première ligne appelé artémisinine s’avère la principale préoccupation. L’identification de nouveaux médicaments permettant de déjouer cette pharmacorésistance est essentielle pour tendre vers l’éradication du paludisme.
Le parasite s’introduit dans la circulation sanguine lors d’une piqûre de moustique, puis se multiplie dans le foie : c’est ce qu’on appelle le stade hépatique. Il retourne ensuite dans le sang et envahit les globules rouges de l’hôte, où il se multiplie de nouveau : il s’agit du stade sanguin. « Tous les symptômes cliniques du paludisme relèvent du stade sanguin. À mesure que le parasite se multiplie dans les globules rouges, il ingère et digère l’hémoglobine afin de fournir des acides aminés pour la synthèse des protéines parasitaires. La digestion de l’hémoglobine entraîne de graves dommages oxydatifs aux membranes du parasite », explique Chetan Chitnis, responsable de l’unité Biologie de Plasmodium et vaccins à l’Institut Pasteur. Le parasite est entouré d’une membrane qui le protège de l’extérieur. La réparation des dommages oxydatifs causés aux membranes est donc indispensable à sa survie.
Matthias Wagner, doctorant collaborant avec Chetan Chitnis, a découvert qu’une protéine antioxydante humaine appelée PRDX6, présente dans les globules rouges, est absorbée par le parasite avec l’hémoglobine. « La protéine PRDX6 est connue pour jouer un rôle dans la réparation des lipides membranaires oxydés. Nous avons constaté que l’inhibition de la PRDX6 humaine par un inhibiteur nommé Darapladib anéantit la croissance des parasites P. falciparum au stade sanguin. Fait intéressant, le co-traitement de P. falciparum au Darapladib et à l’artémisinine réduit également la survie des parasites résistants à cette dernière, qui ne sont pas tués par celle-ci administrée seule », indique Matthias Wagner.
Il semble donc séduisant de cibler une protéine humaine plutôt qu’une protéine parasitaire dans la mise au point des antipaludéens, car les parasites ne peuvent pas muter le gène cible pour acquérir une résistance. Le développement d’inhibiteurs de PRDX6 en tant que nouveaux médicaments contre le paludisme pourrait jouer un rôle critique dans les efforts d’éradication à long terme.
Ces recherches ont bénéficié de financements de l’Agence nationale de la recherche (ANR) et de PasteurInnov. Matthias Wagner a participé au programme doctoral international Pasteur-Paris University, et Chetan Chitnis est membre du Laboratoire d’excellence ParaFrap. Les chercheurs ont utilisé plusieurs plateformes de l’Institut Pasteur, dont celle de microscopie électronique Biolmagerie Ultrastructurale, l’Animalerie centrale et le Hub d’analyse d’images, et collaboré avec des collègues de plusieurs autres instituts de recherche en Allemagne, à Singapour et aux États-Unis.
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Résistance aux agents antimicrobiens du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
Source :
Human peroxiredoxin 6 is essential for malaria parasites and provides a host-based drug target, Cell Report, 14 juin 2022
Matthias Paulus Wagner1, Pauline Formaglio2, Olivier Gorgette3, Jerzy Michal Dziekan4, Christèle Huon1, Isabell Berneburg5, Stefan Rahlfs5, Jean-Christophe Barale6,7, Sheldon I. Feinstein8, Aron B. Fisher8,9, Didier Ménard10,11, Zbynek Bozdech4, Rogerio Amino2, Lhousseine Touqui12,13, Chetan E. Chitnis1
1 - Institut Pasteur, Université Paris Cité, unité Biologie de Plasmodium et vaccins, Paris, France
2 - Institut Pasteur, Université Paris Cité, unité Infection et immunité paludéenne, Paris, France
3 - Institut Pasteur, Université Paris Cité, département Biologie cellulaire et infection, Centre d’innovation et recherche technologique, unité Bioimagerie ultrastructurale, Paris, France
4 - School of Biological Sciences, Nanyang Technological University, Singapour
5 - Centre de recherche interdisciplinaire en biochimie et biologie moléculaire, université Justus-Liebig de Gießen, Gießen, Allemagne
6 - Institut Pasteur, Université Paris Cité, CNRS UMR 3528, unité Microbiologie structurale, Paris, France
7 - Institut Pasteur, Pasteur International Unit, Pasteur Network, Unité de recherche translationnelle sur le paludisme, Phnom Penh, Cambodge et Paris, France
8 - Peroxitech, Inc., Philadelphie, PA, États-Unis
9 - Institute for Environmental Medicine, Department of Physiology, University of Pennsylvania Perelman School of Medicine, Philadelphie, PA, États-Unis
10 - Institut Pasteur, Université Paris Cité, INSERM U1201, unité Génétique du paludisme et résistance, Paris, France
11 - Dynamique des interactions hôte-pathogène, EA 7292, IPPTS, université de Strasbourg, Strasbourg, France
12 - Mucoviscidose : physiopathologie et phénogénomique, unité Inserm 938, Saint-Antoine, Paris, France
13 - Institut Pasteur, Université Paris Cité, groupe Mucoviscidose et bronchopathies chroniques, Paris, France