Tout commence avec un vétérinaire et un lion qui louche
C’est à l’âge de 7 ans que Jean-Claude Manuguerra décide qu’il deviendra vétérinaire pour « sauver des animaux » comme dans cette série télévisée « Daktari », qu’il suit à l’époque avec intérêt et assiduité. Dans cette série, Marsh Tracy est vétérinaire. Il protège les animaux sur le terrain et dirige un centre d'études sur le comportement animal à Wameru, au Kenya. Dans ses missions quotidiennes, le docteur Marsh Tracy est accompagné d’une équipe singulière et notamment de Clarence, un lion nonchalant doté d’un fort strabisme.
Rencontre décisive avec son maître de stage
En avril 1986, alors qu’il cherche son stage de fin d’études vétérinaire, Jean-Claude Manuguerra a rendez-vous avec le professeur Claude Hannoun qui dirige l’unité d’Écologie virale à l’Institut Pasteur. Cette rencontre va le marquer et lui faire prendre un tournant auquel il ne s’attend pas. Jean-Claude s’intéresse déjà aux maladies communes aux animaux et à l’homme, telles que celles transmises par les moustiques ou les tiques, mais son maître de stage lui explique qu’un autre virus est bien plus important à étudier. Si le chikungunya se transmet du moustique à l’homme, cette maladie n’est pas contagieuse. En revanche, les grippes se transmettent de l’animal à l’homme puis d’homme à homme et se propagent à grande vitesse.
À la suite de cette conversation, le virologue invite Jean-Claude à lire un traité scientifique de virologie en anglais, qu’il évoque encore aujourd’hui avec un vif souvenir et qu’il a conservé précieusement. (The Influenza Viruses and Influenza by Edwin D. Kilbourne, 1975)
De la ferme au post-doctorat
« À cette époque, j’avais déjà réalisé plusieurs stages dans des fermes et je travaillais tous les samedis dans une clinique vétérinaire à Paris. Ce métier, je l’appréciais, mais j’ai dû commencer ma thèse expérimentale de doctorat vétérinaire (ou thèse d’exercice) en même temps que mon DEA (l’ancêtre des M2). La charge de travail m’a obligé à renoncer pour un moment à mes activités vétérinaires. Puis il m’a fallu choisir entre deux possibilités : arrêter mon parcours universitaire ou m’engager dans une thèse de science.
« Le labo, la recherche scientifique était une opportunité qui ne se représenterait sûrement pas ! J’ai donc enchaîné les deux thèses ».
Il part ensuite pour son post doctorat à Londres dans un laboratoire renommé du National Insitute for Medical Research à Mill Hill, au nord de la capitale britannique, dirigé par le Dr John Skehel. Dans cet institut où la grippe humaine a été identifiée pour la première fois en 1933, Jean-Claude travaille à son tour sur les grippes du cheval et du porc.
Suivre les oiseaux migrateurs
À son retour à Paris, l’Institut Pasteur lui propose de reprendre la direction par intérim du Centre National de Référence (CNR) du virus de la grippe et de l’unité d’Écologie virale pour combler le départ à la retraite de Claude Hannoun. Il accepte. Dans le laboratoire d’Écologie virale, ses premières missions s’intéressent aux virus influenzae (les grippes aviaires). C’est dans la baie de Somme, dans le parc naturel du Marquenterre que le jeune chercheur effectue des prélèvements sur les oiseaux migrateurs. Son travail consiste à recenser les populations d’oiseaux, prélever des échantillons, prendre connaissance des différents types de virus qui circulent. De retour au labo, ces virus sont étudiés : on vérifie s’ils connaissent ou non les nouvelles mutations, on les compare à la grippe humaine… Ces connaissances fondamentales de virologie sont essentielles pour pouvoir in fine lutter contre les maladies.
Si les virus ont toujours l’animal pour réservoir, l’Histoire montre qu’ils peuvent dans certaines circonstances franchir la barrière de l’espèce et s’adapter à l’être humain.
Des maladies émergentes à travers le monde
Parrallèlement à son unité de recherche, Jean-Claude est également responsable de la CIBU. La Cellule d’Intervention Biologique d’Urgence (CIBU), conformément à ses missions d'expertise, analyse des échantillons que les Agences régionales de santé leur adressent. Ces prélèvements pour analyse peuvent contenir des agents infectieux tels que les bactéries du charbon ou de la peste ou des virus tels que ceux des fièvres Ebola, Marburg, Crimée-Congo, Lassa et Nipah…
Parmi les différentes missions de cette cellule, il y a la mobilisation à l’international. C’est ainsi, équipés d’un laboratoire complet et mobile, que Jean-Claude et des membres de son équipe partent à travers le monde, lorsque des foyers épidémiques se déclarent.
En 2003, à la demande du ministère de la Santé et avec le SAMU de France, il s’envole pour Hanoï où sévit un virus respiratoire inconnu qui provoque le SARS (syndrome respiratoire aigu sévère). Ce nouveau virus va paralyser de nombreux territoires en Asie et en particulier Hong Kong : les populations vont être restreintes dans leur déplacement, le port du masque devient obligatoire, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) redoute une crise sanitaire planétaire.
Jean-Claude Manuguerra, responsable de la Cellule d'Intervention Biologique d'Urgence (CIBU)
et de l'unité de recherche et d'expertise Environnement et risques infectieux
Nous avons travaillé avec l’hôpital d’Hanoï pour effectuer des prélèvements. À la fin de notre mission, nous avons été confinés et sommes restés en quarantaine sans pouvoir quitter la ville. La situation était inquiétante… il n’y avait pas encore de test de diagnostic : si nous tombions malades, il n’y avait aucun hôpital aux standards internationaux pour nous soigner et il était hors de question de nous rapatrier en France au cas où nous serions contagieux !
Depuis, Jean-Claude et son équipe se mobilisent dès qu’éclate une épidémie, n’importe où dans le monde.
- 2004 : la grippe aviaire sévit au Cambodge,
- 2009 : la grippe A(H1N1) et la grippe porcine émergent au Mexique,
- 2012 : un nouveau coronavirus respiratoire apparaît au Moyen Orient (le MERS-CoV).
- 2014 : la première épidémie à virus Ebola flambe en Afrique de l’Ouest (la plus grande épidémie d’Ebola jamais observée). Jean-Claude et 7 personnes de son équipe partent en mission en Guinée Conakry et en 2015 à Macenta. À peine le temps de souffler, 3 « cibuistes » partent pour le Congo, à Brazzaville, où sévit la fièvre jaune.
- Et récemment arrivent les virus Zika et celui de la Covid-19.
En 2020, avant l'arrivée des diagnostics Covid-19, toute l’équipe est mobilisée, avec astreinte les nuits et les week-ends, pour identifier le nouveau coronavirus dans les échantillons que la CIBU reçoit abondamment quand le centre national de référence (CNR) est fermé.
Cette année, nous allons fêter le vingtième anniversaire de la CIBU. Au fil des ans, cette cellule a évolué, nous avons pu développer de nombreux partenariats scientifiques et nous avons participer dès notre création au réseau mondial d’alerte et de réponse en cas d’épidémie. Si le travail est parfois intense et éprouvant, ces crises et missions ont eu un effet fédérateur au sein de l’équipe. Nous partageons ensemble un rythme de travail particulier qui galvanise notre engagement pour la santé et la science.
La Cellule d'Intervention Biologique d'Urgence (CIBU) Le système d’astreintes de la Cellule d’Intervention Biologique d’Urgence, c’est 17 experts scientifiques et techniques, mobilisables 7 jours sur 7, 24 h sur 24 et toute l’année, pour répondre aux urgences microbiologiques qui pourraient mettre en péril la situation sanitaire de notre territoire. Cette cellule a été créée fin 2002, dans un contexte historique marqué d’une part, par les attentats tragiques du 11 septembre 2001 à New-York et d’autre part par des menaces bioterroristes à l’anthrax en France et aux USA (avérées ou non). Depuis ces deux décennies, d’autres enjeux majeurs occupent également la CIBU. Des crises épidémiques d’envergure se sont succédé à travers le monde, en particulier la plus inédite des pandémies, celle de la Covid-19. |
Jean-Claude Manuguerra en quelques dates
2000 – 2018 : Représentant de l’Institut Pasteur au comité de pilotage du réseau mondial d’alerte et de réponse en cas d’épidémie
2007 – 2007 : Université Paris-Sud, Habilitation à diriger les recherches - Virologie
1989 – 1992 : Université Paris-Sud, Doctorat Sciences pharmacetiques, Ecologie microbienne & agents antimicrobiens
1991 – 1991 : Cours de l’Institut Pasteur, Ingénierie génétique
1988 – 1989 : Université Paris-Est Créteil (UPEC), Doctorat vétérinaire
1988 – 1988 : Institut Pasteur, Diplôme de virologie médicale
1986 – 1987 : Université Paris-Sud, Diplôme d'études approfondies Ecologie microbienne et antimicrobiens
1982-1986 : Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort, Etudes vétérinaires
Prix et distinctions
2010 : Prix éditorial – Formation continue dans des revues vétérinaires Syndicat de la Presse et de la Rédaction des Professions de Santé (SPEPS)
2007 : Chevalier de la Légion d’Honneur
2003 : Chevalier de l’Ordre National du Mérite
1992 : 1er prix de thèse ex æquo et Lauréat de la Faculté de Pharmacie de l’Université Paris Sud
1989 : Médaille de thèse (bronze) et lauréat de l’Ecole Nationale Vétérinaire d’Alfort