Dans la nature, les moustiques femelles prennent des repas de sang successifs au cours desquels elles s’exposent à divers microbes présents dans l’hôte. En Afrique, les parasites Trypanosoma, responsables des trypanosomiases, et ceux du paludisme sont sympatriques. Dans des travaux récents, nous avons montré que la pré-exposition des moustiques anophèles à Trypanosoma améliorait leur compétence vectorielle vis-à-vis des parasites du paludisme, réduisait leur aptitude reproductrice et modulait leur flore intestinale bactérienne.
Lors de leurs repas de sang, les moustiques anophèles femelles s’exposent potentiellement à divers microbes ainsi qu’à Plasmodium, le parasite du paludisme. Les trypanosomiases africaines humaines et animales sont fréquemment co-endémiques du paludisme en Afrique. On ignore si l’exposition des anophèles aux trypanosomes influe sur leur aptitude ou leur capacité à transmettre Plasmodium. En adoptant des approches de biologie cellulaire et moléculaire, nous avons découvert que les parasites Trypanosoma brucei brucei survivaient au moins 48 heures dans l’intestin moyen du principal vecteur du paludisme, Anopheles coluzzii, après un repas de sang infectieux. Une corrélation est établie entre cette survie transitoire des trypanosomes et l’altération de l’abondance de la flore bactérienne entérique chez Anopheles coluzzii. Notre approche de biologie du développement nous a permis de découvrir que la présence de trypanosomes vivants dans l’intestin moyen des moustiques réduisait également leur aptitude reproductrice (fitness) en compromettant l’éclosion dans l’eau, et donc la viabilité, des œufs pondus. Nous avons, par ailleurs, constaté que l’exposition des anophèles aux trypanosomes améliorait leur compétence vectorielle pour Plasmodium en augmentant leur prévalence d’infection. Cette susceptibilité accrue à Plasmodium variait selon le microbiome, tandis que le coût de fitness dépendait uniquement de la présence de trypanosomes vivants, peu importe le microbiome. L’analyse transcriptomique a révélé la modulation de l’expression de seulement deux gènes immunitaires d’anophèles au cours de l’exposition aux trypanosomes, ce qui suggère une réponse immunitaire faible voire nulle déclenchée par Trypanosoma chez les moustiques. Ces résultats démontrent que les microbes eucaryotes en interaction avec l’hôte et son microbiome ont de multiples effets sur la compétence vectorielle des anophèles pour Plasmodium, qui peuvent impacter les stratégies d’endiguement du paludisme dans les régions co-endémiques.
Source : PLoS Negl Trop Dis. 2020 Feb. doi: 10.1371/journal.pntd.0008059
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies infectieuses émergentes du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.