Lois de bioéthique : retour sur la méthode participative des Etats généraux
Un projet de loi relatif à la bioéthique a été présenté en conseil des ministres, le mercredi 24 juillet 2019. Alors que son examen débute au Parlement en septembre, revenons sur la genèse de ce projet et la contribution du Comité consultatif national d’éthique. Son président, le Professeur Jean-François Delfraissy, est venu le 25 juin à l’Institut Pasteur intervenir au sujet des Etats généraux de la bioéthique, organisés en 2018. Il venait échanger avec les chercheurs de l’institut sur le thème « science et société ». Et ces Etats généraux ont justement permis d’éclairer les questions de recherche et de société en vue de réviser les lois de bioéthique. Lors de sa visite, Jean-François Delfraissy a ainsi rappelé la méthode adoptée pour ces Etats généraux : un débat participatif et citoyen ayant permis au Comité de rendre un avis éclairé.
« Quel monde voulons-nous pour demain? » C’était la question posée par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE) au moment de lancer les Etats généraux de la bioéthique en 2018. « Les Etats généraux de la bioéthique se sont donnés pour tâche de faire porter le débat sur des sujets variés, pour une part issus des progrès scientifiques et technologiques ayant eu lieu ces dernières années, rappelait le professeur Jean-François Delfraissy, président du Comité consultatif national d’éthique (CCNE), dans une interview qu’il nous accordait en avril 2018. C’est le cas de l’intelligence artificielle, de la recherche en génétique, des rapports entre santé et environnement ou encore de la question des données de santé. »
Le but de ces Etats généraux était donc de suggérer des pistes de révision des lois de bioéthique (qui datent successivement de 1994, 2004 puis 2011). « La révision périodique de la loi de bioéthique, voulue par le législateur, permet de débattre à intervalles réguliers des enjeux éthiques liés aux avancées de la médecine et de la biologie », a d’ailleurs rappelé le gouvernement à l’issu du conseil des ministres du 24 juillet. Cette révision a lieu tous les 7 ans et le projet de loi présenté, le 24 juillet 2019, s’inscrit dans cette démarche. Ces lois définissent les règles à suivre dans des domaines comme le don d’organes, la procréation médicalement assistée (PMA), le diagnostic prénatal, mais aussi en matière de recherche biomédicale. Le cadre législatif interdit par exemple la recherche sur l’embryon humain (sauf dérogation exceptionnelle).
Voilà tout l’enjeu des Etats généraux de la bioéthique qui ont permis au CCNE de soumettre neuf thèmes importants à la réflexion des citoyens et des experts.
Les neurosciences ont fait partie des neuf thèmes soumis à la réflexion des citoyens et des experts, lors des Etats généraux de la bioéthique, en 2018. Ici, une image de la reconstruction de la connectivité cérébrale de la matière blanche obtenue à partir de données d'imagerie pondérée par diffusion. Crédit : Institut Pasteur/Roberto José Toro Olmedo.
Neuf thèmes soumis à la réflexion des citoyens et des experts
- Recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires
- Examens génétiques et médecine génomique
- Dons et transplantations d’organes
- Neurosciences
- Données de santé
- Intelligence artificielle et robotisation
- Santé et environnement
- Procréation et société
- Accompagnement de la fin de vie
Une méthode de consultation innovante, ouverte sur la société civile
Le CCNE a ainsi donné, en 2018, la parole aux citoyens sur les différentes thématiques abordées. « Nous avons conçu cette consultation comme un véritable débat public démocratique en consultant à la fois les citoyens mais aussi les experts, pour qu’ils expriment leurs opinions et discutent ensemble », a rappelé Jean-François Delfraissy, lors de la séance d’échange avec les chercheurs de l’Institut Pasteur sur le thème « science et société », le mardi 25 juin 2019. Pour assurer la qualité de cette démarche participative, le comité a mis en place différents canaux de consultation en France métropolitaine et outre-mer :
- un site web (environ 65 000 contributions et plus de 800 000 votes) ;
- un comité citoyen (22 membres ont participé à des week-ends thématiques) ;
- des événements régionaux (271 événements ont rassemblé 21 000 participants dont 1/3 d’étudiants) ;
- des auditions (154 organisations) ;
- des rencontres avec des comités d'éthiques institutionnels.
Le CCNE a également garanti la transparence de sa démarche via la modération du site et un regard critique inédit porté par un Comité citoyen des États généraux. « Pour cela, nous avons imaginé chaque canal pour qu’il complète les autres, en essayant de compenser les biais inhérents à tout mode de consultation », poursuit Jean-François Delfraissy. Ainsi, l’information vis-à-vis de la société civile s’est appuyée sur le site web et sur les débats organisés dans tous les territoires ; tandis qu’un large dispositif d’auditions a permis d’entendre les experts, les associations et des organisations intéressées par les questions de bioéthique (mutuelles, représentants des grands courants de pensée...).
Un bilan globalement positif et des enseignements
A l’issue de cette large consultation nationale, le CCNE a exprimé sa satisfaction comme sa réserve car chaque outil est imparfait, et c’est la complémentarité de tous les outils qui permet d’appréhender correctement une opinion publique. « La vision de la bioéthique en France est profondément influencée par sa culture et son système de santé basé sur la solidarité », souligne Jean-François Delfraissy. « Ce qui ressort de cette consultation citoyenne, c’est que la pluralité des expressions n’est pas forcément représentative de l’opinion publique. Quelques difficultés ont été ressenties avec les thématiques plus sociétales comme la procréation et nous n’avons pas toujours réussi à inclure les populations les plus vulnérables. »
Suite au conseil des ministres du 24 juillet 2019, le projet de loi présenté, qui pose un ensemble de règles juridiques gouvernant l’ensemble des pratiques médicales et/ou de recherche, traduit - pour ce qui concerne la recherche biomédicale - une volonté de « soutenir une recherche libre et responsable, au service de la santé humaine, en levant certains verrous juridiques et en supprimant des contraintes infondées, en particulier pour la recherche sur les cellules souches », est-il ainsi résumé sur le site du gouvernement. « Dans le même temps, les valeurs éthiques françaises en matière de recherche sont réaffirmées, comme l’interdiction de créer des embryons à des fins de recherche et l’interdiction de modifier le patrimoine génétique d’un embryon destiné à naître. »
Le projet de loi précise également les contours d’une gouvernance bioéthique adaptée au rythme des avancées des sciences et des techniques « en élargissant les missions du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) des sciences de la vie et de la santé, notamment pour prendre en compte tous les impacts des innovations sur la santé. »
Un avis du CCNE (Avis 129) proposant une "table d'orientation" pour les décideurs politiques sur les sujets de bioéthique
Parmi les neuf thématiques soumises à consultation, certaines impactaient directement la recherche scientifique, c’est pourquoi le CCNE a sollicité l’avis de nombreux instituts de recherche, dont l’Institut Pasteur, acteur de la recherche biomédicale et de l’innovation. A l’issue des Etats généraux de la bioéthique 2018, durant lesquels il avait eu une position de grande neutralité, le CCNE a souhaité exprimer son opinion (dit « avis 129 »), à la fois sur les sujets sociétaux et sur les sujets issus des progrès de la recherche biomédicale.
Les recherches sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires
Les connaissances dans les domaines de la reproduction, du développement embryonnaire et de la biologie des cellules souches embryonnaires ont progressé de manière importante et rapide depuis la fin des années 1990. Des évolutions thérapeutiques dans la médecine de la reproduction, l’assistance médicale à la procréation et la médecine réparatrice sont donc à prévoir.
A cet effet, le CCNE considère justifiée l’autorisation de la recherche sur les embryons surnuméraires (embryons préimplantatoires issus des procédures de FIV et dont les projets parentaux ont été abandonnés), y compris avec des modifications génétiques, à condition de non transfert de l’embryon. Le CCNE rappelle également la pertinence éthique de l’interdiction de la création d’embryon à des fins de recherche. Le CCNE propose également un régime juridique différent pour la recherche sur l’embryon et celle sur les lignées de cellules souches embryonnaires car les enjeux éthiques associés à ces deux types de recherche s’avèrent différents.
Les examens génétiques et médecine génomique
Le développement de nouvelles techniques d’analyse et d’ingénierie génomique ont récemment permis une meilleure connaissance du génome, mais aussi de l’épigénome grâce aux nouvelles techniques de séquençage à haut débit. A cet effet, Le CCNE souhaite que le diagnostic génétique préconceptionnel puisse être proposé à toutes les personnes en âge de procréer qui le souhaitent après une consultation de génétique. Il propose également d’évaluer la possibilité d’étendre le dépistage génétique à l’ensemble de la population par la mise en place d’une étude pilote pour en mesurer les conséquences psychologiques et financières.
Les neurosciences
Les neurosciences ont pour objet l’étude du fonctionnement du système nerveux mais également les comportements ou les processus mentaux. Elles touchent donc à l’identité même de la personne humaine et soulèvent des questions éthiques fondamentales. Par conséquent, le CCNE demeure très défavorable à l’utilisation de l’IRM fonctionnelle dans le domaine judiciaire. Il déconseille également l’emploi de l’IRM fonctionnelle dans les applications « sociétales » telles que le neuro-marketing ou dans le cadre de la sélection à l’embauche ou des pratiques assurantielles. Pour finir, il préconise une meilleure information à la population autour de ces techniques.
Les données de santé et intelligence artificielle
Le rythme rapide de diffusion du numérique au sein de notre système de santé est un fait majeur, irréversible. Le numérique joue donc un rôle fondamental en tant que science et technologie du traitement de l’information. A cet effet, le CCNE souhaite garantir une supervision humaine de toute utilisation du numérique en santé, et l’obligation d’instaurer pour toute personne le souhaitant et à tout moment, la possibilité d’un contact humain. Il souhaite également que toute personne ayant recours à l’intelligence artificielle dans le cadre de son parcours de soins, en soit préalablement informée afin qu’elle puisse donner son consentement libre et éclairé. Pour finir, le CCNE souhaite que soit créée une plateforme nationale sécurisée de collecte et de traitement des données de santé.
Sur le plan international
Sur le plan international, le CCNE a sollicité avec la publication de l’Avis 129, les opinions de différents comités d’éthique étrangers (européens, nord-américain et japonais). Cette vision de débat citoyen (démocratie sanitaire) sur des sujets complexes est également portée par l’Organisatin mondiale de la santé (OMS) et le Conseil de l’Europe. Le Japon souhaite s’engager par ailleurs sur certains sujets vers des Etats généraux de la bioéthique, en s’inspirant du modèle français.
En conclusion, le Professeur Jean-François Delfraissy rappelle que la réflexion bioéthique ne s’arrête pas avec la révision de la loi de bioéthique, mais qu’elle doit se poursuivre. Le partenariat avec les Espaces éthiques régionaux va donc permettre d’aborder plus en profondeur certains sujets difficiles au cours des années à venir.
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