Les premiers cas de mpox en République Centrafricaine apparaissent au cours des années 80 au sein d’une famille habitant le sud-ouest du pays. L'Institut Pasteur de Bangui a suivi ces cas et a développé depuis une expertise sur cette maladie qui lui a permis de sonner l'alerte dès les premières flambées africaines en 2017-2018. Avec l’Institut Pasteur à Paris, qui travaillait déjà sur le mpox, une vaste étude a été lancée : Afripox. On vous raconte l'histoire du mpox et les enseignements récents de l’étude.
En août 2024, un cas importé de mpox est confirmé en Suède... S’agit-il d’un retour du mpox en Europe, comme en 2022 ? Et comment cette maladie, a priori cantonnée à certaines forêts du cœur de l'Afrique, a fini par s’exporter ?
Emmanuel Nakouné, virologue à l'Institut Pasteur de Bangui, nous explique en 2 minutes l'histoire du mpox et les récentes découvertes © Institut Pasteur
1970-2010 : les premiers cas de mpox
2010-2016 : une relative accalmie des cas mpox
Depuis 2017 : une dispersion du virus en Afrique
Afripox : un projet collaboratif pour mieux comprendre la maladie
Cinq découvertes majeures sur le mpox
- Les lésions génitales : un symptôme méconnu
- Une transition épidémiologique des zones rurales vers les zones urbaines
- Un écureuil africain, réservoir animal le plus probable
- De nouveaux tests diagnostiques validés en laboratoire
- Des méthodes de séquençage en cours de développement
1970-2010 : les premiers cas de mpox
Le premier cas de mpox en République Centrafricaine (RCA) a été rapporté en 1984 sur l’observation des lésions cutanées typiques. Ce cas impliquait une famille dans le sud-ouest de la RCA, qui avait chassé et consommé un singe ainsi qu'un céphalophe (une sorte de petite antilope) atteint par le virus.
Il faudra attendre 2001 pour que la confirmation virologique de la présence du virus en RCA soit faite à l'Institut Pasteur de Bangui.
Jusqu’à 2010, relativement peu de cas de mpox ont été rapportés en Afrique à l’exception de la République Démocratique du Congo (RDC). « En effet, à partir de 2010, la RDC rapporte plus de 1500 cas par an », rapporte Emmanuel Nakouné, virologue à l’Institut Pasteur de Bangui.
2010-2016 : une relative accalmie des cas mpox
En République Centrafricaine (RCA), les populations locales sont dépendantes de la chasse afin de consommer des protéines animales. Or, progressivement, sur plusieurs décennies, les populations ont eu un accès de plus en plus difficile à cette protéine animale. Le gros gibier est devenu moins fréquent et la chasse des animaux de plus en plus petits s’est développée, y compris la chasse des rongeurs, dont certains sont suspects d'être un réservoir animal de mpox (lire plus loin).
En 2010, la RCA a marqué un tournant en déclarant le mpox comme une maladie à déclaration obligatoire, renforçant ainsi la surveillance de cette pathologie émergente. Cela a permis une meilleure documentation et une réponse plus structurée en cas d’apparition de cas.
A partir de 2012, des troubles sociaux-politiques en RCA ont vu le jour. Ces événements ont poussé les populations à fuir les villages pour se réfugier dans les forêts, dont on peut supposer qu’ils ont créé un environnement propice pour le contact direct avec des animaux potentiellement porteurs du virus du mpox, notamment les petits animaux suspectés. « Malgré la présence sporadique de groupes médicaux tels que Médecins Sans Frontières (MSF), la continuité des soins était difficile à maintenir. MSF m’envoyait régulièrement des collectes de prélèvement pour confirmer le diagnostic », explique Emmanuel Nakouné. Ils ont pu alors observer un lien entre la localisation des populations dans la forêt et leur proximité avec les réservoirs animaux.
Entre 2013 et 2016, une accalmie a été observée avec une moyenne de 5 à 10 cas par an en RCA. En 2013, Emmanuel Nakouné décide de soumettre un projet de recherche (dit ACIP pour Action Concertée Institut Pasteur) pour enquêter sur l’épidémiologie du mpox. Cette enquête rapporte que plus de 50% de la population étudiée possède des anticorps contre les orthopoxvirus. Pour les plus âgés, ces anticorps font suite à la vaccination contre la variole, qui s’est poursuivie jusqu’en 1980. Cela expliquerait pourquoi les épidémies restaient contenues dans les villages.
La plus importante épidémie en RCA de la période a eu lieu en 2016, débutée par la détection tardive d'un cas chez un enfant. Après la visite initiale à un dispensaire, la famille a dû se rendre dans un hôpital régional en utilisant divers moyens de transport, facilitant ainsi la transmission du virus à de multiples contacts, y compris des membres de la famille ainsi que le personnel médical non équipé de protections suffisantes. En tout, 13 personnes ont été contaminées à partir de ce cas initial. Cette épidémie a exposé les failles dans le système de santé local.
Depuis 2017 : une dispersion du virus en Afrique
L'année 2017 a marqué une évolution dans l’épidémiologie du mpox avec des signalements de cas dans des régions jusqu'alors non affectées. Cette dispersion géographique indique une probable extension de l'aire de distribution des réservoirs animaux.
En 2018, une flambée notable au Nigéria a attiré l'attention internationale. En réponse, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a réuni les pays concernés, présentant de façon détaillée la situation de la maladie. Par la suite, l’Institut Pasteur de Bangui a été désigné comme institut de référence pour renforcer la capacité de surveillance en Afrique centrale et de l’Ouest, non seulement en RCA mais aussi dans des pays voisins tels que la République du Congo.
Le mpox (anciennement appelé variole du singe) est une affection virale liée à un virus. Le virus est historiquement présent en Afrique centrale et en Afrique de l’Ouest. Les foyers épidémiques ont longtemps été cantonnés aux zones forestières, proches de l’habitat de son réservoir animal présumé, un rongeur parmi lesquels le loir africain (Graphiurus lorraineus), le rat de Gambie (Cricetomys gambianus), et un écureuil arboricole (Funisciurus anerythrus, voir plus loin). Typiquement, un enfant ou jeune adulte s’infecte au contact de ces animaux chassés pour leur viande, et ramène le virus au sein de la maisonnée. Les membres de la famille s’infecteront au contact du patient initial. “Le mode de transmission se fait avant tout par contact avec les lésions cutanées, qui contiennent des particules virales infectantes, des patients, ou avec des objets contaminés et notamment la literie”, explique Antoine Gessain, virologue à l’Institut Pasteur. Les manifestations cliniques sont une éruption cutanée maculopapulaire, pouvant concerner les plantes des pieds et les paumes des mains, et une atteinte des ganglions lymphatiques.
La létalité est estimée entre 1% et 10% des personnes infectées. Elle dépend de l’âge des patients, les plus jeunes étant plus à risque de formes graves, de la prise en charge médicale (plus compliquée dans les zones reculées) et d’une éventuelle immunodépression (VIH par exemple). Le diagnostic se fait par amplification du génome viral par PCR à partir de prélèvement de lésions cutanées. Le traitement est symptomatique, avec dans les cas sévères réhydratation, renutrition, et traitement antibiotique des surinfections bactériennes des lésions cutanées. Un antiviral spécifique, le tecovirimat, a montré une efficacité chez l’animal et est en cours d’évaluation chez l’être humain. Il existe des vaccins développés contre la variole efficace contre la variole de singe.
Un projet collaboratif pour mieux comprendre la maladie
Le projet Afripox est lancé en 2019 mais est rapidement interrompu en raison de la pandémie de Covid-19. Néanmoins, la pandémie de mpox de 2022 a servi à remobiliser les autorités de santé et la communauté scientifique, menant à la reprise et à la conclusion d'Afripox en 2024 avec de nouvelles découvertes importantes.
Les équipes de l’Institut Pasteur à Paris (Antoine Gessain, Arnaud Fontanet, Jean-Claude Manuguerra et Tamara Giles-Vernick) et de l’Institut Pasteur de Bangui (Emmanuel Nakouné) ont collaboré dans le cadre du projet Afripox financé par l’agence nationale de la recherche. Leurs objectifs étaient multiples :
- Comprendre plus en détail les conditions d’émergence du virus mpox ;
- Décrire de manière plus précise les formes cliniques de la maladie en contexte africain ;
- Identifier les réservoirs animaux et hôtes secondaires du virus ;
- Améliorer les tests diagnostiques utilisables en zone reculée ;
- Comprendre les pratiques des populations locales et leur perception de la maladie.
Les lésions génitales : un symptôme méconnu
Les connaissances sur le profil des manifestations cliniques du mpox a évolué. Depuis 2021, les médecins suivent un protocole précis lors de l’administration du traitement, le tecovirimat. Chaque jour après administration du traitement, ils doivent compter le nombre d’éruptions cutanées. C’est en appliquant ce protocole qu’ils se sont aperçues que dans la grande majorité des cas, les patients ont des lésions cutanées près des organes génitaux. « Cela indique une possible transmission lors d’un rapport sexuel », explique Arnaud Fontanet. « Il s’agit même d’un comportement à risque. Ces lésions pourraient expliquer des transmissions entre parents au sein de la maisonnée », ajoute-il.
Une transition épidémiologique des zones rurales vers les zones urbaines
Historiquement, la maladie était confinée aux environnements ruraux aux abords des forêts (aussi dit environnements péri-forestiers) où les enfants s’infectaient lors de la chasse aux rongeurs dans les forêts. Mais la maladie est de plus en plus souvent retrouvée dans les grandes agglomérations, où la densité de population favorise la propagation, et où le virus circule au sein de communautés à haut risque de transmission par voie sexuelle, et notamment les hommes qui ont des relations sexuelles avec des hommes (HSH), et les professionnel.le.s du sexe. Cette transition a été évidente lors de l’observation de premiers cas en zones urbaines comme au Nigéria et en République Démocratique du Congo (RDC) durant Afripox. De plus, se rajoute le risque d’une exportation du virus à partir des populations urbaines plus à-même de voyager.
Cette propagation interrégionale nécessite une préparation approfondie des structures de santé urbaines pour répondre efficacement à de telles épidémies. Informer les pouvoirs publics et former les soignants à ce sujet est essentiel pour éviter une propagation intercontinentale.
Un écureuil africain, réservoir animal le plus probable
L’équipe d’Alexandre Hassanin au Musée national d’histoire naturelle à Paris et l’équipe EPVO (Antoine Gessain) ont contribué aux recherches de réservoirs du mpox. Ils ont comparé la niche écologique du virus mpox avec les niches écologiques des animaux mammifères africains les plus suspects d’être infectés. A l’aide de ces informations, ils ont pu analyser les chevauchements des niches écologiques par la modélisation et créer des cartes pour découvrir quelle espèce animale serait le probable réservoir du mpox. Les résultats ont montré que l’écureuil du genre Funisciurus anerythrus serait probablement le réservoir du mpox. C’est une espèce que l’on trouve au niveau de la forêt équatoriale de l’Afrique centrale et de l’Ouest.
Une étude anthropologie a été menée par Tamara Giles-Vernick, anthropologue à l’Institut Pasteur, pour interroger les populations sur leurs pratiques de chasse. En effet, ayant effectué sa thèse en RCA il y a 30 ans, elle a déjà pu montrer une évolution des pratiques de chasse. « Il y a 45 ans, les populations chassaient plus facilement les gros gibiers. Les rongeurs n’étaient donc ni consommés ni recherchés. Mais avec les difficultés d'élever les animaux et la diminution d’animaux de grande taille, les populations sont devenues dépendantes des petits animaux de manger des protéines animales. On observe un changement des pratiques de chasse », raconte Tamara Giles-Vernick. « Là où le grand gibier diminue, les rongeurs semblent se reproduire rapidement, de sorte que le profil des animaux dans la forêt a changé ». On observe que la capture et la consommation des écureuils a ainsi augmenté depuis 30 ans.
Cette étude a permis d’observer comment les populations locales interprétaient l’arrivée du mpox. « C’est important de savoir comment les gens vivent les maladies et se les expliquent entre eux. Les populations locales ne savent pas d’où vient le mpox mais l’arrivée des nouvelles maladies comme celle-ci est expliquée comme un déclin politique et économique depuis les années 80. Cependant, si un adulte est touché par le mpox, cela peut être vu comme de la sorcellerie, souvent incriminée pour expliquer les malheurs. Il est donc fondamental d’adapter la communication localement, pour déculpabiliser les gens, s’assurer de la bonne compréhension et adhésions aux messages de santé publique », ajoute Tamara. Par ailleurs, l’appellation même de la maladie diffèrent selon les zones géographiques ce qui nécessiteraient des communications à risque, adaptées à chaque localité.
De nouveaux tests diagnostiques validés en laboratoire
L'introduction de tests rapides sur bandelette validés en laboratoire en 2022 est un espoir pour diagnostiquer la maladie sur le terrain. « Ce test utilise une technologie permettant de prélever les sécrétions des pustules sur des bandelettes et d’affirmer ou non la présence du virus », explique Emmanuel Nakoune. Ces tests en cours d’élaboration seront utilisables dans les zones reculées au pied du lit du patient, facilitant une détection précoce cruciale pour contenir la propagation du virus.
Des méthodes de séquençage en cours de développement
De nouvelles méthodes de séquençage sont en cours de développement à l’aide de technique adaptées à des laboratoires moins équipés. Cette technologie permet de suivre la propagation du virus, détecter rapidement les mutations et adapter les stratégies de réponse. Elle joue un rôle important dans la surveillance globale de la maladie, permettant d'anticiper et de réagir plus efficacement aux flambées épidémiques.
Grace au séquençage de souches virales, il a été montré que les souches qui circulent en RCA sont proches de celle en RDC et les premiers cas porteurs de ces souches seraient apparus en 1945. Puis ces souches se seraient séparées dans les années 1960-1970 suite aux mouvements de population de l’époque. Cela expliquerait la différence de souche entre le sud-ouest et le sud-est de la RCA.
Les perspectives pour éviter les flambées de mpox
Les perspectives incluent le développement de pratiques de surveillance intégrée et un transfert de connaissances aux personnels de santé localement et entre les différentes entités régionales et internationales.
Le projet Afripox, achevé en 2024, a offert de nouvelles pistes de recherche. Un des enjeux importants est le risque de pérennisation de la circulation du MPXV en zone urbaine d’Afrique dans les populations à haut risque de contamination par voie sexuelle. Les tests diagnostiques en cours d’élaboration devraient alors faciliter les enquêtes épidémiologiques (tests sérologiques) et la prise en charge des patients (tests moléculaires au lit du malade). L’identification des populations à haut risque permettra également de guider les autorités sanitaires sur les campagnes de prévention et l’utilisation des vaccins qui sont en cours d’acheminement dans cette région. C’est en partie grâce à cette stratégie ciblée que les pays industrialisés ont pu juguler l’épidémie de 2022.
Les publications scientifiques :
Seasonal Patterns of Mpox Index Cases, Africa, 1970–2021, Emerging Infectious Diseases, mai 2024
A time of decline: An eco-anthropological and ethnohistorical investigation of mpox in the Central African Republic, PLOS Global Public Health, 22 mars 2024
Identifying the Most Probable Mammal Reservoir Hosts for Monkeypox Virus Based on Ecological Niche Comparisons, Viruses, 11 mars 2023
Investigation of a mpox outbreak in Central African Republic, 2021-2022, One Health, 7 mars 2023
Development and Characterization of Recombinase-Based Isothermal Amplification Assays (RPA/RAA) for the Rapid Detection of Monkeypox Virus, Viruses, 23 septembre 2022
Rapid Detection of the Varicella-Zoster Virus Using a Recombinase-Aided Amplification-Lateral Flow System, Diagnostics, 25 novembre 2022
Nanopore sequencing of a monkeypox virus strain isolated from a pustular lesion in the Central African Republic, Scientific Report, 24 juin 2022
National Monkeypox Surveillance, Central African Republic, 2001-2021, Emerging Infectious Diseases, décembre 2022
Genomic history of human monkey pox infections in the Central African Republic between 2001 and 2018, Scientific Report, 22 juin 2021