Comprendre l'autisme
Arthur se balance d’avant en arrière depuis de longues minutes. A ses pieds, un dessin. Le même qu’il a réalisé quelques heures plus tôt, et qu’il reproduit inlassablement. Sa mère l’appelle. Il ne réagit pas, comme s’il n’avait pas entendu. Arthur est « dans son monde ». Il a 5 ans. Il est autiste, comme plus de 100 000 enfants en France, et comme 650 000 personnes, selon certaines estimations, en comptant les adultes. Le syndrome est fréquent : il touche 1 enfant sur 100 à la naissance, et ses manifestations sont très variées, de par la diversité des symptômes et celle du degré de sévérité, si bien qu’on parle désormais de « troubles du spectre autistique ». Certains spécialistes préfèrent d’ailleurs évoquer « les » autismes plutôt que l’autisme.
Premières manifestations entre 0 et 3 ans
Il y a une base commune à ces troubles du spectre autistique : ils apparaissent dans les trois premières années de la vie (et persistent à l’âge adulte) et se manifestent par des difficultés à établir des interactions sociales et à communiquer, ainsi que par des troubles du comportement correspondant à un répertoire d’intérêts et d’activités restreints, stéréotypés et répétitifs. Ils sont presque toujours associés à des difficultés d’apprentissage, et une déficience intellectuelle est observée dans environ un tiers des cas. Enfin, les filles sont 4 à 8 fois moins touchées que les garçons.
Les personnes avec autisme semblent souvent isolées dans une sorte de monde intérieur, et paraissent difficilement accessibles aux autres. Elles n’établissent pas les contacts nécessaires à la construction d’une relation, en particulier les contacts visuels. Elles paraissent même les éviter. Leurs troubles de la communication concernent à la fois le langage et la communication non verbale (gestes, expressions du visage, ton de la voix…).
Les comportements peuvent être répétitifs (balancements du corps, battements des mains, tournoiements…), auto-agressifs (se mordre les mains, se cogner la tête…) ou inappropriés (pleurer ou rire sans raison apparente…). Beaucoup de personnes avec autisme ont des peurs inhabituelles et une intolérance aux changements (de lieux, d’emploi du temps, de vêtements…). Une situation imprévisible peut provoquer chez elles une réaction d’angoisse ou de panique, de colère ou d’agressivité.
Un handicap et des troubles associés
Mais on l’a dit, ce handicap est très variable, de très léger à sévère. Le syndrome d’Asperger, inclus dans les troubles du spectre autistique, est par exemple associé à un très bon développement intellectuel contrairement à beaucoup d’autres cas d’autisme.
Pour compliquer la situation, l’autisme s’accompagne quasiment toujours d’autres troubles comme par exemple des troubles du sommeil, une maladie épileptique, des troubles psychiatriques (trouble anxieux, déficit d’attention et hyperactivité).
Aujourd’hui, certains troubles associés peuvent être partiellement traités mais, jusqu’à ce jour, aucune prise en charge efficace n’existe. Des méthodes éducatives, comportementales et autres permettent d’améliorer certains symptômes, mais cela reste très inégal d’une personne à l’autre. On sait toutefois que la communication non verbale et le langage peuvent s’améliorer pendant la vie entière.
Pour les parents, il est bien connu que trouver une prise en charge ou un centre adapté à son enfant relève toujours du parcours du combattant, sachant que les structures d’accueil spécialisées et appliquant les méthodes comportementales sont insuffisantes.
Ci-dessous : Un panneau d'exposition sur l'autisme à l'occasion du Pasteurdon 2010. © Institut Pasteur
Les causes de l’autisme en question
Face à ce tableau douloureux, où en est la recherche ? Que sait-on de l’origine de l’autisme et que doit-on espérer ?
Depuis sa première description par les pédopsychiatres Léo Kanner en 1943 et Hans Asperger en 1944, on cherche à expliquer les causes de ce syndrome.
Dès les années 70, des études chez les jumeaux ont permis de confirmer une forte contribution génétique aux troubles du spectre autistique. La question posée était : chez les jumeaux, quand l’un est autiste, qu’en est-il pour le deuxième ? Des études montraient alors une concordance pour le trouble de 92% chez les vrais jumeaux (monozygotes) et 10% chez les faux jumeaux (dizygotes). Des études à plus large échelle (impliquant jusqu’à 3000 paires de jumeaux) ont ensuite été menées entre 2005 et 2009 : ces chiffres étaient respectivement de 77-95% et 31%.
Ainsi, l’ensemble de ces études suggère une composante génétique, mais n’informe pas sur le nombre et la nature des gènes en cause. Pour répondre à cette question, des études de génétique moléculaire ont été entreprises.
Des neurones humains en culture
Il est aujourd’hui possible d’étudier au laboratoire les neurones d’une personne sans avoir touché à son cerveau. En effet, on peut désormais les obtenir à partir d’une petite biopsie de peau. La technique, née en 2006, consiste à transformer à l’aide de 3 ou 4 molécules des cellules de la peau, les fibroblastes, en cellules souches puis à les différencier en neurones. Découvrez cette technique de "neurones en culture" qui permet d'étudier les neurones humains, dans la Lettre de l'Institut Pasteur n° 95 (ci-dessous).
Des centaines de gènes découverts
Ces 15 dernières années, avec le développement des techniques de séquençage de l’ADN et la possibilité d’analyser le génome complet, la recherche des gènes intervenant dans l’autisme a été prolifique. Le premier gène clairement associé à des cas d’autisme a été découvert en 2003 à l’Institut Pasteur (voir entretien ci-dessous). Aujourd’hui, plus de 800 gènes impliqués dans des cas d’autisme ont été découverts !
S’il est désormais acquis que des facteurs génétiques jouent un rôle majeur dans la vulnérabilité à l’autisme, la génétique des troubles du spectre autistique est extrêmement complexe, avec des schémas très variés d’une personne à l’autre : dans certains cas, l’altération d’un seul gène peut contribuer à la majorité des symptômes ; dans d’autres, l’architecture génétique est beaucoup plus compliquée et implique probablement plus de 1000 variations génétiques qui individuellement n’ont pas d’effet mais en association vont augmenter le risque d’être autiste. Il y a donc de nombreuses formes génétiques de l’autisme. Par ailleurs, dans 10 à 25% des cas (surtout chez les individus avec autisme et déficience intellectuelle), les défauts génétiques ne sont pas hérités mais sont apparus « de novo ».
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Votre équipe a découvert les premiers gènes associés à l’autisme. Où en êtes-vous ?
Nous avons en effet découvert en 2003 un premier gène lié à des cas d’autisme, une neuroligine, puis en 2007, un autre gène, SHANK3, chez d’autres patients. Nous avons depuis caractérisé plusieurs gènes et poursuivons la recherche génétique chez les personnes avec autisme, grâce à une collaboration quotidienne avec des cliniciens en France, comme Richard Delorme (chef du service de pédopsychiatrie à l’Hôpital Robert Debré à Paris) et Marion Leboyer (directrice de la fondation FondaMental à Créteil), et en Suède avec Christopher Gillberg (directeur du Gillberg Clinical Centre). Nos méthodes ont évolué, car nous travaillons désormais au sein de consortiums pour pouvoir étudier un plus grand nombre de patients, comme EU-AIMS, le plus grand consortium européen sur l’autisme, dont je suis l’investigateur principal pour le volet génétique. Nous utilisons aussi des techniques plus puissantes, par exemple le séquençage complet des génomes. Mais trouver des gènes associés à l’autisme n’est pas tout. Il faut comprendre à quoi ils servent.
Quelles sont justement les connaissances actuelles sur le rôle de ces gènes ?
Dès 2003, avec la découverte des neurologines, a été évoquée la « voie des synapses », qui sont les points de contacts entre les neurones, et cette hypothèse se confirme. Les neuroligines codent des protéines d’adhérence au niveau des synapses. La majorité des gènes connus semblent être impliquée soit directement soit indirectement dans la fonction des synapses, donc dans les connexions entre les neurones. Là encore, on voit des différences selon les formes d’autisme, certains ont probablement trop de synapses, d’autres pas assez.
Votre laboratoire participe aux études sur la fonction de ces gènes ?
Absolument. C’est le deuxième volet de nos recherches : comprendre le rôle biologique des gènes associés à l’autisme. Nous étudions par exemple le cerveau des autistes, grâce à l’imagerie, en fonction de leur profil génétique, et menons des études sur différents modèles expérimentaux, comme des modèles cellulaires qui consistent à étudier des neurones de patients en culture. Nous voulons comprendre très finement les défauts biologiques présents chez les patients : il faut pouvoir observer des anomalies si on veut essayer de les corriger.
Peut-on espérer des traitements pour l’autisme ?
Nous avons récemment participé à une étude de criblage moléculaire, qui consistait à tester des molécules sur des neurones issus de patients ayant une mutation sur le gène SHANK3 : 205 molécules - des médicaments déjà utilisés pour d’autres pathologies - ont été évaluées une à une ; deux d’entre elle ont augmenté l’expression du gène, c’est-à-dire rétabli, au moins partiellement, l’anomalie. On commence donc à avoir des pistes thérapeutiques. Mais l’enjeu est complexe dans la mesure où chaque personne avec autisme est presque un cas particulier, et qu’une molécule qui marchera pour l’un sera inefficace pour l’autre. Il faudra parvenir à avoir une batterie de molécules, plusieurs thérapies. On pourra alors analyser le génome du patient pour savoir quel type d’autisme est en cause et donc quel médicament doit être administré. Je pense que l’on pourra améliorer beaucoup de choses avec la pharmacologie. Pour autant, il n’y aura pas de molécule miracle, avec un enfant qui récupère 25 point de QI seulement avec un médicament. Et il faudra probablement que les traitements pharmacologiques soient jumelés à des thérapies comportementales ou à d’autres prises en charge. D’ici là, il nous reste beaucoup de choses à comprendre. Mais je suis persuadé que la recherche en biologie est nécessaire pour améliorer la qualité de vie des patients et de leurs familles, et qu’elle y parviendra.
*L'équipe de Thomas Bourgeron regroupe près d’une trentaine de chercheurs experts dans différentes disciplines : génétique, psychiatrie, neurobiologie cellulaire, bioinformatique, neuroimagerie, sciences sociales, etc.
L’espoir de futurs traitements
Il reste sans doute de nombreux gènes impliqués dans l’autisme à découvrir, et les chercheurs intègrent aujourd’hui de grands consortiums (groupements de nombreux laboratoires) pour pouvoir étudier un grand nombre de patients, condition indispensable à la réussite de leur recherche.
Mais il reste surtout à comprendre à quoi servent ces gènes. Aujourd’hui, si les gènes de risque sont nombreux, ils semblent intervenir dans un nombre limité de voies biologiques. Beaucoup d’entre eux sont impliqués dans la connectivité du cerveau notamment au niveau des points de contact entre les neurones (synapses). Comprendre le rôle précis de ces gènes, et des protéines qu’ils codent, ouvre la voie à la découverte de pistes thérapeutiques. D’autant que des résultats récents dans des modèles expérimentaux ont montré que les symptômes autistiques pourraient être réversibles. Les chercheurs ont désormais de sérieux espoirs de voir à l’avenir leurs avancées déboucher sur des traitements de l’autisme.
Cerveau : quelles différences?
La forme ou le fonctionnement du cerveau diffèrent-ils entre des personnes autistes et non autistes, ou bien entre des enfants atteints d’autisme très sévère, avec déficience intellectuelle, et d’autres ayant des symptômes beaucoup plus légers ? « Des études par le passé ont montré des différences, mais elles se basaient sur 20 ou 30 personnes, bien trop peu, et ces résultats se sont révélés faux » explique Roberto Toro, chercheur dans l’Unité de Génétique humaine et fonctions cognitives à l’Institut Pasteur. Spécialiste de la neuroimagerie de l’autisme, il analyse les images de cerveaux obtenues par IRM (imagerie par résonnance magnétique). « Pour mettre en évidence des différences, il nous faut observer ce qui se passe chez un très grand nombre de personnes. Pour cela, nous ne pouvons travailler seuls, nous devons nous grouper en consortiums, partager les données. »
L’unité de l’Institut Pasteur collabore ainsi avec l’hôpital Robert Debré - qui dispose d’informations sur des centaines de personnes avec autisme et sur des groupes de personnes sans autisme, avec, pour chacun, des données génétiques, biochimiques, de l’imagerie cérébrale et les résultats des tests cognitifs -, mais aussi avec un consortium européen, EU-AIMS, regroupant des données sur plus de 600 sujets et avec le consortium ABIDE, qui rassemble les images du cerveau de plus de 2000 personnes. « Depuis le début de notre étude en 2008, nous avons analysé des milliers d’IRM », précise Roberto Toro. « Nous utilisons les données génétiques comme un guide : nous essayons de détecter les traits neuroanatomiques dont les changements sont contrôlés par les gènes qui déterminent le risque à l’autisme. Ceci pourrait nous informer sur les systèmes cérébraux qui permettraient une résistance à l’autisme, chez les femmes par exemple, beaucoup moins touchées que les hommes, ou chez certaines personnes qui devraient – génétiquement - être autistes et ne le sont pas : ce peut être une clé pour trouver des solutions thérapeutiques. Aujourd’hui, nous avons la puissance statistique pour avancer de manière plus productive dans nos analyses ».
Depuis quelques mois, un autre chercheur du laboratoire, Guillaume Dumas, a de plus entrepris l’analyse de plus d’une centaine d’électroencéphalogrammes (mesurant l’activité électrique du cerveau) obtenus chez des patients : un moyen d’investigation supplémentaire pour tenter de comprendre le cerveau en action chez les personnes avec autisme.
Des applications web pour aider les autistes et leurs familles
C’est d’une discussion entre des chercheurs de l’Unité de Génétique humaine et fonctions cognitives et un parent d’autiste, à l’issue d’une journée d’information pour les familles organisée à l’Institut Pasteur, qu’est née l’idée de concevoir des applications web pour aider les autistes et leur entourage. « Nos recherches en biologie sont longues et il faut généralement du temps pour obtenir des résultats », explique le chercheur Roberto Toro. « Là, notre idée était de rendre service très rapidement aux patients et à leurs familles. Par solidarité. » Les chercheurs de l’Institut Pasteur se sont donc adressés à une école d’informatique, l’Ecole 42, qui a accueilli l’idée avec enthousiasme. Une quinzaine de ses étudiants a planché sur le projet « Interact » qui comprend un site internet (hébergé à l’Institut Pasteur) et trois applications. Ces jeunes développeurs ont travaillé pendant plus de 6 mois, nourris d’échanges intenses avec les chercheurs, des cliniciens, des spécialistes de la prise en charge de l’autisme, des parents d’enfants autistes mais aussi des designers ou des économistes de la santé. La « version 1 » de leurs produits était présentée en juillet dernier : le site internet avec un arbre des connaissances, une aide au parcours des familles, une carte de France interactive répertoriant les centres de prise en charge de l’autisme, etc. et les applications Ma voix, Mon quotidien et Ma nuit. Ma voix permet à l’enfant autiste de choisir et montrer des images sur une tablette pour communiquer, et restitue des statistiques utiles aux parents pour le suivi de leur enfant. Mon quotidien sert à quantifier les comportements de l’enfant autiste; l’application, qui peut être partagée par l’ensemble des personnes qui entourent l’enfant, permet d’évaluer son évolution et d’adapter sa prise en charge. Enfin, Ma nuit est destinée aux enfants autistes atteints de troubles du sommeil (3 sur 4) : le téléphone, application lancée, est posé au coin du lit, et capture les mouvements pendant le sommeil, donc les phases du sommeil ; rythme du sommeil, agitation, temps d’endormissement, peuvent ainsi être enregistrés.
Toutes les données recueillies par ces applications peuvent aussi être utiles aux chercheurs et partagées avec eux si les utilisateurs le souhaitent. Les données partageables (non nominatives) seront stockées à l’Institut Pasteur, et accessibles à tous.