Face à l’immense complexité de l’organisation du cerveau, Jean-Pierre Changeux, neurobiologiste, propose une nouvelle approche de recherche, qui permet de comprendre l’autisme de façon plus globale. Cette stratégie, qu’il propose dans un journal transdisciplinaire allant de la neuroscience aux sciences sociales (Trends in Cognitive Sciences), englobe plusieurs niveaux de connaissance de la maladie : les gènes impliqués, leur expression, la formation de synapses, et la connectivité entre neurones éloignés dans le cerveau (connectivité dite « longue distance »). En effet, cette connectivité particulière serait intimement liée à la capacité à entretenir des relations sociales avec autrui. Le chercheur tente ainsi de comprendre comment relier les gènes à la conscience sociale. Explications.
Avec le travail pionnier de Thomas Bourgeron et son équipe à l’Institut Pasteur sur les gènes synaptiques, on dénombre près de 400 gènes de prédisposition à l’autisme et, pourtant, chez les enfants qui en sont atteints, un comportement principal est altéré : la relation sociale. C’est une des caractéristiques principales de l’autisme. « Cela pose des questions au plan médical et au plan de la recherche fondamentale, explique Jean-Pierre Changeux, neurobiologiste, chercheur émérite du département de Neuroscience de l’Institut Pasteur. Du fait de ces composantes génétiques, on est parfois tenté à penser que les fonctions du cerveau sont intégralement innées. Et, en même temps, nous savons que le génome humain compte finalement peu de gènes [20 000 à 25 000 gènes], une centaine de milliards de neurones, pour des millions de milliards de synapses… » La génétique ne fait donc pas tout, l’environnement (épigénétique : ce qui s’ajoute aux gènes) influe sur l’expression des gènes : « Quand on regarde un bébé dans les yeux pendant une seconde environ, 10 millions de synapses se créent ! Et elles sont susceptibles d’être modifiées par l’expérience et divers facteurs. »
On sait que le cerveau est un organe dynamique, qui interagit avec son environnement interne et externe. Pourtant, les travaux de recherche qui visent à faire progresser la compréhension du cerveau humain et de ses fonctions, en utilisant principalement les technologies de l’information (données expérimentales provenant d’enregistrements comportementaux, d’imagerie cérébrale…), font peu référence au niveau moléculaire, si essentiel pour comprendre le mode d’action et pour la conception de médicaments. Les travaux de recherche se heurtent à la difficulté de décrire la complexité d’organisation du cerveau et son évolution.
« Il est nécessaire d’intégrer les nombreux concepts et les données disponibles très disparates dans un cadre unifié, pour comprendre les fonctions supérieures du cerveau », analyse Jean-Pierre Changeux.
Une vision unifiée de la recherche sur l'autisme
Dans sa publication récente, le chercheur propose une conception délibérément simplificatrice sur l’autisme. L’autisme serait, selon lui, « principalement lié à un déficit de connectivité entre neurones éloignés dans le cerveau [connectivité longue distance]. Cette connectivité particulière influerait, à un stade critique du développement, sur le comportement social de l’enfant. » Elle s’acquiert au cours du développement du cerveau qui, chez l’enfant, s’étale sur près de 15 ans, depuis la période embryonnaire à l’adolescence.
Fort de ce constat, et compte-tenu de l’immense variabilité des troubles autistiques chez les enfants qui en sont atteints, Jean-Pierre Changeux propose une nouvelle approche pour comprendre la maladie. Son hypothèse est d’englober plusieurs niveaux d’études qui sont aujourd’hui souvent envisagés séparément par les neuroscientifiques :
- les gènes,
- les facteurs de transcription (régulation de l’expression de gènes),
- l’action épigénétique de l’activité nerveuse (interne et sous influence de l’environnement) sur la formation de synapses,
- la connectivité longue distance entre neurones (comportement social de l’enfant).
« Ces quatre niveaux d’organisation structurale sont comme imbriqués et inter-régulés, au cours de l’évolution et du développement du cerveau. Ils contribuent à relier les gènes à la conscience de manière progressive. »
Pour mieux comprendre la dynamique cérébrale
Mais que change cette vision unifiée proposée par le neurobiologiste ? « C’est un moyen d’échapper à une tentation trop réductrice, reprend Jean-Pierre Changeux. Les troubles de l’enfant ne se résument pas aux gènes qui sont altérés. On sait par exemple que les thérapies comportementales peuvent avoir un effet sur l’enfant. » Bien entendu, la génétique reste un élément important dans l’autisme et « on peut imaginer que des médicaments soient développés pour cibler les facteurs de transcription qu’ils engagent. »
La voie est aussi ouverte à de nouvelles approches de modélisation informatique qui intègrent la dynamique de développement du cerveau.
Toutes ces pistes de recherche se basent, à titre provisoire, sur quatre niveaux d’organisation cérébrale (gènes, facteurs de transcription, épigénétique, connectivité longue distance), explorés par Jean-Pierre Changeux, mais « d’autres pourraient être nécessaires, indique-t-il. Car cette réflexion qui reste à débattre et à être mise à l’épreuve de l’expérience. »
Source
Climbing brain levels of organization from genes to consciousness, Trends in Cognitive Sciences, 3 février 2017.
Jean-Pierre Changeux1
1: Collège de France, CNRS UMR 3571, et Institut Pasteur, Département de Neuroscience, F-75015 Paris, France.