Autisme : une rencontre exceptionnelle à l'Institut Pasteur
Samedi 30 mars, près de 550 personnes se sont retrouvées à l’Institut Pasteur pour une journée consacrée aux avancées de la recherche sur l’autisme et le spectre des troubles qui lui sont associés, recherche menée par l'Institut Pasteur et l'hôpital Robert-Debré. Cette rencontre exceptionnelle a été l’occasion de présenter « Autisme Info Service », le premier dispositif gratuit et national d’écoute et d’information sur le sujet, mis en place en avril 2019. Et de connaître les premiers points d’avancement de la stratégie nationale de l’autisme, un an après son lancement.
Cette journée, organisée à l’initiative de Thomas Bourgeron, chef de l’unité Génétique humaine et fonctions cognitives à l’Institut Pasteur et de son équipe, a été l’occasion de mettre en lumière les dernières avancées de la recherche menée sur l’autisme et ses troubles associés (lire notre fiche maladie).
Les derniers travaux et découvertes sur l’autisme issus des interactions entre les chercheurs de l’Institut Pasteur, les pédopsychiatres de l’hôpital Robert-Debré, et plus largement les partenaires français et européens ont été exposés. Surtout, c’est l’importance de la génétique, la nécessité d’un diagnostic précis et précoce et la complexité des traitements du fait de la grande diversité des profils des personnes avec autisme qui ont été évoquées.
Cet événement de grande envergure a aussi été l’occasion pour le grand public et notamment pour les patients et leurs familles, de rencontrer des chercheurs et des cliniciens intervenant à différents niveaux dans la compréhension et la lutte contre ce trouble qu’est l’autisme.
Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles neuro-développementaux nous a fait l'honneur de sa présence. Elle a profité de cette rencontre pour présenter les cinq engagements de la stratégie nationale pour l’autisme sur la période 2018-2022 (voir encadré plus bas).
Lancement de la plateforme « Autisme info service »
A l’occasion de la journée mondiale de l’autisme le 2 avril, la plateforme « Autisme Info Service », premier dispositif gratuit et national d’écoute et d’information sur l’autisme sera accessible le même jour, gratuitement au grand public. Samuel Le Bihan et Florent Chapel, vice-président de la Fondation Autisme, tous deux parents d’enfants autistes, sont venus présenter les objectifs principaux de cette plateforme. « Nous avons réalisé qu’il y avait un grand besoin des familles à avoir des réponses », a souligné Samuel Le Bihan, présent à l’événement. « C’est pourquoi nous avons imaginé cette plateforme au service de tous ». Comme le précise Florent Chapel, un récent sondage réalisé par Occurence pour le compte de l'association (réalisé auprès de 2203 patients ou aidants), a montré que :
- 80% des personnes ont besoin d’écoute ;
- 93% des personnes ont besoin d’informations ;
- 97% des personnes ont besoin de conseils.
L’objectif principal de cet espace dédié aux personnes avec autisme et leur entourage est d’informer sur le dépistage, le diagnostic, les loisirs mais aussi d’orienter les personnes sur les démarches administratives et les professionnels intervenant à leurs côtés. Pour cela, plusieurs outils sont disponibles :
- un système d’écoute par téléphone, par chat et par mail ;
- un système d’informations avec des ressources, des actualités et un annuaire.
La plateforme « Autisme info service » bénéficie également de l’appui d’un conseil scientifique :
- Marion Leboyer, psychiatre, responsable du pôle de psychiatrie et d’addictologie du Centre hospitalier universitaire Henri-Mondor et responsable du laboratoire de Psychiatrie translationnelle (Inserm U955) ;
- Thomas Bourgeron, professeur à l’université Paris-Diderot, chef de l’unité Génétique humaine et fonctions cognitives à l’Institut Pasteur ;
- Richard Delorme, chef du service de Psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital Robert-Debré.
Les membres de ce conseil scientifique étaient tous présents lors de cette journée organisée à l’Institut Pasteur, et ont chacun présenté leurs travaux et ceux de leurs équipes.
L’Institut Pasteur et l’Hôpital Robert Debré : un effort de recherche translationnelle
L’Institut Pasteur et l’Hôpital Robert-Debré ont présenté, lors de cette journée, leurs travaux de recherche menés de concert et destinés à mieux comprendre le fonctionnement du cerveau et les troubles neurodéveloppementaux. Portés par Thomas Bourgeron, chef de l’unité de recherche Génétique humaine et fonctions cognitives et Richard Delorme, chef du service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent à l’hôpital universitaire Robert-Debré, plusieurs projets multidisciplinaires ont été engagés en étroite collaboration, dont voici ci-dessous quelques exemples.
LA GENETIQUE DE L’AUTISME
L’unité de recherche Génétique humaine et fonctions cognitives à l’Institut Pasteur a été la première à confirmer la piste génétique de l’autisme en identifiant, en 2003, des mutations localisées dans les gènes NLGN3 et NLGN4X. Ces derniers participent au fonctionnement des synapses, qui sont les points de contact entre les neurones, cellules responsables du traitement de l’information par le cerveau. Par la suite, cette même équipe a mis en évidence plusieurs autres gènes impliqués dans l’autisme, comme SHANK1, SHANK2, SHANK3, et NRXN1, qui jouent également un rôle dans la communication entre neurones. Aujourd’hui, plus de 500 gènes ont été associés avec l’autisme.
Parallèlement à ces travaux, l’unité :
- travaille sur les mécanismes génétiques à l’origine d’une baisse importante en mélatonine (troubles du sommeil présents chez plus de la moitié des personnes avec autisme),
- cherche de nouveaux gènes associés à l’autisme,
- cherche à comprendre pourquoi certains individus sont résilients, c’est-à-dire qu’ils n’ont pas (ou peu) de symptômes autistiques, alors qu’ils sont porteurs de mutations connues pour être impliquées dans l’autisme),
- étudie les régions non-codantes qui composent 98% du génome (fonction telle que la régulation),
- explore l’impact des mutations génétiques sur le développement et le fonctionnement du cerveau en utilisant l’imagerie cérébrale et les modèles animaux.
En 2008 et 2012, les premiers modèles de souris porteuses de mutations dans les gènes synaptiques NLGN4 et SHANK2, qui sont associées à l’autisme, ont été établis. Ces souris ont des anomalies des interactions sociales et de la vocalisation ultrasonique ; elles représentent de bons modèles pour l’autisme et sont actuellement étudiées à l’Institut Pasteur et par de nombreuses équipes dans le monde.
Au sein de l’hôpital universitaire Robert Debré (AP-HP), le Centre de Diagnostic et d’Évaluation de l’Autisme (CDEA) permet l’évaluation diagnostique et l’orientation thérapeutique des enfants. Il s’inscrit plus largement dans un réseau régional (il existe 8 CDEA en Ile de France) et national (les centres ressources autisme) dédié spécifiquement à l’autisme.
L’évaluation des patients comporte un diagnostic standardisé du TSA (évaluation clinique, et entretien standardisé avec la famille, ADI [Autism Diagnostic Interview-Revised Rutter 2003], ADOS-2 [Autism Diagnostic Observation Schedule version2, Lord 2012]), des troubles associés, une évaluation cognitive ou développementale (échelles de Wechsler, Mullen Scale of Early Learning, matrices de Raven selon l’âge et les capacités de la personne), une évaluation orthophonique et psychomotrice ainsi qu’un recueil des antécédents médicaux et psychiatriques personnels et familiaux, et des examens complémentaires systématiques (bilan biologique et génétique, imagerie cérébrale : EEG et IRM).
Plusieurs projets sont en cours pour mieux comprendre :
- la récurrence de l’autisme ;
- les premiers signes de l’autisme chez les tout-petits ;
- les liens avec les troubles de la sensorialité (hyper ou hyporéactivité à différents stimuli sensoriels, synesthésie, etc.).
Les apparentés du premier et deuxième degré sont également, s’ils le souhaitent, évalués dans le même service (antécédents médicaux, psychiatriques, entretien clinique de recherche, évaluation cognitive) afin de mieux comprendre la transmission des gènes associés à l’autisme au sein des familles (projet familles multiplexes).
L'exploration de l'activité cérébrale
Les enregistrements en IRM et en EEG permettent de répondre à la question « quand et où » se déroulent les étapes du traitement de l’information dans le cerveau, afin de mieux comprendre les différences de traitement cérébral entre les personnes avec autisme et les personnes neurotypiques.
La plateforme SoNeTAA (Social Neuroscience for Therapeutic Approaches in Autism), mise en place par un chercheur de l’unité de recherche Génétique humaine et fonctions cognitives de l’Institut pasteur (Guillaume Dumas) et une psychiatre de l’hôpital Robert Debré (Aline Lefebvre), vise à combler le fossé entre les méthodes récemment développées pour les neurosciences sociales et les pratiques cliniques en psychiatrie. En effet, cette plateforme permet les premiers enregistrements à l’hôpital de l’activité cérébrale dans un contexte d’interactions sociales entre deux personnes, ou entre une personne et une machine.
Les patients de l’hôpital Robert Debré bénéficient de ces enregistrements à l’hôpital et les données récoltées sont alors disponibles pour l’unité de recherche. La plateforme SoNeTAA fait ainsi partie intégrante du service de psychiatrie au sein de l’hôpital Robert Debré.
Des protocoles thérapeutiques médicamenteux, avec de l’Arbaclofen notamment dans le cadre des essais cliniques du projet EU-AIMS-2 (voir encadré ci-dessous), sont en train d’être mis en place. Dans ce contexte, l’EEG et l’IRM permettent d’évaluer s’il y a des modifications de l’activité cérébrale au cours d’un protocole thérapeutique médicamenteux, et d’étudier si de telles modifications s’accompagnent d’une évolution de l’état clinique du patient. Les protocoles thérapeutiques médicamenteux visent également à découvrir des marqueurs prédictifs de réponse à une stratégie thérapeutique afin d’ajuster, à terme, les prescriptions à chaque individu.
Les explorations génétiques
L’unité de cytogénétique de l’hôpital Robert Debré se positionne à l’interface entre le service de psychiatrie du Pr Richard Delorme et l’unité de recherche du Pr Thomas Bourgeron.
Le Dr Anne Claude Tabet participe à la fois au recrutement des patients et au retour aux familles des résultats des analyses génétiques. Grâce à l’évolution rapide des techniques de génotypage et séquençage, on assiste à une accélération des progrès dans le diagnostic des causes génétiques des TSA. Actuellement, les méthodes de séquençage d’un panel de gènes impliqués dans les maladies neurodéveloppementales, couplées à des analyses par puces à ADN de haute résolution, permettent d’établir des diagnostics génétiques fiables pour 5-10% des personnes avec autisme. Ce chiffre est augmenté, avec plus de 20% de diagnostic génétique fiable, lorsque la personne présente une déficience intellectuelle. Le séquençage très haut débit de l’ensemble du génome est actuellement réservé à la recherche mais pourrait passer dans l’exploration clinique dans les années à venir.
L’Institut Pasteur est également impliqué dans un consortium Européen, AIMS-2-TRIALS, regroupant 14 pays, des experts de l’autisme spécialisés en neurosciences, en clinique, et l’Institut Pasteur qui apporte l’expertise génétique. Grâce à l’ampleur de ce projet, le consortium suit des milliers de patients pendant plusieurs années. AIMS-2-TRIALS devrait permettre d’identifier des sous-groupes de patients, pour l’établissement d’une médecine de précision.
La rencontre exceptionnelle du 30 mars à l’Institut Pasteur a bénéficié de la présence de Claire Compagnon, déléguée interministérielle à la stratégie nationale pour l’autisme au sein des troubles neuro-développementaux. Elle a notamment rappelé, en insistant sur le retard historique de notre pays dans sa politique de l’autisme, la volonté du gouvernement de prendre en compte toutes les différences et la diversité des expériences vécues par les personnes autistes, leurs familles et les acteurs professionnels.
Cette stratégie porte sur l’ensemble du parcours de vie des personnes, de la toute petite enfance à l’âge adulte. Elle peut être résumée par cinq engagements :
- remettre la science et la recherche au cœur de notre politique publique ;
- permettre une intervention précoce auprès des enfants ;
- rattraper le retard en matière de déscolarisation des enfants autistes ;
- apporter un réel soutien aux adultes ;
- répondre aux besoins de soutien des familles et reconnaître leur expertise.