Quels sont les facteurs qui peuvent faciliter l’émergence d’un virus jusque-là inconnu dans la population humaine ? Des chercheurs du CNRS, de l’Institut Pasteur et de l’IRD, en collaboration avec le Réseau International des Instituts Pasteur et de nombreuses autres institutions à travers le monde, ont apporté un élément de réponse concernant le virus Zika. Cette étude éclaire les disparités régionales et continentales des épidémies de Zika, expliquant notamment les raisons de l’absence d’épidémie majeure en Afrique.
Le virus Zika s’est répandu à travers la planète au cours de la dernière décennie, causant des millions d’infections dont certaines sont associées à des malformations congénitales et des troubles neurologiques (lire la fiche maladie Zika de l’Institut Pasteur).
Les chercheurs du CNRS, de l’Institut Pasteur (Paris), du Réseau International des Instituts Pasteur, ainsi que de l’IRD* se sont intéressés au vecteur principal du virus Zika, le moustique Aedes aegypti. Il y a entre 5 000 et 10 000 ans, cette espèce de moustique originaire d’Afrique a donné naissance à une sous-espèce adaptée à l’homme qui s’est répandue sur d’autres continents au cours des derniers siècles.
Aedes aegypti, moustique discret mais redoutable
Saviez-vous que pas moins de 3 546 espèces de moustiques existent sur Terre ? Une centaine seulement pique l’homme. Et parmi elles, deux espèces, Aedes aegypti et son alter ego Aedes albopictus (ou moustique tigre), se distinguent par leur capacité à véhiculer des arbovirus, responsable de maladies comme la fièvre jaune, la dengue, le chikungunya et la maladie à virus Zika, qui tuent environ 60 000 personnes chaque année. Plus discrets que leurs cousins les anophèles, vecteurs du paludisme (435 000 morts en 2015), les moustiques du genre Aedes n’en sont pas moins inquiétants et sont dorénavant présents un peu partout dans le monde, y compris sur le territoire français (Aedes albopictus en métropole et Aedes aegypti dans les territoires et départements d’Outre-Mer du continent américain).
La sous-espèce invasive d’Aedes aegypti, répandue hors d’Afrique, est nettement plus permissive au virus Zika
Jusqu’à ce jour, on pensait que la sous-espèce invasive d’Ae. aegypti était devenue un redoutable vecteur de virus (comme par exemple ceux de la fièvre jaune et de la dengue) surtout à cause de sa préférence marquée pour le sang humain.
En comparant expérimentalement des populations sauvages d’Ae. aegypti provenant de diverses régions du globe, les chercheurs se sont aperçus que la sous-espèce invasive était par ailleurs nettement plus permissive au virus Zika que la sous-espèce native en Afrique.
Une explication à l’absence d’épidémie majeure de Zika en Afrique
L’une des clés de la découverte des scientifiques a été d’examiner des populations « hybrides » entre les deux sous-espèces qui existent naturellement en Afrique de l’Ouest, et qui ont montré une sensibilité intermédiaire au virus Zika. Ainsi, l’efficacité de la sous-espèce invasive du moustique Ae. aegypti à transmettre le virus Zika n’est pas seulement due à la fréquence de ses contacts avec l’homme lors des repas sanguins, mais également à sa sensibilité accrue à l’infection par le virus Zika, par rapport à la sous-espèce africaine.
Ceci apporte en outre une explication à l’absence d’épidémie majeure du virus Zika en Afrique, où la sous-espèce native d’Ae. aegypti est moins apte à transporter le virus. Ces résultats éclairent d’une lumière nouvelle l’émergence du virus Zika et les disparités régionales et continentales de son impact sur la santé publique.
* The researchers hail from the Evolutionary Genomics, Modeling, and Health unit (CNRS / Institut Pasteur), MIGEVEC (CNRS / IRD / University of Montpellier), the Mouse Genetics Laboratory (Institut Pasteur), the Pasteur Institutes of French Guiana, Guadeloupe, Cambodia and Dakar, the QIMR Berghofer Medical Research Institute (Australia), the Princeton University (USA), the Fundación Universidad del Norte (Colombia), the Centre Interdisciplinaire de Recherches Médicales de Franceville (Gabon), the Uganda Virus Research Institute (Uganda), the MRC-University of Glasgow Centre for Virus Research (UK), the Armed Forces Research Institute of Medical Sciences (Thailand), the Université Cheikh Anta Diop (Senegal), the Kenya Medical Research Institute (Kenya), the Centers for Disease Control and Prevention (USA), the Institut Louis Malardé (French Polynesia), and the Walter Reed Army Institute of Research (USA).
Source
Enhanced Zika virus susceptibility of globally invasive Aedes aegypti populations, Science, 20 nov. 2020
Fabien Aubry1, Stéphanie Dabo1, Caroline Manet2, Igor Filipović3, Noah H. Rose4,5, Elliott F. Miot1,6, Daria Martynow1, Artem Baidaliuk1,6, Sarah H. Merkling1, Laura B. Dickson1, Anna B. Crist1, Victor O. Anyango1, Claudia M. Romero-Vivas7, A 5 nubis Vega-Rúa8, Isabelle Dusfour9, Davy Jiolle10,11, Christophe Paupy10,11, Martin N. Mayanja12, Julius J. Lutwama12, Alain Kohl13, Veasna Duong14, Alongkot Ponlawat15, Massamba Sylla16, Jewelna Akorli17, Sampson Otoo17, Joel Lutomiah18, Rosemary Sang18, John-Paul Mutebi19, Van-Mai Cao-Lormeau20, Richard G. Jarman21, Cheikh T. Diagne22, Oumar Faye22, Ousmane Faye22, Amadou10 A. Sall22, Carolyn S. McBride4,5, Xavier Montagutelli2, Gordana Rašić3, Louis Lambrechts1*
1. Insect-Virus Interactions Unit, Institut Pasteur, CNRS UMR2000, Paris, France
2. Mouse Genetics Laboratory, Institut Pasteur, Paris, France 15
3. Mosquito Control Laboratory, QIMR Berghofer Medical Research Institute, Brisbane, Australia
4. Department of Ecology & Evolutionary Biology, Princeton University, Princeton, New Jersey, United States of America
5. Princeton Neuroscience Institute, Princeton University, Princeton, New Jersey, United States of America
6. Collège doctoral, Sorbonne Université, Paris, France
7. Laboratorio de Enfermedades Tropicales, Departamento de Medicina, Fundación Universidad del Norte, Barranquilla, Colombia
8. Institut Pasteur de la Guadeloupe, Laboratory of Vector Control Research, Transmission Reservoir and Pathogens Diversity Unit, Morne Jolivière, Guadeloupe, France
9. Vector Control and Adaptation, Institut Pasteur de la Guyane, Vectopole Amazonien Emile Abonnenc, Cayenne, French Guiana
10. MIVEGEC, Montpellier University, IRD, CNRS, Montpellier, France
11. Centre Interdisciplinaire de Recherches Médicales de Franceville, Franceville, Gabon
12. Department of Arbovirology, Uganda Virus Research Institute, Entebbe, Uganda
13. MRC-University of Glasgow Centre for Virus Research, Glasgow, United Kingdom
14. Virology Unit, Institut Pasteur du Cambodge, Phnom Penh, Cambodia
15. Department of Entomology, Armed Forces Research Institute of Medical Sciences, Bangkok, Thailand
16. Unité d’Entomologie, de Bactériologie, de Virologie, Département de Biologie Animale, Faculté des Sciences et Techniques, Université Cheikh Anta Diop, Dakar, Sénégal
17. Department of Parasitology, Noguchi Memorial Institute for Medical Research, University of Ghana, Accra, Ghana
18. Arbovirus/Viral Hemorrhagic Fevers Laboratory, Center for Virus Research, Kenya Medical Research Institute, Nairobi, Kenya
19. Centers for Disease Control and Prevention, Fort Collins, Colorado, United States of America
20. Institut Louis Malardé, Papeete, Tahiti, French Polynesia
21. Viral Diseases Branch, Walter Reed Army Institute of Research, Silver Spring, Maryland, United States of America
22. Institut Pasteur Dakar, Arbovirus and Viral Hemorrhagic Fevers Unit, Senegal
Cette étude entre dans le cadre de l’axe scientifique prioritaire Maladies infectieuses émergentes du plan stratégique 2019-2023 de l’Institut Pasteur.
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