Les infections cérébrales sont des maladies dévastatrices, accompagnées d’une mortalité élevée ou de séquelles neurologiques graves chez les survivants. Elles peuvent être causées par une variété de microorganismes pathogènes, bactéries, champignons ou virus. Une caractéristique commune à ces pathogènes est leur capacité à traverser une barrière protectrice majeure du cerveau, la barrière hémato-encéphalique. Des chercheurs de l’Institut Pasteur (Paris) et de l’Institut Pasteur Hellénique (Athènes) ont développé un nouveau modèle d’infection pour comprendre les mécanismes permettant à ces pathogènes neurotropes de passer du sang au cerveau.
La barrière hémato-encéphalique correspond aux parois de tous les vaisseaux sanguins qui irriguent le cerveau. Cette paroi a des propriétés filtrantes particulières, qui lui permettent de réguler ce qui peut entrer dans le cerveau. Ce rôle est à double tranchant, permettant de protéger le cerveau de facteurs nocifs, mais empêchant également l’entrée de molécules à visée thérapeutique.
Billel Benmimoun est premier auteur de cette étude et chercheur de l’unité Plasticité cérébrale en réponse à l’environnement, dirigée par Pauline Spéder à l’Institut Pasteur. D’après lui, « comprendre comment certains microorganismes ont acquis la capacité de traverser cette barrière est un prérequis, non seulement pour identifier des moyens de les bloquer, mais également pour tirer parti de leurs stratégies pour livrer des substances à visée thérapeutique dans le cerveau. »
Un modèle utilisant la mouche de vinaigre pour étudier la barrière hémato-encéphalique
L’équipe de chercheurs a développé un modèle innovant pour étudier le passage de la barrière hémato-encéphalique par les agents pathogènes, et leur conséquence sur la santé cérébrale. Il utilise la mouche du vinaigre (ou drosophile), un modèle génétique puissant, et est unique car il combine fidélité de structure de la barrière hémato-encéphalique, puissance d’analyse et simplicité expérimentale. Grâce à ce modèle, il est possible d’observer et étudier la barrière hémato-encéphalique d’un cerveau intact en développement, qui s’est révélé sensible à différents pathogènes connus pour provoquer des infections cérébrales chez l’humain, comme le méningocoque, le pneumocoque ou le streptocoque du groupe B.
La lipoprotéine Blr permet aux streptocoques B de passer la barrière hémato-encéphalique
Ce modèle a permis d’identifier un nouveau mécanisme d’entrée dans le cerveau du streptocoque de groupe B, une bactérie responsable de la majorité des méningites néonatales. Les chercheurs ont identifié un facteur bactérien, la lipoprotéine Blr, présente à la surface de cette bactérie. Cette lipoprotéine se lie à un récepteur de la barrière hémato-encéphalique et permet l’entrée de la bactérie par endocytose. La bactérie utilise ce récepteur comme cheval de Troie pour traverser la barrière et en corrompt ainsi le rôle physiologique afin d’atteindre le cerveau.
Le rôle de Blr pour l’invasion du cerveau est confirmé chez la souris.
La collaboration avec le groupe dirigé par Rebecca Matsas à l’Institut Pasteur Hellénique a également permis de montrer que ce mécanisme d’invasion mis en évidence chez la drosophile est conservé chez la souris. En particulier, la perte de Blr est suffisante pour empêcher complètement la mortalité due à l’infection par le streptocoque B. Au vu de la présence de récepteurs similaires sur la barrière hémato-encéphalique humaine, ce mécanisme d’entrée du cerveau par le streptocoque de groupe B apparaît comme une cible thérapeutique prometteuse.
Le modèle original développé représente une nouvelle porte d’accès à la compréhension des mécanismes cellulaires et moléculaires qui permettent l’entrée d’agents pathogènes dans le cerveau. A terme ce modèle permettra de proposer de nouvelles pistes thérapeutiques pour bloquer ou favoriser l’accès au cerveau via la barrière hémato-encéphalique.
Source :
An original infection model identifies host lipoprotein import as a route for blood-brain barrier crossing, Nature communications, 30 novembre 2020
Billel Benmimoun 1, Florentia Papastefanaki 2, Bruno Périchon 3, Katerina Segklia 2, Nicolas Roby 1,
Vivi Miriagou 4, Christine Schmitt5, Shaynoor Dramsi 3, Rebecca Matsas 2 & Pauline Spéder 1
1Institut Pasteur, Brain Plasticity in Response to the Environment, CNRS, UMR3738 Paris, France.
2 Laboratory of Cellular and Molecular Neurobiology-Stem Cells, Department of Neurobiology, Hellenic Pasteur Institute, Athens, Greece.
3 Unité de Biologie des Bactéries Pathogènes à Gram-positif, Institut Pasteur,CNRS, UMR 2001 Paris, France.
4 Laboratory of Bacteriology, Department of Microbiology, Hellenic Pasteur Institute, Athens, Greece.
5 Ultrastructure UTechS Ultrastructural Bioimaging Platform, Institut Pasteur, Paris, France.